11 000 salariés remerciés chez Meta, près de 4 000 chez Twitter, embauches gelées chez Amazon, Apple et Google. La tech américaine est-elle en crise ? On fait le point.
Les 11 000 licenciements chez Meta, annoncés mercredi 9 novembre, constitue le premier plan social de l’entreprise et le plus important dans le secteur de la tech en 2022. De quoi nous faire sérieusement douter de la bonne santé de l’entreprise dont le bénéfice net a fondu de 52 % en un an, et par extension de celle de l’ensemble du secteur. Elon Musk, nouvel acquéreur de Twitter, a lui aussi brutalement remercié près de 4 000 salariés et entame d’importantes coupes budgétaires. Pas de vague de licenciement chez Google et Apple, mais des embauches gelées pour les mois à venir. C’est l’hécatombe aussi chez Stripe, le leader des solutions de paiement en ligne qui a fait ses choux gras pendant la crise, avec 14 % de la masse salariale supprimée, soit 1 120 personnes. Rien ne va plus dans la Silicon Valley ? Plusieurs facteurs peuvent en tout cas expliquer ces annonces chocs. On fait le point avec Diego Ferri et Cyril Vart, directeur de la stratégie et associé de EY Fabernovel, cabinet de conseil spécialiste de la transformation numérique.
Retour de bâton après Covid
On pensait que la pandémie changerait à jamais nos usages du numérique. Certes ils se sont intensifiés mais ne sont pas restés au niveau du confinement. Les grands gagnants de la pandémie — réseaux sociaux, sites d’e-commerce et leurs fournisseurs de solution, plateformes de streaming -— doivent faire face à cette réalité. Dans un communiqué, Stripe soulignait avoir « trop embauché pour le monde dans lequel nous sommes actuellement » . « Pendant la crise, la guerre des talents s’est intensifiée en particulier sur des profils rares, comme data scientist ou ingénieur mobile, tout le monde s’est mis à recruter à tour de bras et le coût des embauches est devenu de plus en plus important alors que personne n’avait l’assurance que la croissance continuerait après la crise », expose Diego Ferri.
Pour résumer : leur prédiction de croissance était un peu trop optimiste, et maintenant ces entreprises en paient le prix. « Dans des milieux très innovants et compétitifs, on prend de l’avance pour aller vite, mais dès que la croissance se ralentit, il faut agir sur les coûts », précise Cyril Vart. On pourrait ajouter que le contexte de la pandémie et du tout numérique a certainement conforté certains dirigeants dans des voix vaseuses — Mark Zuckerberg dans le métavers pour ne citer personne.
Compte tenu de leurs résultats décevants, les actionnaires de ces sociétés s’attendent à ce qu’elles prennent des actions rapidement. « Ces entreprises doivent montrer à leurs actionnaires qu’elles maigrissent. Hélas, les deux leviers les plus rapides à activer sont les licenciements de personnels, en particulier aux États-Unis où il est légalement possible de licencier un salarié avec un préavis de deux semaines, et les coupes de budget publicitaire. » De ce point de vue, les annonces de Mark Zuckerberg semblent avoir fait mouche chez les actionnaires : après l’annonce du plan de licenciement, le prix de l’action de Meta a progressé de plus de 5 %.
Le contexte économique et géopolitique global pèse sur la tech comme sur les autres
La crise énergétique et le contexte géopolitique affectent les géants du numérique comme toutes les autres entreprises. « La spécificité de la tech est qu’elle est très consommatrice d’énergie pour faire tourner les logiciels et les serveurs, donc une plus grande part du compte de résultat est affectée par la hausse du prix de l’énergie », souligne Cyril Vart. L’inflation a par ailleurs incité certains consommateurs à revoir leurs dépenses, et notamment en matière de services numériques. « Pour le streaming par exemple, le nombre d’abonnements moyen d’un foyer américain est passé de 4 l’an dernier à 2 aujourd’hui », souligne Diego Ferri. Et les entreprises revoient elles aussi leur budget, notamment en matière de publicité — ce qui impacte forcément les revenus des géants du numérique.
Autre facteur à prendre en considération : la régulation, de plus en plus sévère envers l’industrie de la tech. « L’effet des comités antitrust a été particulièrement important, note Diego Ferri. Les GAFAM innovent beaucoup par croissance externe. Dès qu’il y a un nouvel entrant, ils le rachètent soit pour acquérir de nouvelles opportunités de revenus, soit pour garantir leurs parts de marché. Mais aujourd’hui, ils sont davantage contraints par ces nouveaux comités qui n’existaient pas il y a quelques années... »
Le business model de la pub ciblée s'essouffle
En parallèle de ces facteurs conjoncturels, c’est le business model publicitaire de certaines plateformes qui commence à s'essouffler. « Quand les annonceurs faisaient de la publicité sur les grandes plateformes sociales il y a cinq ou six ans, ils visaient large en termes de segment, de tranches d’âge et de régions géographiques, aujourd’hui ils ont une connaissance bien plus fine de leurs clients par produit. Cela leur permet de publier moins mais avec un taux de conversion plus fort », explique Diego Ferri. « Résultat : le panier moyen de l’annonceur baisse », explique Cyril Vart. Chez Meta il a diminué de 5 à 10 % depuis le trimestre dernier, ce qui explique pourquoi leur croissance est légèrement moins forte que les années précédentes. Paradoxalement, ce sont les acteurs qui ont permis le ciblage précis de la clientèle, qui, aujourd’hui, subissent les conséquences de leurs outils.
Meta, plus que tous les autres GAFAM, est particulièrement affecté par ce ralentissement car l’entreprise est surexposée à ce modèle économique. Contrairement à Apple, qui est assez peu dépendant de la publicité, et Google qui a une offre un peu plus diversifiée. Par ailleurs, les dinosaures de la pub en ligne font face à l’arrivée de nouveaux entrants, notamment TikTok (ByteDance) et son 1,5 milliard d'utilisateurs.
Alors, une crise ou pas vraiment ?
« Il ne faut pas faire un grand symbole de tout, toutes les entreprises ne sont pas à la même enseigne », nuance Cyril Vart pour qui, il vaut mieux parler d’une « crise de croissance » des grands acteurs, plutôt que d’une « crise de la tech » de manière générale.
Par ailleurs, « le chômage reste à un niveau historiquement bas — autour de 2 % — dans le secteur de la tech aux États-Unis, le nombre de nouvelles offres est en croissance, renchérit Diego Ferri. On peut donc se demander si cette crise touche la tech en général, ou plus spécifiquement la Silicon Valley, voire uniquement les acteurs historiques. »
On compte environ 50 000 licenciements dans la tech américaine depuis le début de l’année (sans compter ceux annoncés par Meta), « c’est beaucoup mais ce n’est pas non plus beaucoup plus que les années précédentes », juge-t-il. « Ces licenciements sont perçus à juste titre comme des actes brutaux et violents, mais pour un investisseur américain, ce n’est pas forcément inquiétant, ajoute Cyril Vart. Aux États-Unis, et en particulier dans la Silicon Valley, tuer un produit ou une équipe pour recommencer fait partie de la culture. »
Les deux consultants notent par ailleurs des secteurs tech qui eux se portent particulièrement bien : les cleantech qui servent à optimiser la consommation d’énergie, les startups spécialisées dans le tracking de colis (particulièrement plébiscité avec les problèmes de livraison auxquels est confronté l’e-commerce) et les DNVB (digital native vertical brands), ces marques numériques qui s’adressent à un marché très précis.
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