Ce n’est pas nouveau : les mots qui s’imposent dans le discours ambiant traduisent nos préoccupations. Tour d'horizon de ceux qui tournent en ce moment.
Eh oui, certains mots prennent petit à petit leur place dans la presse internationale, les réseaux sociaux, puis le langage courant, jusqu’à jalonner les sentiers balisés de la pensée. Jargon temporaire ou tendance profonde ? Ces vocables sont dans tous les cas repérés par notre radar constamment à l’affût des mots qui annoncent les sujets de demain, indices Google trends à l’appui. Alors, pas de boule de cristal, mais entre intuition et statistiques, on peut brosser un tableau des éléments de langage qui vont influencer notre pensée en 2023.
Démission silencieuse (de l’anglais quiet quitting)
Après l’épisode Covid, on a tous un peu rêvé d’un monde idéal où le travail hybride serait la sanction positive du cauchemar vécu. Que nenni, il faudra repasser. En 2023, le flou entre vie professionnelle et personnelle tourne à l’exaspération générale et des taux de démission volontaires inédits. Cela dit, les démissions en masse se sont calmées au profit d’un phénomène plus insidieux et difficilement repérable : le quiet quitting. Car après la grande démission de ceux qui claquent la porte pour voir si l’herbe est plus verte en CAP pâtisserie ou dans une autre boîte, beaucoup calment leurs ardeurs et composent avec leurs contraintes et leur emprunt bancaire.
Le plan ? Garder son emploi et son salaire tout en assurant le minimum syndical. L’idée est de composer un ratio travail / vie personnelle avantageux. Comment ? En travaillant le moins possible : pauses déjeuner à rallonge, télétravail, étalement sur plusieurs jours de tâches qui pourraient être bouclées en une heure. Une façon moderne de piquer dans la caisse à l’insu des RH et des boss, qui finiront tôt ou tard par trouver le pot aux roses.
Les requêtes Google liées à ce terme ont bondi de façon soudaine fin 2022. L’essor de ce réseau social aux 882 millions de membres (dont une large partie aux États-Unis) s’explique par plusieurs raisons notamment un marché du recrutement effervescent entre licenciements de masse et nouveaux recrutements d’employés à jour. Le succès de LinkedIn est aussi certainement dû au fait que cela sent le sapin chez Facebook, qui a licencié 10% de ses effectifs. Les selfies avec sa mère, son bébé ou son chien sont désormais légion sur un réseau social à l’origine davantage centré sur la vie professionnelle. Comme si dans un monde où les robots prennent de plus en plus de place, il était de bon ton d’afficher sa vie personnelle, voire ses failles et faiblesses.
Récession
Ce mot aux États-Unis a été banni du vocabulaire. Déclarée palabra non grata par Joe Biden, il n’en demeure pas moins bien présent dans les articles de presse et autres contenus en ligne. Le mot connaît une courbe dangereusement pentue vers le haut, y compris en France ; le mot est douze fois plus utilisé qu’il y a un an (novembre 2021).
GINKS, Green Inclination No Kids
L’acronyme GINKS désigne les écolos qui refusent d’avoir des enfants, au nom du sauvetage de la planète. Du malthusianisme, version politiquement correcte 2020’s. Qui l’eût cru ? Le pasteur anglican doublé d’un économiste, né en 1766, revient au goût du jour. Décroissance et sobriété s’annoncent comme les valeurs phares de ces prochains mois. La dénatalité a pour corollaire le boom du nombre d’animaux de compagnie par habitant.
La décroissance serait un comportement vertueux et socialement valorisé. N’oublions pas cela dit que la mouvance GINK connaît des limites : les solutions aux problèmes futurs seront trouvées par des êtres humains, et non pas des animaux de compagnie – qui après tout, ont eux aussi une empreinte carbone.
Rentable
Les levées de fonds en pagaille de 2021 à grand renfort de posts Linkedin ont laissé place aux dépôts de bilan et licenciements. Le Roi est nu, les caisses sont vides et sans le financement de fonds privés, les startups sont sommées de montrer patte blanche (et business model viable). Le mot est deux fois plus utilisé en 2022 qu’en 2020, ce qui traduit une préoccupation bien plus prononcée.
En temps de crise, la notion de rentabilité est plus que jamais valorisée. Pas de « on verra après ». Chacun doit faire ses preuves au plus tôt sans effet de manches ni art rhétorique. L’adage « Show me the money » revient en force.
Distanciel
Les habitudes de télétravail instaurées pendant la Covid ont donné des goûts de luxe aux employés en général. La réflexion qui revient toujours est la suivante : peut-on remplacer le bureau ?
Santé au travail
Est-on plus fous qu’avant ou bien est-ce notre seuil de tolérance qui a baissé ? Soit notre bien-être mental s’est dégradé, soit les entreprises prennent de plus en plus au sérieux le coût d’opportunité constitué par les burn out. Quoi qu’il en soit, c’est une donnée de plus en plus remarquée et notamment prise en charge par des entreprises privées (Alan, Moka, Teale…).
Empathie
Pourquoi ce mot est-il deux fois plus employé qu’il y a un an dans les contenus web, que ce soit en France ou aux Etats-Unis ? On parle d’empathie dans un monde où chacun travaille dans son coin… Le mot “bienveillance” n’était pas en reste depuis deux ans, et semblerait appartenir au lexique de la psychologie qui imprègne de plus en plus notre vocabulaire.
Note : les deux mots « bienveillance » et « empathie » font tout simplement référence à la bonté et la gentillesse. Ils sont tombés en désuétude, sans doute à cause de leur connotation chrétienne souvent associés à une trop grande naïveté (trop bon, trop con).
Comme si un mot pouvait endiguer la violence d’une réalité économique (valorisations en berne, marché du recrutement des plus élastiques, licenciements en masse). Dernier symptôme en date : le plan social massif très remarqué d’Elon Musk, qui a remercié d’un SMS la moitié de ses effectifs du jour au lendemain. Notez que c’est plus la forme que le fond qui a marqué les esprits.
Empreinte carbone
Qu’on agisse pour la réduire ou pas, l'empreinte carbone est au cœur des préoccupations. Transports, choix des loisirs et vacances, achats automobiles sont impactés au quotidien par ce sujet de fond, en particulier chez les jeunes générations. Le corollaire de cette réalité est un regain d’intérêt pour l’éco-anxiété, le frugalisme, l’austérité.
Dans les années 80, se déplacer à vélo et ne pas posséder de voiture, éviter l’avion et passer ses vacances en France, consommer peu de viande et manger des légumes de saison, faire réparer son électroménager et porter des habits de seconde main... étaient des comportements ringards. C'était des choix montrés du doigt, réservés aux pauvres. De même l’idée saugrenue de maintenir le chauffage à 19°C ou ne pas se rendre à un match de foot.
Aujourd'hui, les tendances ont changé, sobriété et mesure sont IN. Marginaux hier, les choix à la Greta Thunberg sont devenus courants. Ce sont même des actes de civisme arborés avec fierté. « Aurea mediocritas » , selon Horace, la mesure, c'est de l'or. On revient à des sagesses anciennes et stoïques. Qui sait quel regard on portera sur nous et les années 2020 en 2060. O tempora, ô mores*, comme dirait l'autre.
*À traduire par : « Quelle époque ! Quelles mœurs ! »
Elodie Tordjman conseille dirigeants et entreprises dans leur branding et stratégie de communication. Elle a fondé en 2016 l’agence Smart-content.
De formation littéraire (Sciences-po Paris, Columbia University), passionnée de mots et de langues, Emanuelle Girsowicz a exercé sa plume entre Paris, New York et Tel Aviv, dans des entreprises telles que Havas, Ernst & Young et Deloitte. Depuis 2020, Emanuelle dirige une agence boutique spécialisée en branding et storytelling, Message-Lab.
"N’oublions pas cela dit que la mouvance GINK connaît des limites : les solutions aux problèmes futurs seront trouvées par des êtres humains"
"Sauf à considérer que le problème est justement l'être humain" semblerait une phrase plus pertinente à ajouter pour compléter le propos que celle des animaux de compagnie.
Quiet quitting? Le véritable drame réside dans l'incapacité de certains managers à motiver les troupes. La seule strategie de retention des talents que certains soient capables de mettre en place est de compter sur une conjoncture difficile. On a les salariés qu'on mérite.
et la résilience alors..?
C'est tellement ça 👍