Trois bouches vertes sur fond violet

Le travail et nous : comment on en parle en 10 mots clés

Quand la démission silencieuse ne satisfait plus, il reste toujours le quick quitting et le rage applying.

Il y a ceux qu'on connaît bien (quiet quitting, resenteeism...), et ceux qui nous sont moins familiers. Présentation de ces termes venus de l'autre côté de l’Atlantique qui nous permettent d'ausculter notre rapport de plus en plus épidermique au travail.

Great Resignation, ou Grande Démission

Crises en série, futur plus qu'incertain et capitalisme qui mène au cul-de-sac : le terreau était propice à la remise en question et à la prise de distance. En témoigne la prolifération des mouvements anti-travail visant son abolition qui montent depuis quelques années et s’insèrent partout, des espaces de coworking aux réseaux sociaux. Aux États-Unis, la célébrissime et très prégnante hustle culture (la culture du travail) ne fait plus rêver grand monde. (Même si les girl boss, les infatigables business women qui ne jurent que par les réveils à quatre du matin et le dépassement de soi, continuent de sévir en ligne). Conséquence : un mouvement de démission massif. En 2021, 38 millions d'Américains quittent leur travail, dont 4,5 millions pour le seul mois de novembre.

Quiet Quitting, ou Démission Silencieuse

Mais se barrer de son entreprise n'est pas donné à tout le monde. Certains restent au bureau mais cessent de se plier en quatre, dans le respect le plus strict de leur contrat de travail. « Plutôt que de travailler tard le vendredi soir, d'organiser le voyage annuel de team building (...) ou de se porter volontaire pour superviser le stage du fils du patron, "les décrocheurs silencieux" évitent de faire du zèle, renient la hustle culture (...). À la place, ils en font juste assez pour suivre le rythme, puis quittent le travail à l'heure et désactivent Slack », explique The Guardian. Un concept qui résonne, notamment sur TikTok, où de jeunes travailleurs n'hésitent pas à mettre en scène leur nouvelle conception du boulot sous le #quietquitting (484 millions de vues). Leur mantra : « acting our wage », soit le fait de travailler en fonction du salaire reçu. Ni plus, ni moins. Dans un contexte de stress accru au travail et de stagnation des salaires, 37 % des Français seraient selon une récente enquête IFOP passés en mode quiet quitting, contre 50 % aux États-Unis.

Rage quitting, ou quitter ton travail en 5 minutes

Comme le souligne Insider, « le phénomène est aussi vieux que le travail lui-même ». Variation sur le thème de la Grande Démission, le rage quitting implique de quitter son travail sous le coup de la colère. Non pas comme dans le poème The Hollow Men de T.S Elliot (Not with a bang, but a whimper) avec « un faible gémissement », mais dans « un grand fracas ».

Resenteeism, ou ressentéisme

Sommes-nous tous égaux face au quiet quitting ? Pas vraiment. Une étude du National Bureau of Economic Research montre par exemple que le désengagement ne touche pas toutes les CSP de la même façon, principalement car tout le monde ne peut pas se permettre de faire le minimum. En outre, entre les licenciements massifs et l'inflation galopante, il n'est plus aussi facile de quitter son travail qu'il y a quelques mois. De fait, beaucoup continuent d'occuper leur emploi, et pas forcément dans la joie. Le resenteeism se traduit donc par le fait de rouspéter avec ses collègues, de pousser de longs soupirs en fixant, le regard morne, le reflet bleuté de son écran d’ordinateur et de faire la moue en réunion sans effectuer le moindre effort pour dissimuler son ennui et son agacement.

Rage applying, ou enchaîner les candidatures, remonté à bloc

Lorsque s’accommoder de son manager toxique et des dysfonctionnements structurels de son entreprise n'est plus tenable, on peut atteindre une phase de frénésie fébrile : le rage applying, ou le fait d'envoyer des candidatures massivement sous le coup de l’énervement jusqu'à trois heures du matin (parfois même durant ses heures de travail, histoire de bien faire passer le message, et éventuellement en écoutant Break My Soul de Beyoncé). Sur TikTok, le #rageapply compte déjà plus de 13,9 millions de vues. En résumé, on cherche un boulot plus satisfaisant et qui paye mieux. Comme le rappelle l'internaute Nathan Kennedy, « quelque chose que nous devrions être en train de faire ! »

@johnsfinancetips

Have you ever been so fed up with your boss or your job that you wanted to just quit? Well, instead of quitting, you could start rage applying. It’s a really simple concept - you just send out as many applications to jobs that you want. Then take interviews at those jobs, and once one of those offers comes in to your liking you take it. #rageapply #rageapplying #quietquit #quietquitting #newjob #personalfinance

♬ original sound - John Liang

Quick quitting, ou tout quitter au bout de 5 minutes

Trouver un emploi, le quitter, recommencer. (Idéalement en réussissant un saut quantique en termes de salaire entre deux fiches de poste.)

Over-employment, ou suremploi

Pour gagner plus d'argent, il y a aussi le over-employment, qui permet d'encaisser plus en travaillant moins. Par quel miracle ? Grâce à la magie du télétravail, qui autorise les adeptes de la tendance OE à combiner des emplois qui en théorie ne devraient pas pouvoir être cumulés (un temps plein + un mi-temps). Comment parviennent-ils à dépasser les limites temporelles de la physique ? Grâce à quelques astuces permettant de maintenir l'illusion. Pour les connaître, se rendre sur la communauté r/overmployed de Reddit.

Chaotic working, ou le travail chaotique

Encore une fois, le principe n'est pas nouveau. Le terme est en revanche né récemment sur Reddit via le célèbre groupe Antiwork. Dans un post aimé plusieurs milliers de fois, un employé de supermarché raconte comment il s'est un jour amusé à identifier la faille dans le système pour faire profiter les consommateurs de remises et avantages plus importants. En quelques jours, la notion s'est propagée sur les réseaux, jusqu'à être résumée ainsi sur TikTok par l'enseignant américain The Speech Prof : l'idée est de profiter de votre position et de votre rôle pour vous livrer à toutes sortes de bonnes actions car de toute façon vous vous fichez de vous attirer des ennuis. (...) Ne faites pas payer les frais de découverts ! Servez-vous de plus grosses portions ! La pratique derrière le néologisme : donner un coup de pied dans la fourmilière et semer la zizanie au bureau, idéalement pour servir le plus grand nombre. Ou comme le dit le créateur de l'expression : « Soyez chaotique. C'est plus drôle comme ça. » En arrière-plan : le mécontentement envers les riches qui gronde et se fraye un chemin dans la culture pop au travers de films sortis en 2022 comme Le Menu, Sans filtre, et Glass Onion : Une histoire à couteaux tirés.

Quiet firing, ou pousser tranquille les employés à démissionner

Selon un sondage Gallup de 2022, seulement 25 % des employés estiment que leur manager promeut leur développement professionnel. Ce manquement serait l'une des principales causes de la démission silencieuse, propagée par des managers incompétents et/ou submergés de travail, qui pousseraient silencieusement et par inadvertance les travailleurs à déserter les lieux. Dans sa version plus virulente, le quiet firing équivaut à une sorte de mise au placard doublée d'une forme de harcèlement qui prend garde à rester du bon côté de la loi. « Cela implique souvent de réduire leurs heures ou de faire faire à des tâches désagréables jusqu'à ce que les employés finissent par démissionner », souligne Michelle Hague, responsable des ressources humaines chez Solar Panels Network. Autre version possible : ne jamais se faire augmenter ou se voir attribuer des objectifs absurdes. Et évidemment, on en parle sur TikTok, où le #quietfiring dépasse les 18 millions de vues.

@sjeddywellness

Quiet firing occurs when a manager wants to avoid officially firing or laying off a worker by making their working conditions so toxic the employee resigns! #quietfiring #resignation #ToxicWork #toxicworkplaces#workplacewellness#sumanawellness#managerswhoquietfire#EmployeeWellness#managersbelike #YYCccalgarymo#moved

♬ original sound - Will Wuich

Quiet hiring, ou charger discrètement les employés

Littéralement, le quiet hiring peut se traduire par embauche silencieuse. De loin, cela ressemble à une promotion. Sauf que non. C'est juste plus de travail et plus de responsabilités – octroyées insidieusement à coups de comptes rendus supplémentaires à rendre et de nouvelles réunions à animer – pour un salaire qui ne bouge pas. Merci pour rien.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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