Squid Game et Blackpink

Corée mania : comment la pop culture made in Seoul a séduit le monde

© Flickr

De Squid Game à BTS, le made in Seoul est partout. Quelle est la recette de la Corée du Sud pour concocter un soft power qui talonne Hollywood ? On vous raconte.

Corée is the new Hollywood ? K-dramas, K-cinema, K-comics, K-food… La Corée irrigue tous les champs de la culture mondiale, au point que l’on parle dorénavant de K-nation. Devenus incontournables et iconiques, les produits de l'industrie culturelle sud-coréenne sont omniprésents. Mais comment un pays réduit à néant par la Seconde Guerre mondiale et des décennies de domination japonaise pourrait-il être en passe de redessiner les contours de la pop culture ? Décryptage.

Le mystère de la hallyu : un peu d'histoire

Depuis les années 1990, les produits culturels confectionnés par la Corée s’exportent massivement, d'abord chez ses voisins asiatiques, puis en Asie centrale, en Afrique et Amérique latine. Baptisé hallyu, (littéralement vague coréenne), le phénomène ne semble pas près de s'étioler. « Les Français ont souvent l’impression d’une génération spontanée, comme si du jour au lendemain la pop culture coréenne avait été parachutée chez nous... Mais tout cela résulte d’un long processus »  explique Didier Borg, entrepreneur passionné par la Corée du Sud et fondateur de Delitoon, plateforme de diffusion de webtoons.

Dans les années 50, après plus de 40 années d'occupation japonaise, la Corée du Sud est exsangue. Usée par le génocide culturel nippon, le pays compte parmi les plus pauvres du monde. Depuis, la Corée du Sud est en proie à un formidable appétit : désireuse de reconstruire quelque chose, elle est aussi traversée par un sentiment plus intangible, le han. Difficile à traduire, le terme encapsule un sentiment de souffrance collective et de colère lié à l’occupation militaire japonaise. Pour les chercheurs qui décortiquent les ressorts de la hallyu, l'envie de rayonnement culturel des Sud-Coréens serait en partie imputable à ce trait national : comment s'assurer de ne plus subir le joug de puissances étrangères ?

Le tournant des années 2000

En 1997, le président sud-coréen manque de s’étouffer : le film Jurassic Park a dégagé autant de recettes que l'un des fleurons de son industrie, la société Hyundai. Le gouvernement prend alors une décision qui va peser lourd dans le destin du pays : désormais, la Corée du Sud se concentrera sur le développement de ses industries culturelles. « Pour cela, les coréens s’imprègnent de ce qu’ils considèrent comme des modèles de réussite », souligne Didier Borg. Aux Américains, ils empruntent la dimension conquérante, les mécaniques de soft power et la capacité à produire des contenus qui traversent toutes les frontières. Aux Français, la volonté politique de défendre la culture et ses écosystèmes. Dans le shaker sud-coréen se retrouve donc un étrange mélange : les paillettes d'Hollywood et l'action politique, avec notamment la création du statut d'intermittent du spectacle.

Dès les années 2000, l’État sud-coréen note avec étonnement que l’appétence pour les produits made in Seoul, notamment les K-dramas, dépasse les frontières de l’Asie pour s’étendre au monde. Pour la journaliste Ophélie Surcouf, autrice de l’ouvrage Pourquoi la Corée ? , l’État coréen aurait surtout surfé sur l’élan d’entrepreneurs et de créateurs, qui « avaient juste envie de faire des choses. » Selon elle, c'est a posteriori que la hallyu aurait été conceptualisée, allant jusqu’à être découpée numériquement (hallyu 1.0, 2.0, 3.0...) en fonction des différentes vagues d'exportation. Mais quoi qu'il en soit, tout a commencé avec les K-dramas.

La magie des K-dramas : romances sur fond de jeunesse et de beauté

« Ce sont les consommatrices fans de comédies romantiques et de contenus piquousés aux messages positifs qui ont fait le lit de la hallyu. Plus proches des Bollywood que des séries américaines auxquelles nous avons été biberonnés, ces dramas de la fin des années 90 sont pétris de clichés et de logiques de couple qui ne nous correspondent pas. L’appréciation culturelle n’était donc pas évidente en Europe, mais elle fonctionnait très bien sur les territoires asiatiques, aussi bien dans les pays hindouistes que bouddhistes ou musulmans. Et surtout en Chine, où elles étaient parfaitement calibrées pour passer le filtre de toutes les censures », rapporte Didier Borg.

Avec ce divertissement sans danger, les K-dramas transportent les téléspectateurs dans un univers doux et ouaté qui n’existe pas, tranchant radicalement avec les programmes violents ou sur-sexualisés américains. En 2007, Jewel in the Palace réunit 90 % des audiences lors de la diffusion de ses 54 épisodes en Iran. Célébrée en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine, la série qui raconte les aventures d’une jeune fille de la classe ouvrière devenue apprentie cuisinière du palais royal marque un tournant pour la hallyu. En 2014, My Love from the Star cumule en Chine plus de 2,5 milliards de vues en ligne, s'inscrivant directement dans l'héritage de la première vague des K-dramas. Traditionnellement, cette dernière met en scène des héros jeunes, riches et beaux, comme dans la série Winter Sonata (2002), une bleuette qui raconte l’histoire d’un triangle amoureux.

Des romcoms à l'eau de rose aux thrillers morbides

Avec les années, les K-dramas se diversifient et attirent un public plus large. L’arrivée du câble au milieu des années 2000 explique en partie ce changement, permettant l’insertion de publicités jusqu'alors prohibées sur les chaînes publiques. Le boom des recettes rebat les cartes et les producteurs s'essayent à d’autres genres : thrillers, policiers, aventures... En 2016, c'est la géopolitique qui donne un nouvel élan au déploiement des K-dramas. Outrée par le déploiement du Thaad, le système antimissile américain déployé sur le sol sud-coréen pour contrer les menaces de la Corée du Nord, la Chine, principale consommatrice de K-dramas, bloque toute importation venant de Corée du Sud. Le pays perd le principal client de son industrie et se voit contraint de se tourner vers d'autres marchés. Netflix avait déjà capté le potentiel créatif de la Corée du Sud. Depuis 2015, la plateforme accueille des programmes – séries ou films. Sous le regard bienveillant de l’État, les studios tournent à plein régime. « Le succès fou de la série Squid Game est juste l'adoption la plus massivement visible de l'Europe et des États-Unis de ce type de programme, mais il y en a eu bien d'autres avant », souligne Ophélie Surcouf.

Évidemment, le cynisme violent de Squid Game n'a plus grand chose à voir avec l'esthétique très lissée des K-dramas première génération. « On produit aujourd’hui énormément de contenus très critiques envers notre pays, souligne Jinah Kim, doctorante en sociologie des arts à l’université Paris III. Les séries Squid Game ou D.P, inspirée d’un webtoon racontant le parcours d’un soldat venant d’intégrer l’armée pour son service militaire, dévoilent les tensions d’une société déséquilibrée. Encore obligatoire pour les hommes sud-coréens, le service militaire dure un an et demi en Corée et provoque des suicides en rafales. Montrer ce genre de choses n'est pas un problème pour l'État, qui voit là-dedans le moyen d'intéresser le monde à la Corée du Sud... »

La K-pop entre dans la danse

Dans un contexte de soft power, les K-dramas tiendraient donc le rôle de produit d'appel. « Les gens entrent dans la Corée par une verticale, que cela soit les K-dramas ou la K-pop. C’est comme un fil qu’on tire, avant de tomber dans la marmite », s’amuse Savannah Truong, fondatrice du Kick Café, un lieu dédié aux amoureux de la K-pop à Paris. Et après les dramas, c'est au tour de la K-pop de s'exporter massivement. « Les Sud-Coréens y vont verticale par verticale, avec méthode », observe Didier Borg. En 2010, des fans français de K-pop devaient manifester dans les rues de Paris pour prolonger un concert ; à Séoul, la maison de production YG, qui aux côtés de SM Entertainment et JYP Entertainment donne le la en Corée, commence à s'intéresser aux marchés européens et nord-américains. Profitant à nouveau d’une impulsion organique, l’État soutient la mouvance. « Quand BTS chante à l’ONU, c'est un acte éminemment politique pour exprimer au monde ce qu’est la Corée moderne, une Corée qui porte des valeurs humanistes et écologiques », rappelle Didier Borg.

Pali pali : créer des produits culturels comme des iPhones

Est-ce qu'il existe une recette à la réussite des produits coréens ? Une partie du succès réside sans doute dans l'exigence de son industrie. « Si cela ne marche pas, ils arrêtent, observe Didier Borg. Là où les Français s'inscrivent dans une logique de conservation et de perpétuation, les Sud-Coréens se placent dans une dynamique de marché et de test and learn. Il est très parlant que la KOCCA, l’équivalent de notre CNC (Centre national de la cinématographie) n'utilise pas le terme "culture" et lui préfère celui de "creative content". Là où nous Français nous appuyons sur notre patrimoine pour créer de la culture, eux vont essayer de faire du neuf en s’inspirant de ce qui fonctionne. » Une analyse partagée par Ophélie Surcouf : « Ils n’ont pas peur d’aller s’inspirer ailleurs et de mixer les inspirations pour les passer à la moulinette coréenne. »

Autre clé du succès, l'industrialisation des processus. « Ils ne vont pas créer un Michael Jackson, mais mille, raconte Didier Borg. Les groupes de K-pop sont fabriqués à la chaîne à partir de minutieuses analyses de marché, et les maisons de production vont jusqu’à parler de 'génération' de groupes, comme pour les iPhones... » La maison de production SM Entertainment a par exemple conçu une approche pour façonner à la chaîne de parfaites idoles, stars de la musique pop, à base de cours de danse, de chant et de langues (anglais, japonais et chinois). Et la recette fonctionne, comme en témoignent les succès internationaux de groupes comme BTS, Blackpink ou NCT.

Un pays qui manie la tech comme personne

Si la pop culture sud-coréenne prend aussi bien à l'étranger, c'est aussi car le pays sait brillamment faire usage de la tech. C’est indéniable, le pays cultive un goût prononcé pour la technologie. « La Corée a le plus haut débit Internet au monde, trois fois plus rapide que la France, la 5G y est déjà banalisée », assure Jina Kim. Mais surtout la technologie est toujours intégrée aux produits de la pop culture. Pour preuve, la très populaire application Weverse, conçue par Hybe, société mère de la maison de production de BTS. Cette plateforme condense de multiples fonctions : suivre l’actualité de ses idoles, accéder à du contenu exclusif, échanger avec d’autres fans, et bien sûr acheter tous les produits dérivés.

The Korean Dream

En 2021, la Corée du Sud excite indéniablement les imaginations. Existe-t-il alors un rêve coréen au même titre qu’un American Dream ? Sans doute, et il pourrait peut-être supplanter ce dernier. Aux foyers européens d'après-guerre, le rêve américain promettait le confort de la modernité. Aujourd'hui, la classe moyenne chilienne rêve de s'envoler pour Séoul, convaincue qu’à force d'acharnement et de sacrifices elle pourra s’offrir une vie meilleure dans ce nouvel eldorado. « C’est tout à fait l’ethos de BTS, ex-underdog de la K-pop, qui à force de travail s’est hissé au rang de superstar mondiale », rappelle Ophélie Surcouf. « Mais le rêve coréen, c'est surtout la possibilité de sortir de sa propre culture, explique Didier Borg. Je peux annihiler mon identité au profit d’une autre, et transcender toutes les distinctions, de genre ou d’ethnies, et me regrouper avec d’autres autour de la culture d’un autre pays. On est à deux doigts d’inventer une nouvelle religion », rit l’entrepreneur. C’est peut-être ça finalement la Corée Mania. Le fantasme d’un monde meilleur.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
commentaires

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  1. Avatar Mélanie Ringot dit :

    Je suis tombée dans la marmite il y a un peu plus d'un an grâce à la Kpop et notamment à BTS. J'ai continué avec le hangeul, la cuisine, la culture pour finir par mettre un pied dans les dramas. Cet article est très intéressant, richement documenté et donne beaucoup d'explications sur ce qu'est la vague coréenne et comment elle a déferlé progressivement sur le monde. Merci pour cela, j'ai appris beaucoup de choses 😉

  2. Avatar Jean Charles dit :

    Ce K est un pur produit Marketing que seuls les coréens savent promouvoir à l échelle mondiale . C' est remarquable mais éphémère ...et ne représente en aucun cas la "culture" coréenne ...
    Il serait bien d évoquer les effets collatéraux dont la gravité ample chaque jour un peu plus.

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