
On a oublié qu'au XVᵉ siècle, il y avait des baleines dans le golfe de Gascogne, et une espèce de grand pingouin en France au début du Moyen-Âge.
Les luttes contre le dérèglement climatique et contre l’effondrement de la biodiversité sont intimement liées. La protection et la restauration des écosystèmes sont nécessaires pour relever le défi climatique, et limiter la hausse des températures moyennes est indispensable pour préserver la biosphère, rappelle le GIEC. Pourtant, une étude de chercheurs franco-canadiens montre une différence importante de traitement médiatique entre les enjeux liés au changement climatique et ceux liés à l’érosion de la biodiversité. Selon Auriane Clostre, directrice de l'impact chez Stim, professeur à l'ESCP, animatrice de la Fresque du Climat et de la Fresque de la Biodiversité, cette différence de traitement s'explique en partie par un mécanisme psychologique appelé « amnésie écologique ».
L'amnésie écologique engendre l'inaction. Pouvez-vous nous expliquer ce concept ?
Auriane Clostre : La notion d’amnésie écologique (shifting baseline syndrome en anglais) vient de Daniel Pauly, un biologiste franco-canadien. En résumé, chaque génération prend comme référence l'état de la nature à sa naissance. L’amnésie écologique, désigne donc une sorte d’amnésie générationnelle : nous venons au monde et grandissons dans un environnement que nous considérons par défaut être la version du monde la plus complète qu’il y ait eu. Or, l'état de la planète n'est pas celui que la génération avant nous – ou celle encore d'avant – ont connu, compte tenu des ravages causés à la biodiversité ces 30 dernières années.
En quoi est-ce problématique ?
A. C : Le référentiel bouge en permanence : chaque génération accepte ainsi des situations de plus en plus dégradées. Si l'on se base sur les taux d'extinction des rapports de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), on se rend compte que nous avons connu sur les 200 dernières années un taux d'extinction bien plus catastrophique que lors de la crise Crétacé-Tertiaire. Dans notre imaginaire, cette période qui s'est étalée sur près de 10 000 ans, est une référence importante, car elle se caractérise par l'extinction massive de nombreuses espèces animales et végétales, dont les dinosaures.
Cette amnésie collective est donc un frein à la mobilisation en faveur de la biodiversité ?
A. C : On a oublié qu'au XVᵉ siècle, il y avait des baleines dans le golfe de Gascogne, et une espèce de grand pingouin en France au début du Moyen-Âge. Les enfants nés à la fin 90/début 2000, ne connaissent pas le phénomène des insectes écrasés sur les pare-brise… L'amnésie écologique engendre une perte de mémoire collective de l’état de dégradation des écosystèmes. Pour les enfants d’aujourd’hui, l’état de nature est celui de leur naissance. C'est par conséquent celui qu'ils vont vouloir défendre. Mais peut-on se satisfaire de ça ? Non. En Europe, continent qui a fait le plus vite reculer la nature, cette perte de mémoire, de savoir et de connaissance générationnelle, va jusqu’à impacter le vivre ensemble. On le constate avec les projets de réensauvagement. Quand on essaie de faire revenir des espèces (lynx, loup…) qui ont disparu depuis un siècle, ou lorsqu'elles reviennent seules, nous sommes confrontés à une levée de boucliers. Le simple fait de pouvoir vivre ensemble est contesté, alors que dans les zones où ces espèces n’ont jamais disparu, la question n’est pas un sujet.
Pour sensibiliser au déclin de la biodiversité, on met en avant les risques économiques. Que pensez-vous de cette approche ?
A. C : On entend souvent dire que 50 % du PIB mondial dépend « moyennement ou fortement » de la biodiversité. Mais tout n'est pas réductible à des pourcentages. Ce qui dépend directement de la biodiversité, c'est toute la chaîne agroalimentaire, et par conséquent la survie de l'humanité. Au-delà même du fait que poser une valeur sur la biodiversité est quelque chose qui pose question philosophiquement, le vrai sujet n’est pas celui des chiffres, mais celui des ressources. Même si le PIB ne dépendait qu’à 5 % de la biodiversité, l'enjeu doit devenir prioritaire pour tous si l'intégralité de ces 5 % correspond à nos besoins vitaux (alimentation, eau, air de qualité…). On ne mange pas des Iphones et on ne respire pas des flux internet. C'est un peu la même analogie que fait Jean-Marc Jancovici avec l'énergie. Dire que l’énergie ne représente que 3 % du PIB mondial revient à dire que dans notre corps le cerveau ne correspond qu’à un infime pourcentage de notre poids. Sauf que sans cerveau, rien ne fonctionne. Ce qui est vrai concernant l'énergie, l'est aussi pour la biodiversité.
L'amnésie écologique suffit-elle à expliquer que l'on parle plus du climat que de la biodiversité ?
A. C : Non, on peut y ajouter deux facteurs aggravants. Le premier est la perte de connaissance : les gens sont capables d’identifier différents logos de voitures, mais ne savent pas reconnaître un oiseau ou une essence d’arbre. Le second : une perte d’expérience liée à l'urbanisation de nos sociétés. Les deux combinés conduisent à l’acceptation d’un état de dégradation. Ce n'est pas un hasard si les agriculteurs ont été parmi les premiers à alerter sur la sécheresse et la dégradation des conditions. Ils expérimentent au quotidien, ils sont aux premières loges. Le détachement des populations les empêche de se rendre compte de l’apocalypse en cours côté biodiversité. Tout cela explique qu'on ait un tropisme « climat » aussi fort.
Vous êtes professeur à l’ESCP et vous avez fondé le cours « Biodiversity, Society & Business » pour le Master en Management. Pourquoi ?
A. C : Il manquait un syncrétisme entre des acteurs comme le Muséum national d'Histoire naturelle, qui rassemble des naturalistes et éthologues ayant une connaissance scientifique profonde de la biodiversité, et le monde économique, qui essaie de s’approprier le sujet. Le formatage des connaissances et des compétences font que ces mondes ne se parlent pas. L'urgence environnementale nécessite de repenser en profondeur les activités historiques des entreprises et les modèles industriels, et de réinventer des secteurs entiers. À travers ce cours j’essaie de faire la passerelle, une forme de traduction entre ces deux mondes.
Chez Stim, vous accompagnez les entreprises à la transition environnementale. Quelle est votre approche ?
A. C : On ne croit pas vraiment aux récits de transitions linéaires des entreprises : faire la même chose, en polluant et en émettant moins. Travailler sur l’optimisation de sa performance environnementale ne sera pas suffisant pour atteindre les objectifs fixés. C’est ce que nous appelons le mur invisible de la R&D : « une sorte de seuil, souvent implicite, auquel se heurtent les efforts de R&D des entreprises et qui semble infranchissable. » On plaide pour une transition de type « vases communicants ». Il faut tendre vers une forme d’ambidextrie : travailler l’optimisation de la performance en anticipant les évolutions métiers et entreprises. Fabriquer des voitures individuelles est une activité qui n’aura plus sa place en 2050 par exemple.
Vous proposez un compromis entre les techno- solutionnistes et ceux qui militent pour la décroissance ?
A. C : Cette dichotomie est un argument fallacieux. Il faut se réinventer en profondeur. Je ne parle pas de faire un énième pari technologique qui nous permettra de patienter quinze ans, mais de modèles qui permettent de passer à l'échelle autour de l'économie circularité, la fonctionnalité… Il y a entre les deux, des innovations d'usages et des modèles d'affaires qui permettent une transition vertueuse. Se réinventer passe par une prise de conscience de ses impacts sur l'environnement et de sa dépendance vis-à-vis de la biodiversité. On attend autre chose des entreprises qu’une posture de gestionnaire d'un modèle historique dont elles ont hérité et qui n'est pas compatible avec les enjeux environnementaux. Les entreprises qui ne reprendront pas la main pour changer de voie et être proactive dans leur transition seront obsolètes. Au cœur de la réinvention, il y a une innovation incroyable et magnifique : la nature.
Cette dépendance induit donc une collaboration avec elle ?
A. C : Coopérer avec la nature permet par essence de développer des solutions et des services écosystémiques, vecteurs de réduction des impacts et d’adaptation face au dérèglement climatique. L’entreprise doit créer sa transition, commencer à construire des vases communicants. Pour préparer le futur il faut de l’analytique et du rationnel, certes. Mais il ne faut pas se voiler la face : il y a aussi des incertitudes et une part d’émotionnel à gérer (envie, peur, crainte...). On ne peut retirer ces éléments de l’équation et du débat. Poser ces deux volets dans la réflexion permet de créer du consensus et de l’engagement. Sans quoi en résultent des solutions artificielles et superficielles. Nous n’avons jamais été confrontés à un défi aussi important : la survie de l’humanité et des espèces qui nous entourent. Il faut retrouver du sens, réfléchir collectivement, reprendre la maîtrise du cours des évènements… Beaucoup de crispations sont dues à la peur : face à cela, il faut être capable de construire un récit désirable. À quel moment la survie de l’humanité n’intéresse-t-elle pas les gens ?
Alors, comment on fait pour mobiliser ?
A. C : Rien de révolutionnaire. Il faut agir sur le triangle de l'inaction : les citoyens, le gouvernement et les entreprises. Tout le monde se renvoie la balle en permanence. Vu l'état d'urgence, chacun a son rôle à jouer. Il faut sensibiliser et informer les citoyens consommateurs. Au niveau politique, il est nécessaire de changer de logiciel de pensée. Il est ancré dans nos esprits que la supériorité de l’homme sur le reste du vivant et l’exploitation de la nature relève du rationnel. L'approche de certains philosophes comme Descartes quant au rapport à la nature est dévastatrice. Cette prétendue supériorité est en réalité tout sauf rationnelle. Des anthropologues et des ethnologues comme Philippe Descola, ou des philosophes comme Baptiste Morizot ou Vinciane Despret, nous enseignent que cette approche est culturelle. Aujourd’hui, l’état de connaissance des sciences nous enseigne l’humilité et la remise en question de ce biais culturel.
Comme d'habitude un article intéressant, intelligent, qui puise son argumentation chez les penseurs du sujet (Aurélien Bareau, Jancovicci) mais bâcle la partie solution, voire la partie problème. Le problème n'est-il pas celui du narratif et du mode de communication ? Le rationnel ne fonctionne pas. Il est nécessaire mais inefficace. C'est donc lui qu'il faut revoir. Séduire avant de (pour) pouvoir convaincre, ce qu'aucun des porte-parole du développement durable n'a vraiment réussi à faire depuis 50 ans (sinon on n'en serait pas là !). De même les sujets sensibles sont soigneusement évités : comment réduire drastiquement la population, comment faire la révolution sociale (le consumérisme est fondé sur l'obsolescence et la croissance : quel autre modèle propose-t'on et comment le rendre séduisant ?) et les communiquer positivement pour les rendre aussi sexy que la shopping society (à laquelle le développement durable participe activement sans rien résoudre) ? Et si c'était ça le sujet ?
Encore un article stupide et putassier avec l'interview d'une grande ponte du "ne polluez pas les pauvres" sans pointer du doigt les vraies solutions. Non, les voitures ne cesseront pas d'exister en 2050, non les gens ne sont pas aussi insensibles à l'écologie qu'on le dit. De plus, citer les rapport du GIEC comme référence montre que cette chère Auriane ne connait rien ni à son sujet, ni aux conditions dans lequel ces torchons biaisés sont produits.
Il est très facile de dire que tout va mal, mais bien plus dur de proposer une solution. Et ce n'est pas ici qu'on va en trouver.
petite question ,on va inciter les jeunes à planter des arbres et ou coupe des arbres pour une future autoroute ou se trouve la logique ? si le peuple manifeste son mécontentement il risque la garde à vue résultat je ne manifeste plus car une main ou un oeil en moins pour la planète merci j'ai choisi . le jour ou on pourra s'exprimer librement je ferai un effort .
le système de consommation et la capitalisation ,plus la démographie croissante empêchera tout les efforts
pour la bio diversité et contre le réchauffement climatique.
l homme a tout massacré les animaux jusque au dernier la nature est détruite pour construire du beton partout des autoroutes des aeroports on casse on bétonne bravo après les incendies les innondations ça continu de plus belle
Il est fait référence à Descartes ("maître et possesseur de la nature ?") par l'auteur à l'appui de sa thèse, mais il s'agit là d'un contresens bien connu sur le propos du philosophe, qui n'a pas l'approche qu'on veut lui imputer et qui est souvent caricaturée.
il y a rien de VRAIMENT positif a faire, la machine d'auto-destruction est lancé depuis l’ère industrielle ou tout a commencer a se dégrader et a être polluer par l’être humain.Soit un peu plus de 200 ans !!! Et en a peine plus de 200 ans on connait tous le niveau catastrophique de pollution de la terre, une poubelle géante ou tout est polluer, du plus profonds (abysse) au plus haut sommets des montagnes.Et rien n'est fait (ou alors du pipi de chat) pour enrayer cette pollution massive qui ne cesse de croitre de jours en jours vitesse grand V.On continue a construire partout partout partout des maisons individuelles, des lotissements,des structures diverses qui empiètent toujours et encore plus sur les terrains naturelles (prés,champs,végétations divers ...) Toutes ses constructions auront besoin d'eau, d’électricité et de chauffage ... Le serpent qui se mort la queue ... Tout ça pour faire vivre une population, de plus en plus nombreuse dans une société d'ultra-surconsommation.Les politique s'en tapent royal ! Surtout celle de makron le financier capitaliste puissance 100 milles ! Capitalisme et planète ne vont pas du tout ensemble, donc c'est mort d'avance depuis longtemps.Seul le business, les intérêts financiers, la soif d'argent grandissante d'année en années domine et intéresse se monde de tarés et dangereux individus !!!! Et c'est malheureusement ça l’évolution de l'homme moderne: s’auto détruire a en devenir son PROPRE PREDADEUR !!! On nous parle souvent de l'an 2100, mais au train au ça va, c'est pas dis que l’être humain connaisse un jour l'an 2100 ...
Bonjour, bravo pour cette mise en lumière de l'amnésie écologique: je travaille depuis des décennies sur l'importance des herbivores dont une majorité d' espèces ont été éliminées en grande partie par l' homme, ces espèces jouaient un rôle majeur (espèces clef de voûte) en matière de biodiversité ou de fonctions écologiques (maintien de milieux ouverts qui stockent le carbone autant que les forêts si ce n' est plus et qui ne brûlent pas). il y a beaucoup à dire sur cette question du rôle des herbivores qui constituent une sorte de "couteau suisse" qui peut concourir à aider notre humanité sur les questions de l' érosion de la biodiversité, du maintien d'insectes pollinisateurs, de la raréfaction des incendies de forêts, de la limitation des inondations, de la recharge des nappes phréatiques....
je fais des conférences et donne des cours dans l' enseignement supérieur sur cette question et préside par ailleurs plusieurs conseils scientifiques. J' ai"un labo à ciel ouvert" où sur 80ha j' expérimente depuis 40 ans avec différentes espèce d'Ongulés herbivores. Il est clair que l' amnésie écologique est un frein sérieux pour nombre de personnes quant à une bonne compréhension de ce rôle des herbivores....
aujourd’hui le temps c'est de la vie ....
Deux exemples concrets qui confirment le constat développé, s'agissant des particuliers, comme des entreprises.
Un voisin proche confie que ses enfants devenus grand ont décidé de ne pas avoir d'enfants, trop lucides qu'ils sont de l'avenir sombre de l'état de la planète qui ne nous permettra pas de nous maintenir, sur un relatif court terme. Il sait qu'il n'aura donc pas de petits enfants et cela semble lui peser. Pour autant, ce même voisin, avec sa compagne utilisent largement l'aviation civile pour des voyages lointains fréquents, simplement pour le loisir.
Un grand groupe établi des plans de communication interne (et externe) pour montrer les efforts de prise en compte, d'une participation active pour combattre les effets du dérèglement climatique.
Dans une réunion, à un bon niveau de ce même groupe, quand on évoque simplement le fait de ne plus utiliser (ou minimiser) l'usage de l'aviation civile pour des missions, sur des destinations métropolitaines mais plutôt par voies ferrées, gros silence et gêne manifeste des personnes assises autour de la table, ces mêmes personnes étant engagées pour appliquer la mise en place d'actions pour verdir l'activité.
Ces 2 simples exemples (vécus, puisque témoin actif dans ces 2 situations précises) montrent juste que nous ne sommes pas à un paradoxe près, s'agissant de nos propos et constats, dans notre vie quotidienne. Nos propres actions disent le contraire de ce que nous disons et pensons.
Les gens ont pas a se rappeler vue que c'est le travail de nos politiques de gérer ça ! Encore faut il au minimum que ces imposteurs écoutent les scientifiques et surtout qu'ils arrêtent de se foutre de eux une fois qu'ils sont au courant d'un problème lié aux écosystemes
Bravo et merci pour cet article très éclairant !
Yves
la nature s'adresse en permanence à l'humanité, mais les Hommes n'écoutent pas, quoique........