
Pour produire leurs films et leurs su00e9ries, Netflix et Amazon ont du00e9ju00e0 prouvu00e9 que cela marche. Selon Sami Arpa, fondateur de Largo.ai, lu2019intelligence artificielle peut aussi u00eatre une opportunitu00e9 pour le cinu00e9ma indu00e9pendant.u00a0
Sami Arpa est un scientifique, mais aussi un artiste. En marge de ses études de sciences informatiques, il squattait les bancs d’une école de cinéma. Depuis, il a fondé Largo.ai, une entreprise qui édite un logiciel d’intelligence artificielle qui guide producteurs et distributeurs indépendants dans la production de films. Pour Sony, Largo.ai a analysé le cas du film Venom et prédit les résultats au box-office américain, avec une certaine précision (201 millions de dollars selon Largo.ai contre 213 dans la réalité). On a rencontré l’entrepreneur au Geneva Digital Market lors du festival international du film de Genève, le GIFF.
En matière d’intelligence artificielle et de traitement de données, Netflix et Amazon ont une longueur d’avance. Ils ont à disposition presque une décennie de données utilisateur. Comment proposez-vous de combler ce retard des producteurs indépendants ?
Sami Arpa : C'est une question importante. Vous pouvez avoir de bonnes datas, mais pas la bonne technologie, ou l’inverse. Dans les deux cas, ça ne sert à rien. Les gros studios tels que Warner Bros ou Sony disposent de « bonnes » données, mais ils n’ont pas la technologie d’un Netflix. Les producteurs indépendants n’ont ni les données, ni la tech. Nous, on a les deux. Pour nourrir notre technologie, on utilise des données publiques (budget, casting, résultats au box-office). On travaille aussi avec des partenaires privés qui nous offrent leurs données. Et enfin, on génère notre propre data ; on a un service de VOD et des chaînes de télé, Sofy.tv.
« Les producteurs craignent l'intelligence artificielle, mais ils en attendent aussi beaucoup », avez-vous dit au Geneva Digital Market. Qu'attendent-ils de l'IA ?
S. A. : Oui, ces producteurs en attendent beaucoup. Ils pensent que l'IA va régler tous leurs problèmes, et pointer en quelques clics la voie vers le succès. Mais ça ne sert pas à ça : l'IA donne des insights. À charge aux producteurs de travailler avec ces billes, sinon c'est inutile. En quelques minutes, le système détecte les éléments importants, il suggère des choses. Ces producteurs qui n'ont pas compris l'utilité de l'IA sont les mêmes qui cherchent à tout prix des erreurs. C'est dommage. Oui, vous trouverez beaucoup d'erreurs. Mais 80 % du temps, l'IA a raison. Pour réaliser ces mêmes projections, les producteurs indépendants ont déjà leur propre méthode mise en place avec des humains. Avec cette méthode, ce chiffre tombe à 30 %.
Aujourd'hui, on peut donc utiliser l'IA pour prendre de meilleures décisions de budget, de casting ou même de scénario, mais techniquement, jusqu'où son rôle peut-il aller ?
S. A. : Tout dépend de sa configuration, en fait. Je suis un scientifique, mais comme je vous disais, je suis aussi réalisateur de films. Je crois vraiment que les êtres humains doivent rester au cœur de la créativité, donc chez Largo, on conçoit nos outils IA dans cette perspective-là. Évidemment, si vous voulez que l'IA aille plus loin, c'est possible. Elle peut écrire des scénarios. En revanche, la qualité de ce qui est produit n'est pas folle. Nous avons même soumis à notre IA des scénarios produits par une autre IA. Sans surprise, notre outil a estimé que c'était nul. Mais même si on arrive techniquement à faire écrire de meilleurs scénarios, je ne pense pas que ça deviendra la méthode adoptée par tous. Je crois que l'intelligence artificielle, c'est une aide, une assistance offerte à l'industrie du cinéma. Ni plus ni moins.

Et quels professionnels du cinéma voient aujourd'hui le plus de potentiel dans votre outil ? Comment l'utilisent-ils ?
S. A. : Pour l'instant, la plupart de nos clients sont des producteurs ou des distributeurs. Mais on réfléchit à le rendre plus accessible aux scénaristes. Généralement, les producteurs entrent dans la machine un scénario qui est en cours de développement. À ce stade, ils n'ont pas encore de casting, ils réfléchissent au budget. Sur notre plateforme, ils vont pouvoir faire des projections de budget – et de succès – selon le genre, selon les versions de scénario, selon le casting. À la postproduction, le système est en mesure de les conseiller sur leur stratégie de distribution.

En somme, c'est un peu comme un screen-test du film, bien avant qu'il soit terminé...
S. A. : Oui généralement, les screen-tests sont réalisés une fois le film monté. Là, vous avez de premières intuitions, des indications pour aider le producteur à prendre des décisions nourries. Netflix et Amazon ont les technologies nécessaires pour faire tout ça. Ce n'est pas le cas des producteurs indépendants qui n'ont ni le temps ni les ressources humaines ou financières pour développer de tels outils. Contrairement aux studios qui sont des grosses machines, les producteurs indépendants peuvent l’adopter et en tirer profit très rapidement.
Oui, c’est plus facile pour eux. En revanche, est-ce que l’adoption de l’IA par les indépendants ne va pas entraîner plus de biais sexistes et raciaux ? Dans l’histoire du cinéma, par exemple, peu de femmes ou de Noirs ont été récompensés. J’imagine que l’IA ne les recommandera pas.
S. A. : Oui, c’est possible mais encore une fois, c'est une question de configuration et de ce que vous donnez à l'IA comme information. Vous pouvez dire à la machine de ne pas se baser sur l'histoire, sur le genre ou les origines. L'IA se concentre alors sur d'autres éléments : par exemple, sur les talents des acteurs, sur le genre de rôles qu'ils ont déjà incarné, etc. Et c'est de cette façon qu'on peut régler les questions de diversité. Tenez un exemple. On parle beaucoup de la prochaine incarnation de James Bond. Dans le top des acteurs proposés par notre IA figuraient deux femmes.
L’intelligence artificielle n'a pas toujours raison, mais elle voit des connexions, des associations, des éléments qu'on n'est pas toujours en mesure de voir. En tant qu'humain, je ne peux pas voir une quantité pharaonique de films. L'IA le peut. Je dis souvent que l'intelligence artificielle est un exhausteur, un amplificateur. Elle met en avant l'important. Elle aide à prendre des décisions beaucoup plus rapidement et surtout, elle permet de consacrer son temps aux tâches les plus créatives. C'est une chance.
Participer à la conversation