Un cow boy 2.0 sourit

Hollywood serait-il en train de se faire détrôner par Séoul ?

© Violaine et Jérémy / Studio Saga

K-drama, K-cinema, K-comics, K-Pop… dans tous les pans de la culture mondiale, le K de la Corée du Sud se hisse en tête des tops. Et si le barycentre de la pop culture avait migré du côté de Séoul ?

Il est un exploit qui tient de l’énigme. De l’anomalie, même. Comment la Corée du Sud, un pays ravagé par trente-cinq années d’une occupation particulièrement sanglante, puis soumis à des années de régimes autoritaires, qui gisait, exsangue, au fond du classement des pays les plus pauvres, est parvenue en quelques décennies à se hisser au 11e rang des économies mondiales ?

Les Coréens qui ne manquent pas d’humour vous le diraient eux-mêmes : avec beaucoup de sang et de larmes pour la majorité et un haut niveau de corruption pour quelques autres. Certes. Mais, si cela n’explique pas rien, cela n’explique pas tout. Et sûrement pas comment la Corée du Sud a développé cette capacité de produire des hits internationaux dans toutes les catégories des industries culturelles.

La vague coréenne qui vient de loin et qui cogne fort

En Chine, cela fait longtemps qu’ils l’ont vue déferler, cette vague. Trente ans déjà. Quand les K-dramas, ces séries coréennes outrageusement romantiques et follement romanesques, furent diffusées à la télévision, elles déchaînèrent une telle passion que Pékin donna un nom au phénomène : la Hallyu (à traduire par « vague » justement, en coréen). Avec le recul, c’était plutôt une vaguelette. Car le véritable tsunami allait venir avec ces millions de fans conquis au Moyen-Orient, en Amérique du Sud, en Inde… Eux aussi allaient être emportés par ces histoires « no sex, no politics but full adventure », taillées pour répondre au cahier des charges de la censure chinoise.

Chez nous, on a tardé à la voir arriver, la Hallyu. Trop populaire, pas assez chic-et-tapis-rouge, peut-être ? Peut-être. Et puis, il y eut 2020 et Parasite. Cette année-là, après avoir déjà reçu la Palme de Cannes, le film raflait quatre Oscars. D’emblée Bong Joon-ho, son réalisateur, se trouvait propulsé au niveau de Walt Disney, le seul à avoir accompli cette performance de quatre statuettes remportées le même soir. Un tel triomphe rappelait les autres succès du cinéaste – Mother, Snowpiercer ou Okja – mais aussi ceux de ses confrères et concitoyens – Im Kwon-Taek, Kim Jee-Woon ou Park Chan-wook. Bref. La prouesse de Bong Joon-ho consacrait « la nouvelle vague des enragés du cinéma sud-coréen » et elle s’avérait foutrement dynamique. On avait reconnu Bollywood ; « Hallyuwood » s’imposait désormais avec une esthétique d’emblée plus universelle, plus contemporaine et nettement plus mordante, sachant virer, sans prévenir, du rose bonbon au rouge sang. Mais si Bong Joon-ho et sa bande sont capables de porter un regard si acide sur leur société, c’est qu’effectivement ils ont la rage des rescapés. Comme près de 10 000 artistes, ils ont connu la « liste noire » des autorités sud-coréennes. Des années traumatisantes de censure qui ne prirent fin qu’avec la destitution, pour corruption, de l'ancienne présidente Park Geun-hye – en mars 2017. 

Un business avec beaucoup de love dedans

Quelques mois après la consécration de Parasite, moins relayée et pourtant plus fracassante encore, ce fut l’entrée à la Bourse de Séoul de Big Hit Entertainment, le label de musique de BTS. Le groupe coréen le plus cité du Guiness pour ses records d’audience en ligne allait s’offrir, en plein lockdown, une valorisation de plus de 7,4 milliards de dollars. On comprenait que ce qu’on prenait pour un boys band préfabriqué pour ados était soutenu comme un très sérieux projet industriel. L’Institut de la recherche de Hyundai calculait le revenu annuel pour le pays généré par BTS : 3,63 milliards de dollars tout de même, et 7 % du nombre total de touristes en 2019. Selon une autre étude gouvernementale, le tube Dynamite, qui avait fait le tour du monde à l’été 2020, pesait plus de 1,4 milliard de dollars dans les finances et des milliers de nouveaux emplois. La Corée du Sud nous faisait une démonstration : celle d’une industrie culturelle pragmatique, consciente de ses impacts matériels et immatériels. Un soft power parfaitement assumé, en somme.

Mais derrière ces chiffres vertigineux, des observateurs plus attentifs restaient subjugués par la découverte d’un autre phénomène, autrement plus original. L’information a filtré via les banques chargées de l'opération. Quelques jours avant la mise sur le marché, elles déclaraient avoir reçu de la part des investisseurs particuliers des demandes si importantes qu’elles ne pourraient pas les satisfaire. Combien les simples particuliers étaient prêts à investir sur leur groupe ? 50 milliards de dollars. Du jamais vu. Littéralement baptisés ARMY, on découvrait que les fans de BTS étaient plus nombreux que les trolls de Poutine, et plus déterminés aussi. Leur motivation ? Juste l’amour. Un amour capable de se mobiliser en meute sur Twitter, de se coaguler sur les forums, de se soulever ensemble – comme une vague, encore.

Korean dream is coming !

Existe-t-il un lien entre des K-dramas sirupeux, des films cash et trash et un groupe de sept garçons qui monte en Bourse – à part leur capacité à conquérir le monde ? D’aucuns vous diraient que si la pop coréenne était un personnage de webtoon – ce format de BD coréenne qui se lit sur smartphone – elle serait l’héritière délurée d’André Malraux et de Walt Disney. À l’un elle aurait pris la conviction que le développement de la culture exige des soutiens de l’État, à l’autre, la capacité de transformer ses histoires en multiples business. Car oui, la pop coréenne est bel et bien le fruit d’un projet industriel, et toutes les industries ont mis au pot.

Mais les amoureux de la Corée s’accorderaient plus simplement à dire qu’« on se sent bien en Corée ». La Corée est un pays qui aime à se tourner vers l’extérieur, vers l’étranger. L’ailleurs est une chance et, avec son passé qui fut si sombre, souvent, le présent paraît plus joyeux, le futur, désirable. Et tout à coup, c’est l’American dream qui paraît faisandé. Avec Hollywood, le monde se divisait en deux catégories : ceux qui avaient un pistolet chargé et ceux qui creusaient. Et en face du héros américain, c’étaient toujours les autres qui creusaient. Séoul, le nouvel Hollywood, s’adresse à ces autres-là : les humiliés, les souillés, les méprisés, tous ceux à qui on a toujours demandé de creuser. Et le message semble parler davantage aux nouvelles générations.

Le phénomène est si massif, si inattendu aussi, que l'on a décidé d'y consacrer le dossier tendance du nouveau numéro de la revue de L'ADN. Car craquer le modèle qui a fait de Séoul le nouvel Hollywood a clairement des tas de choses à nous apprendre. Et pas seulement aux pros des industries culturelles.

Ce texte est paru dans le numéro 29 de la revue de L'ADN, Séoul le nouvel Hollywood – à vous procurer ici.

Béatrice Sutter

J'ai une passion - prendre le pouls de l'époque - et deux amours - le numérique et la transition écologique. Je dirige la rédaction de L'ADN depuis sa création : une course de fond, un sprint - un job palpitant.
commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Une très bonne analyse, pertinente et juste.

  2. Avatar Anonyme dit :

    Juste que les dramas coréens ne sont pas tous sirupeux

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