Aquarelle pop d'un paysage vert, réalisée via Dreamstudio

Transition écologique : 100 entreprises se sont lancées et vous partagent un guide pratique pour vous y mettre

© Florence Banville via Dreamstudio

Le Grand Défi, c'est cent entreprises tous secteurs, toutes tailles, toutes localisations qui se sont lancées dans la transition écologique. En plus, elles vous partagent leur to do list. Ne reste plus qu'à nous y mettre !

Pendant des mois, à raison de six sessions de deux jours alternant ateliers et conférences, 100 entreprises françaises ont été invitées à plancher sur la manière dont elles pourraient faire basculer leur modèle économique. Salariés, dirigeants, actionnaires ont participé à ce processus d’intelligence collective conçu par Le Grand Défi. Cette initiative participative s'inspire de la Convention Citoyenne pour le Climat et a été menée par la géopolitologue et prospectiviste Virginie Raisson-Victor et le fondateur d’Engage, Jérôme Cohen. Deux tiers des participants sont issus de PME, 23 % d’ETI, et 13 % de grandes entreprises dont la majorité a été tirée au sort. L'objectif ? Prouver que toutes les sociétés peuvent basculer et fournir un livret clair et synthétique à toutes celles qui veulent s'y mettre. On vous raconte ce Grand Défi qui veut relever celui de la crise climatique, en nous donnant les moyens d'y parvenir.

Sortir du business as usual

« Avant d’être contacté par le Grand Défi, j’avais des notions sur le dérèglement climatique mais je n’appliquais pas grand-chose », reconnaît Olivier Faucheux, directeur d’une PME de transport de marchandises en Eure-et-Loir. À titre personnel, Olivier a remplacé son véhicule à essence par un véhicule électrique, mais dans sa PME familiale de 25 employés, Transport Faucheux, spécialisée dans le transport de marchandises en vrac et en conditionné, le climat n’est pas souvent à l’ordre du jour. Ce n'est pas faute d'avoir essayé : il y a quelques années, Olivier s’est lancé dans une démarche de labélisation en s’inscrivant au programme Objectif CO₂, spécialisé dans le transport. « Le programme durait trois ans, mais nous en sommes sortis au bout de deux, déplore Olivier. Ce n’était pas suffisamment concret, nous n’avancions pas ». Quand on l’a contacté pour lui parler d’une initiative participative avec 150 entreprises de toute la France, Olivier est resté prudent. Pas question de gaspiller de l’énergie et du temps pour un écran de fumée ou une opération de greenwashing. « J’ai fait mes recherches pour vérifier que l’initiative était crédible et que j’y avais ma place, sachant que je n’avais aucune base sur le sujet. »

Sophie Donabédian, elle, avait déjà « pris sa première claque climat » lorsque la directrice exécutive du Grand Défi l’a contactée en mai dernier. Directrice de la stratégie, de la transformation digitale et de la RSE au sein de la société industrielle Sediver, Sophie est tombée dans la marmite de la Fresque du Climat il y a bientôt trois ans par le biais de l’association d’anciens de son école de commerce, l’ESSEC. « Je me suis formée à la Fresque du Climat et suis devenue animatrice auprès des étudiants de première année. » Dans la foulée, Sophie & a créé un podcast dédié à la transition écologique et sociale avec d’autres anciens de l’ESSEC, intitulé Bouge de là. Elle fait ce qu’elle appelle « des petits pas » et pousse son entreprise à en faire aussi. Ce n’est pas chose aisée pour un groupe industriel qui fabrique des isolateurs pour les lignes électriques à l’aide de verre, de métal et de ciment. « L’entreprise est dans une démarche de conformité à certaines normes, concède Sophie. Quand j’ai été contactée pour le Grand Défi, on venait d’entamer notre bilan carbone, et on avait organisé une semaine du climat dans nos différents sites ; mais globalement, c’était plus réactif que proactif. » Lorsqu’elle découvre l’existence du Grand Défi, Sophie est impressionnée par l’ampleur de la tâche : « C’était une initiative très collaborative, avec un programme beaucoup plus ambitieux que ce que j’imaginais : l’objectif n’était rien de moins que de sortir du business as usual en allant chercher un système de propositions concrètes. J’ai tout de suite été emballée, et mon patron aussi. » 

Déclics et des claques

« Arrivé dans le Grand Défi, tout m’est tombé dessus », se souvient Olivier. Les délégués des 100 entreprises se réunissent une première fois à Nantes pour se rencontrer, écouter des grands noms des sciences environnementales poser un diagnostic sur la situation (Sophie Szopa du GIEC et Philippe Grandcolas de l’IPBES, souvent surnommé « le GIEC de la biodiversité »), et faire des ateliers de sensibilisation (Fresque du Climat et Fresque de la Biodiversité, entre autres). C’est la première d’une série de six sessions au cours desquelles le groupe se soude et devient rapidement « une ruche » hyperactive, sous les yeux émus des fondateurs du Grand Défi – « une émotion politique, citoyenne », rapportera Virginie Raisson-Victor à la soirée du 9 février. « Je ne m’attendais pas à ce que les délégués s’impliquent autant », avoue Jérôme Cohen.

Déstabilisé au premier abord par le jargon des responsables RSE qui l’entourent, Olivier se prend rapidement au jeu de l’intelligence collective. « Tout était passionnant », sourit-il. Il se souvient d’une intervention de Sébastien Bohler, docteur en neurosciences, sur son livre Le Bug Humain : « Comprendre comment fonctionne notre cerveau pour mieux agir, c’est quelque chose que j’ai beaucoup retransmis autour de moi une fois rentré, notamment à ma famille ». Sophie acquiesce : « C’était intéressant d’avoir son analyse de l’addiction et de la compulsion, pour comprendre notre lien à la consommation. »

Pour elle, le déclic le plus important a eu lieu à la troisième session, à Grenoble, lorsque Diego Landivar, chercheur en sciences économiques, est venu parler de redirection écologique et des « technologies zombies », ces technologies qui ne servent plus aucun besoin mais que nous maintenons en vie artificiellement parce qu’elles génèrent de la croissance. « Son intervention m’a poussée à revenir au cœur du business model de mon entreprise. Je me suis demandé : est-ce que l’activité de mon entreprise est une activité zombie ? Est-ce qu’elle a un rôle à jouer dans le monde de demain et si oui, lequel ? Si elle ne sert à rien, comment la transformer ? Sediver travaillant à l’électrification, elle sert à quelque chose et peut même être un des acteurs de la transition énergétique. Mais pour cela, il faut qu’on change notre façon de faire pour réduire notre impact en matière de consommation d’énergie et de matériaux ». C’est le déclic : « Jusque-là, je ne m’étais jamais posé la question de notre modèle d’affaires en ces termes. J’étais dans l’atténuation des effets, pas dans le traitement du problème à la source. »

Au fil des sessions et de l’émergence des propositions, les délégués se répartissent en groupes d’expertise pour travailler sur une catégorie de solutions (gouvernance, comptabilité, formation…). Mais pas question de se spécialiser sur quelques propositions au détriment du reste, insiste Jérôme Cohen. « On alternait des sessions plénières, des moments de partage et de comptes rendus, pour que les délégués participent à tout, en plus d’être experts d’un domaine. Nous voulions que toutes les entreprises portent l’intégralité des propositions. »

Le résultat final est un livret de moins d’une centaine de pages, avec 100 propositions réparties en dix grands secteurs d’action : gouvernance, engagement, financement, outils de production, production, logistique, conditionnement, distribution, communication et comptabilité. Chaque proposition est présentée avec une feuille de route pour sa mise en œuvre, une trajectoire pour fixer des objectifs à plus ou moins court terme, et deux scores : un niveau d’impact et un niveau de difficulté de mise en œuvre.

« Un espace pour ne pas regarder uniquement le court terme »

Rentrés au bercail la tête pleine de projets, les deux délégués s’attachent à ne pas laisser la routine reprendre le dessus. Car si le Grand Défi a été un moment si riche, c’est parce qu’il a permis aux salariés, dirigeants et actionnaires de s’arrêter pour prendre du recul. « On ne prend pas souvent ce temps-là, dans le day-to-day d’une entreprise », observe Sophie. C’est grâce à ce moment de pause qu’elle a par exemple découvert le sujet biodiversité, tout un pan de la crise environnementale qu’elle connaissait mal, alors qu’elle maîtrisait mieux les enjeux climat.

Mais on ne se débarrasse pas facilement d’une routine d’entreprise, et résister à la tentation du business as usual est aussi un Grand Défi. « Je rêverais de pouvoir emmener tout mon CODIR vers les découvertes que j’ai faites, sourit Sophie, mais il y a certains sujets qui reprennent vite le devant de la scène… ». La crise énergétique aggravée par la guerre en Ukraine a notamment conduit Sediver à ne pas s’occuper d’écologie autant que Sophie le voudrait. D’où l’importance pour elle de garder le lien avec la communauté du Grand Défi : « Plus que jamais, il faut que je continue à me nourrir, à garder cet espace pour ne pas regarder uniquement le court terme mais aussi préparer l’avenir. »

Cette difficulté à passer à l’action, les fondateurs du Grand Défi l’avaient anticipée. S’ils se sont inspirés de la Convention Citoyenne pour le Climat, ils ont aussi bien vu à quel point la conversion de l’expérience en mesures concrètes pouvait être délicate. C’est pour cela qu’ils ont conçu leur projet en trois temps : consultation de 65 000 acteurs du monde de l’entreprise, pour poser un diagnostic ; délibération, qui correspond aux six sessions de travail des délégués ; et diffusion, une phase amorcée le 9 février dernier avec la présentation officielle du projet au CESE, et qui va se poursuivre dans les prochains mois. « Nous avons construit un vaste écosystème de partenaires, d’entreprises marraines et de délégués pour contribuer à la diffusion de nos travaux », explique Jérôme Cohen qui mène depuis février des actions de lobbying d’intérêt général auprès des décideurs des sphères économie, politique et académique. Cet écosystème, dont les acteurs sont listés à la fin du livret des 100 propositions, est impressionnant : on y retrouve les têtes pensantes de la crise environnementale et de la sobriété (Emma Haziza, Timothée Parrique, Heidi Sevestre…), des acteurs économiques qui mènent la transition au quotidien (Arthur Auboeuf, Philippe Zaouati, Jacques Fradin…) et des structures engagées, qu’elles soient publiques ou privées : Académie du Climat, Engage, Nature & Découvertes, SNCF ou encore Pour un Réveil Ecologique. Bref, tout le gratin de la transition est dans l’aventure, et c’est ce qui permet au projet d’être diffusé massivement. « Nous avons déjà été contactés par beaucoup d’entreprises qui ont entendu parler de notre projet sans y avoir participé », se réjouit Jérôme Cohen.

La machine est lancée

Les délégués, quant à eux, ont enclenché la transformation de leurs entreprises respectives. Pendant le Grand Défi, ils ont réfléchi aux propositions qu’ils voulaient mettre en œuvre en priorité. Chez Transport Faucheux, ce sera la formation, à travers un atelier « 2 tonnes » qu’Olivier Faucheux va organiser avec ses collaborateurs, ainsi qu'un bilan carbone. Une des 100 propositions lui tient particulièrement à cœur : la création de centres logistiques mutualisés à l’entrée des villes (proposition Logistique n°4). L’idée est de créer des centres où les poids lourds déchargent leur marchandise pour que celle-ci soit prise en charge par des véhicules « verts » sur le dernier kilomètre. Pour une entreprise spécialisée dans le transport, cela représenterait un vrai gain en termes d’impact. « J’ai également commencé à travailler sur la réduction du nombre de trajets sur certaines lignes, car nous faisons certaines de nos lignes deux ou trois fois par semaine, ce qui n’est pas idéal. » Olivier a trouvé dans les 100 propositions un chemin de transformation qui lui correspond : « J’aime beaucoup le schéma des 100 propositions, qui est assez représentatif de ce qu’on peut faire dans une PME comme la mienne : formation, bilan carbone, et ensuite on avance petit à petit. »

Le chemin de transformation proposé par le Grand Défi, à retrouver dans le livret des 100 propositions.

Du côté de chez Sediver, le bilan carbone entamé l’année dernière, « toute première étape d’une trajectoire ambitieuse » selon Sophie, vient d’être terminé. Lundi 27 mars, Sophie a organisé un premier retour sur le Grand Défi auprès de tous les collaborateurs français de l’entreprise, avec pour objectif de « mettre en mouvement les collaborateurs, pour qu’ils portent le projet et non qu’ils reçoivent uniquement un récit ». Ensemble, ils ont identifié six actions déjà engagées ou à engager avant la fin de l’année (entre autres, formation de tous les salariés et définition d’une trajectoire de réduction de l’empreinte environnementale), et six actions à engager dans les deux ans, qui concernent surtout la production et la distribution : étendre la durée de vie des produits, et afficher leur performance environnementale. Toutes ces propositions sont directement issues du livret du Grand Défi. Il n’a pas été difficile de trouver des volontaires au sein de l’entreprise pour les porter, entre les employés qui ont déjà entamé des démarches de leur côté et sont ravis de voir leur travail valorisé et les commerciaux qui sentent grandir les attentes des clients. Prochaine étape : diffuser ces projets aux sites à l’étranger.

Sophie prévoit également de nouvelles formations : « On a déjà fait de la formation, mais j’ai compris au Grand Défi qu’il fallait continuer. On a touché des gens, mais peut-être qu’on les a touchés uniquement à titre individuel, et maintenant il faut qu’on répète et qu’on répète encore, pour que ça rentre dans nos réflexes professionnels. »

« S’ils font ça, pourquoi pas nous ? »

Répéter et répéter encore est une condition essentielle au succès de la diffusion du Grand Défi. Cette tâche repose en grande partie sur les épaules des 100 délégués qui, issus d’entreprises variées implantées sur tout le territoire, ont le pouvoir de diffuser les travaux du Grand Défi dans des milieux plus ou moins familiers du sujet. Sophie Donabédian et Olivier Faucheux ont tous deux bien conscience de cette responsabilité. Olivier, qui d'ordinaire communique peu sur ces sujets par crainte de « mettre trop de pression » à ses interlocuteurs, a décidé d’aller contre ses habitudes en parlant du Grand Défi à ses clients les plus importants. « Je ne suis pas aussi bon communicant que Sophie », sourit-il, « mais je fais à mon niveau ! ». Sophie proteste : « Tu es représentatif de beaucoup d’entreprises en France, et c’est ta force : quand tu communiques, les entreprises s’y retrouvent ». La représentativité est pour elle une des richesses du Grand Défi : « On voit des gens plus ou moins avancés dans des secteurs très variés, et cela rend possible beaucoup de choses. On se dit : si eux font ça, pourquoi pas nous ? »

Les délégués ont du mal à trouver les mots pour communiquer aux collaborateurs, partenaires et clients la force de ce qu'ils ont vécu au Grand Défi. Sophie s’avoue frustrée de n’avoir pu que « raconter sans faire vivre » à la réunion du 27 mars, même si elle a mis « beaucoup d’enthousiasme et d’énergie à transmettre l’envie de changement. » Cette frustration est largement compensée par l'attente qu’elle a senti de la part des équipes, avant même la réunion : « je n’arrêtais pas de recevoir des mails de collaborateurs qui voyaient passer les publications LinkedIn sur le Grand Défi et voulaient que je leur raconte. » Sophie se réjouit : « Je trouve génial que le mouvement vienne des employés ; c’est bon signe pour la suite ». Les clients, eux aussi, se mettent en mouvement. Sophie a découvert qu’un des clients de Sediver était une entreprise marraine du Grand Défi. Pour elle, c’est le signe qu’« au-delà du sens que cela donne à l’entreprise, la définition d'une trajectoire environnementale ambitieuse est un vecteur d’engagement très puissant des collaborateurs et des clients ». Une raison de plus de se lancer, s’il en manquait.

commentaires

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  1. Avatar olivier toma dit :

    bravo pour ces formidables exemples, inspirants et oui...c'est possible de faire du profit et de preserver l'environnement et la santé humaine.
    voici d'autres exemples et portraits inspirants : https://labelthqse.fr/

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