Stress, stagnation des salaires, managers toxiques... La souffrance au travail produit ses gourous : ils prétendent vous mener au firmament avec leurs recommandations à côté de la plaque.
Après les coachs et influenceurs spécialisés dans le rangement ou les tableaux croisés dynamiques, place aux workfluencers, ces mentors autoproclamés qui entendent vous aider à reprendre en main votre situation professionnelle.
Qui sont les workfluencers ?
« Vous rencontrez des difficultés au travail ? Vous envisagez une reconversion professionnelle ? Vous avez besoin de conseils pour gérer un collègue délicat ? Vous voulez savoir comment négocier une augmentation de salaire ? Probablement. Ce n'est pas une nouvelle, le travail en 2022 ne fonctionne pas vraiment pour la plupart d'entre nous », résume le magazine i-D. Pour guider les travailleurs désemparés, des influenceurs d'un nouveau genre fleurissent d'Instagram à Tiktok, proposant à leur communauté exhortations vigoureuses et ouvrages de développement personnel écrits à la va-vite. Mais le gros du programme se joue en vidéos. Les workfluenceurs y expliquent comment revaloriser son salaire, négocier des congés et initier une conversation sérieuse avec son chef sur l'état de sa santé mentale.
Comme l'explique i-D, il semblerait bien que les infatigables Girl Boss qui fleurissaient sur Internet dans les années 2010 aient été supplantées par les work coaches (coachs boulot). Sur TikTok, ces derniers cumulent déjà plus de 8,7 millions de vues tandis que le #careercoach frôle les 330 millions de clics. Sous le hashtag, on retrouve principalement des contenus produits par des femmes à destination d'autres femmes, bien souvent déconcertées face au sexisme ambiant et aux impérissables écarts salariaux.
S'aider les uns les autres, très bien. Mais nul besoin de formations ni même d'expériences pour diffuser à des millions d'internautes des conseils s’avérant approximatifs. « Dans le Far West que sont les médias sociaux, [les qualifications] ne semble plus avoir d'importance – un bon éclairage semble être la seule chose dont les influenceurs ont besoin. On connaît rarement le parcours des workfluencers ou les entités à qui profitent leurs recommandations : en effet, un certain nombre de comptes TikTok qui offrent des conseils de travail gratuits et se présentent comme des entrepreneurs solos peuvent être rattachés à des entreprises », souligne encore le média américain. Mais la qualité des conseils n'est pas le seul problème.
Les coachs vont nous sauver du capitalisme
Le plus grand travers de ces workluenceurs est la propagation de l'idée selon laquelle il serait possible - à force de séances de méditation, de formules bien senties, de contorsions verbales et d'infinies réorganisations de nos agendas - de se soustraire aux forces systémiques que sont le capitalisme et la hiérarchie. Un peu comme les chamanes en plastique entendent nettoyer nos chakras en annihilant nos « croyances limitantes » et en nous recouvrant de pierre de jade, les workfluenceurs s'attaquent aux symptômes et non à la cause avec des discours non seulement culpabilisants mais aussi décorrélés de réalités aussi triviales que le coût de la vie, l'inflation, la précarité ou encore les rapports de force inégaux du monde du travail.
Alors que la plupart des enjeux évoqués ne peuvent être démêlés efficacement que de manière collective, les workfluenceurs téléportent la responsabilité de leurs résolutions au niveau des individus. Cela produit entre autres comme effet de détourner les internautes de conduits (élections, syndicats, militantisme...) qui pourraient bénéficier à l'ensemble de la société. En filigrane dans le discours de ces influenceurs, les notions de méritocratie et d'individu entrepreneur de lui-même, habituels ressorts des posts inspirants assénés sur LinkedIn sous forme de leçons de vie accompagnées des émojis flamme chers à la start-up nation. En somme, les rêves de la Girl Boss continuent à proliférer, tandis que les luttes collectives portées par l’Union Girl demeurent confinés aux marges.
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