
La question du réchauffement climatique, c'est maintenant ! Et si des solutions existent... reste à les déployer.
Les conséquences climatiques de la sécheresse sont là. Selon le rapport « La sécheresse en chiffres, 2022 », publié par les experts de l'ONU en mai 2023 : 15 % des catastrophes naturelles sont des sécheresses. Sur les 50 dernières années, on dénombre près de 650 000 morts dues à la sécheresse (ce qui en fait la catastrophe naturelle la plus mortelle de toutes). Entre 1998 et 2017, 124 milliards de dollars de pertes économiques mondiales sont attribuables à des sécheresses. 2,3 milliards de personnes sont actuellement confrontées au stress hydrique (dont près de 160 millions d'enfants). Si aucune mesure n'est prise dans les 10 prochaines années, les trois quarts de la population mondiale seront touchés et 700 millions de personnes risquent d’être déplacées d’ici à 2040. « Nous sommes à la croisée des chemins », prévient Ibrahim Thiaw, secrétaire exécutif de la CNUCLD (Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification).
Ce constat, particulièrement inquiétant, ne doit pas pour autant paralyser, mais au contraire « servir de socle de refondation à l’action climatique » indique Ilian Moundib, membre de l'Institut Rousseau, dans sa note, « Comment s’adapter à la crise climatique ? ». Consultant senior Climat-Energie chez EcoAct (cabinet de conseil français spécialisé dans l'accompagnement des entreprises face aux enjeux climat) et formateur pour La Fresque de Climat, Ilian Moundib répond aux questions de L'ADN.
Comment se traduit la sécheresse en France ?
Ilian Moundib : La hausse des températures moyennes a atteint 1,7 °C par rapport à 1990, avec une accentuation du rythme de celle-ci au cours des trente dernières années. Et ce n'est qu'un début. Selon les prévisions, les épisodes intenses de sécheresse en Europe pourraient être dix fois plus fréquents et 70 % plus longs d’ici 2060. Mais il est encore possible d’éviter un réchauffement de 2°C (par rapport à l’ère préindustrielle). Le traitement de la cause, c’est-à-dire, la réduction des émissions de gaz à effet de serre reste bien entendu fondamentale pour éviter les conséquences les plus dramatiques du réchauffement. Cependant, il apparaît essentiel d’y adjoindre le traitement des conséquences, c’est-à-dire l’adaptation au changement climatique comme une brique d’égale importance de la transformation que nous devons opérer.
Un retour en arrière est-il possible ?
I. M : Le système climatique ne reviendra jamais à son équilibre. Nous nous trouvons à un stade irréversible. Un arrêt des émissions stopperait la dérive sans permettre le retour au climat passé. Une situation due à la dynamique et aux propriétés du changement climatique. En effet, même si on arrêtait d’émettre du CO2 il faudrait un siècle pour en évacuer 50 % (un millier d'années pour en évacuer 75 % et 10 000 ans pour qu’il n’en reste plus que 10 % dans l’atmosphère). Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il ne faut pas tout faire pour atteindre la neutralité carbone qui permettra d’arrêter de faire augmenter le thermomètre. Les étés 2022 et 2023 sont donc la nouvelle norme.
Quelles sont les conséquences hydrologiques pour la France ?
I. M : Le changement climatique exacerbe les extrêmes hydrologiques (augmentation des températures moyennes et des extrêmes de température). C'est une tendance globale mondiale. Selon les prévisions de la DRIAS (plateforme de Météo France), dans le scénario + 4°, la France, connaîtra un assèchement global important. Plus particulièrement sur les pourtours atlantiques et méditerranéens. Ce qui aura pour conséquence un stress hydrique (pénurie d'eau) qui engendrera des restrictions en eau potable et impactera notre agriculture en termes de diminution de rendements.
Qu’entend-on quand on parle de stress hydrique ?
I. M : Le risque climatique fait référence à deux choses : l'exposition (évolution selon différents scénarios) et la vulnérabilité. Dans le cas hydrique, le paramètre vulnérabilité dépend des usages : les prélèvements d'eau et la consommation. Le premier poste de consommation d'eau est occupé par l'agriculture qui représente 57 % du total. Près des 2/3 de l’eau consommée en France partent pour l’agriculture. Arrivent ensuite la consommation d'eau potable (26 %) et les usages industriels (12 %). Si on se focalise sur l’agriculture, selon les données du consortium « Les Greniers de l’abondance », dans les 57 % utilisés, près de la moitié est dédiée à un seul type de culture : le maïs grain. Une production destinée majoritairement à l'alimentation animale (française ou d'exportation). Ce n’est donc pas un facteur d'autosuffisance et de souveraineté alimentaire.
Quels sont les autres facteurs de vulnérabilité liés aux pratiques agricoles ?
I. M : La mécanisation, les pesticides, les engrais… Autant de facteurs qui augmentent la vulnérabilité des sols en empêchant la rétention de l'eau et in fine le remplissage des nappes phréatiques. L’eau reste en surface et s’évapore, ce qui a pour conséquence de nous priver d’une partie des ressources. Dernier élément de vulnérabilité : on perd un litre d'eau sur cinq dans son transport (canalisation).
Quels sont les risques qui découlent de ces vulnérabilités ?
I. M : La multiplication des conflits d'usages. À ce jour, il n'existe pas de réglementation émanant de la puissance publique sur les usages (si ce n’est des restrictions sur la saison estivale ou sur un certain nombre d'activités consommatrices). À défaut d'anticipation, il sera nécessaire de procéder à des arbitrages dans l'urgence. Notamment durant la période estivale où il faudra arbitrer entre l'eau du robinet, la production agricole et les usages industriels. Le risque ? Un phénomène qui peut générer à son extrême des guerres de l'eau. C’est-à-dire des intérêts divergents sur l'utilisation de l'eau qui se manifeste de façon violente à défaut de régulation de la puissance publique dans le processus de gestion de la ressource en eau.
Peut-on considérer la question des mégabassines comme une illustration de ces conflits d’usage ?
I. M : Dans une situation de pénurie, les acteurs économiques les plus importants se mobilisent pour influencer les décisions (lobbying…). Ils se présentent souvent comme des experts souhaitant apporter des solutions. Bien souvent à leur avantage. Dans le cas des mégabassines, la solution proposée vise à maintenir un modèle de production de maïs grain orienté sur l’exportation et l’économie qui en découle. Mais dans les faits, cela revient à privatiser la ressource en eau. Avec ce type de proposition, on ne questionne pas les usages. Pourtant, face à une ressource qui diminue, si on ne raisonne pas au niveau de la consommation en général et qu'on décide que les usages vont rester identiques on se met à devoir gérer des problèmes inextricables. On se retrouve avec des solutions qui peuvent créer plus de problèmes qu'elles n’en résolvent. C'est ce qu'on appelle la mal adaptation et les mégabassines en sont une illustration.
La solution n'est-elle pas de traiter la ressource en eau comme un bien public ou un bien commun ?
I. M : Faute de régulation et de répartition juste, certains acteurs chercheront à sécuriser leurs productions en s'appropriant la ressource. Une privatisation qui se fera au détriment d'autres activités agricoles, plus petites et le plus souvent à destination de l'alimentation humaine et du marché intérieur français. Il y a beaucoup de difficultés et de prudence des pouvoirs publics pour traiter cette question des usages, en raison de la pression des lobbies économiques. En effet, la question de la gestion de la ressource en eau implique des problématiques plus vastes sur l’alimentation, la consommation et plus largement sur nos habitudes. Des questions brûlantes qui touchent directement les consommatrices et les consommateurs.
Quelles sont les solutions qui permettraient de limiter la vulnérabilité de notre système agricole ?
I. M : La meilleure façon de se prémunir contre les risques hydriques, c'est d'abord de tenir nos objectifs en réduisant au maximum les émissions de gaz à effet de serre. Beaucoup de solutions sont liées à une transition vers des usages plus sobres qui permettront de diminuer notre consommation d'eau. Selon les estimations du GIEC nous perdons, par degré de réchauffement supplémentaire, 6 % de rendement pour le blé, 3,2 % pour le riz et 7,4 % pour le maïs. Il faut donc privilégier des cultures peu consommatrices en eau. Le sarrasin, le lin ou le sorgho sont d'excellentes alternatives. Autre axe de transition : la planification d'une décroissance de la production de viande bovine. La production de denrées à destination des animaux d'élevage mobilise 85 % des surfaces agricoles et on estime que 50 % de ces surfaces pourraient satisfaire une alimentation humaine. Dans la mesure où la ressource en eau diminue et que la démographie augmente, nous aurons besoin de ces terres pour engager d'autres types de production. Ce sont quelques exemples d'adaptation parmi d'autres.
Il faut donc changer de modèle agricole ?
I. M : Oui, et pour ce faire l'agroécologie et l'agroforesterie offrent des réponses adaptées. En plus d'avoir des impacts positifs pour la biodiversité et de se priver d'une partie des pollutions, elles proposent un modèle agricole tout aussi productifs et moins consommateurs en eau. C'est le concept de l'agronome Michel Griffon : une « agriculture écologiquement intensive ». Le principe est de renaturer et reconstituer la richesse des sols pour retenir l'eau et bénéficier d'une productivité quasi similaire à celle qui recourt à l'utilisation d'engrais.
Cette transition nécessite un accompagnement des agriculteurs vers d'autres formes de production. Comment on fait ?
I. M : Nos agriculteurs vieillissent, une nouvelle génération arrive. Cette transition doit permettre de générer un nouveau pacte pour l’agriculture. En planifiant des formations sur l'intégration de nouvelles pratiques agricoles, de nouveaux objectifs de diversification des productions, de réduction de l'utilisation des engrais, et des pesticides, de protection des sols, mais aussi des objectifs de diminution progressive de la taille du cheptel bovin. Il faut également conditionner les subventions à des critères climatiques stricts en termes d’empreinte carbone pour faciliter l'installation des projets et généraliser des outils de la commande publique (cantine, restauration collective...) afin d’offrir un débouché de production stable et équitable aux agriculteurs. C'est ce qu'on appelle le déploiement d'une trajectoire de sobriété hydrique.
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