Arthur Auboeuf

Récit d'un influenceur green : « LinkedIn est devenu le réseau des écolos par excellence »

Il aurait pu faire fortune dans l'influence sur les réseaux, mais a préféré bifurquer pour fonder une entreprise soutenable. Aujourd'hui, il utilise les logiques de l'influence pour mettre au premier plan le sujet de la transition. Il nous raconte la vie de caméléon d'un influenceur écolo.

Oui, l’influence écolo existe, et non, elle n’est pas là où on l’attend. Arthur Auboeuf, créateur de communauté aux millions d’abonnés devenu entrepreneur de la transition, en sait quelque chose. Loin du militantisme écolo de la première heure, Arthur Auboeuf a travaillé plusieurs années dans le monde étrange et fascinant de l’influence avant de bifurquer pour fonder en 2019 avec cinq associés Time for the Planet, une entreprise qui compte lever 1 milliard d’euros pour financer 100 entreprises pour la transition. Il a déjà réuni 10 millions d’euros (le plus gros crowdfunding d'Europe), lancé six entreprises pour faire advenir la sobriété… et attiré l’attention du magazine Forbes, qui l’a sélectionné pour faire partie de ses « 30 Under 30 ».

Entre innovation et sobriété, fonds d’investissement et entreprise soutenable, influence et écologie, Arthur joue au funambule. Persuadé qu’il n’y a pas d’autre option pour les écolos qui veulent embarquer les citoyens dans la transition que d’être des « caméléons »… Et que LinkedIn est pour l’instant le meilleur endroit où le faire.

Tu as créé ta première communauté à 17 ans, tu étais bien parti pour devenir un millionnaire de l’influence, et pourtant tu as décroché il y a quelques années pour fonder une entreprise qui finance la transition… Raconte !

J’ai créé ma première communauté quand j’étais en fac de sport. On était en 2011, c’était le début de Facebook, tu pouvais avoir beaucoup de visibilité rapidement. Je me suis engouffré dans cette brèche. Ma toute première communauté, c’était Nuit sans Folie, pour raconter de façon anonyme ses pires anecdotes sexuelles. Ça a été un carton. Ensuite, j’ai fait Et ça se dit, Rapunchline, Le meilleur de la mode, Sachez-le… À la fin, on avait une douzaine de millions d’abonnés sur toutes nos pages, ce qui nous permettait d’être très en lien avec le monde de l’influence qui était en train de naître.

Ensuite, j’ai géré la branche Europe de Triller, un réseau social américain qui a tenté de concurrencer TikTok. Ma mission, c’était d’emmener de petits influenceurs à Los Angeles pour qu’ils fassent des vidéos sur Triller et qu’ils fassent grossir la plateforme. J’ai tout vu de l’intérieur, ça a été incroyable. Par exemple, on a accompagné Léa Elui, qui avait 20 000 abonnés quand je l’ai rencontrée, et qui en a 11 millions aujourd’hui. J’ai même créé mon propre personnage sur Facebook, Baboeuf, et j’ai fait 35 millions de vues en six mois !

Mais il y a quelques années, j’ai pris une vraie claque climatique. Je viens d’un petit village dans le Jura, en moyenne montagne. J’ai vu la neige disparaître, année après année. Aujourd’hui, la moitié des stations de ski dans lesquelles j’ai appris à skier sont fermées, les épicéas ne peuvent plus pousser en dessous de 1 000 mètres d’altitude… ça se transforme à vitesse grand V. Je me suis intéressé au dérèglement climatique. J’ai regardé les conférences de Jancovici, et là je me suis pris une gifle. Il n’y avait pas de retour en arrière. Je suis tombé dans les rapports du GIEC. Je me suis retrouvé en dissonance profonde avec ce que je faisais au quotidien chez Triller. Je me réveillais le matin et je me disais : « Mais moi, faire danser des gamins dégénérés sur une appli, je n’en ai rien à foutre ! ». C’est devenu impossible à porter.

C’est uniquement la claque climatique qui t’a fait partir ?

En réalité, ça faisait un moment déjà que j’avais conscience des limites du modèle. Au début, l’influence, c’était un jeu que je trouvais génial : tu parles à des milliers de gens, tu les vois interagir, tu leur apportes plein de choses qu’ils ne trouvent pas dans les médias traditionnels.

Mais j’ai compris le côté malsain de la monétisation des réseaux sociaux quand j’étais chez Triller, en apprenant le fonctionnement des algorithmes. Il y avait des dizaines d’addictologues qui travaillaient à rendre les utilisateurs accros. J’ai compris que l’influence, c’est le paroxysme de l’addiction, que les influenceurs sont des produits dans la guerre de l’attention. Tu crées des influenceurs, tu les fais exploser pour qu’ils fassent grossir ta plateforme, et ensuite tu les jettes comme des Kleenex.

La claque climatique a été la goutte d’eau. Je me souviens très bien du moment où je suis parti. J’étais au restaurant, on venait de me faire une proposition avec plusieurs millions d’euros de stocks, et j’ai juste dit : « Non merci ». J’ai quitté Triller comme ça. Je me souviens être sorti dans la rue et m’être dit : « Là, tu es Arthur ! ». J’étais tout content. Et c’est là que j’ai commencé à réfléchir à Time for the Planet.

Dès le début de Time for the Planet, il a été question de faire de l’influence ?

En fait, l’influence fait partie du concept de la boîte elle-même. L’idée qu'on a eue avec mes associés en créant Time, c’est que comme le monde de l’entreprise est celui qui peut faire changer les choses, il faut qu’il se saisisse du sujet. Or, tant que l’écologie sera vécue comme un truc punitif et moralisateur, il sera impossible d’impliquer les plus gros acteurs du système. Pour moi, il fallait faire le cheval de Troie du système économique : entrer avec ses codes, lui parler avec ses codes, pour transformer tout ça de l’intérieur.

Donc dès le départ, j’étais dans une logique d’influence. En revanche, je n’avais aucune idée de comment faire. Je n’avais jamais mis un pied sur LinkedIn, je n’avais même pas de compte. Je m’en suis créé un en me demandant si ça pouvait être un levier, et j’ai été très surpris. J’ai vu qu’il y avait de la traction, et une audience beaucoup plus formée aux enjeux du climat que sur d’autres réseaux. Alors j’ai mis le paquet. Aujourd’hui, la communauté Time est à 220 000 abonnés, après deux ans et demi. Et ma communauté LinkedIn perso, que j’ai créée il y a un an et demi, est à 65 000 abonnés. Pas de quoi se dire influenceur, quand on voit le nombre d'abonnés des influenceurs sur les autres réseaux ! [À titre de comparaison, Jean-Marc Jancovici, leader de l’influence climat sur LinkedIn France, a 535 000 abonnés, ndlr].

Faire prendre l’écologie sur LinkedIn, ce n’est pas mission impossible ?

À ma grande surprise, c’est tout le contraire. LinkedIn est devenu le réseau des écolos par excellence. C’est le seul réseau qui n’a pas été envahi par les influenceurs que tu vois sur Instagram ou TikTok. La place est restée libre. Du coup, on est arrivés à trois ou quatre influenceurs du climat, et on a retourné LinkedIn. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les équipes de LinkedIn elles-mêmes, avec qui j’ai discuté. En quelques années, LinkedIn France a été conquis par la problématique climat.

Ce que je trouve vraiment agréable sur LinkedIn, c’est que je peux faire un texte de trois pages, et les gens le lisent. Il y a encore une place pour l’écriture sur ce réseau !

Après, il faut reconnaître que le terreau de LinkedIn est fertile pour l’écologie, parce que ce sont souvent des cadres, des bac +5, des gens qui ont les moyens de s’intéresser à ce sujet. Ça reste une bulle.

Qui y a-t-il dans cette bulle de l’influence écolo sur LinkedIn ?

Déjà, il faut citer Jean-Marc Jancovici, qui à lui tout seul a allumé la flamme de la transition sur LinkedIn. Il y a aussi Thomas Wagner (du média Bon Pote), et Pour un Réveil Écologique. Quelques percées de militants et de journalistes, comme Salomé Saqué. En tout, je dirais qu’on est une petite dizaine. Ce qui est intéressant, c’est qu’on a des approches complémentaires, très différentes. Du « name and shame », du « on rassemble », du pur scientifique, du commentaire de l’actu… Chacun a sa place et on arrive à toucher pas mal de monde.

En dehors de cette bulle LinkedIn, force est de constater que l’influence écolo ne décolle pas… Comment ça se fait ?

Les influenceurs ont très peur de prendre la parole sur le climat, c’est vraiment leur hantise. La plupart aimeraient, mais aujourd’hui, si tu prends la parole sur le climat alors que tu n’es pas toi-même irréprochable, tu te fais casser les deux jambes. Je trouve ça contreproductif. La pureté militante à toutes les sauces est dangereuse.

Prenons Jo-Wilfried Tsonga. Il a accepté de faire des vidéos gratuitement avec nous. Il s’est positionné en ambassadeur de Time for the Planet. Et il s’est fait tabasser par des gens qui disaient : « Quand tu paieras tes impôts en France, on en reparlera… » [Jo-Wilfried Tsonga habite en Suisse, ndlr]. Mais ça n’a rien à voir ! Si on défonce chaque mec qui prend la parole sincèrement sous prétexte qu’il n’est pas parfait sur le sujet, on ne va pas avancer. Personne ne peut être irréprochable dans un système qui n’a lui-même pas fait sa mutation.

Pour l’instant, le monde de l’influence est complètement crispé sur le climat alors que ça pourrait être un levier fantastique. C’est en grande partie pour cela que ça ne prend pas.

Est-ce que ce ne serait pas plutôt parce qu’influence sur les réseaux et écologie sont irréconciliables ? L’influence repose sur des logiques d’addiction et de surconsommation incompatibles avec la sobriété vers laquelle nous devons tendre, comme le rappelle le collectif Paye ton Influence

C’est un énorme sujet. Tous les jours quand je me lève, je me pose la question : est-ce que Time n’est pas contreproductif ? Est-ce qu’on ne conforte pas un système qui n’est pas le bon ?

C’est vrai que les quotidiens que nous avons, les modes de vie que nous avons– et l’influence en est le cheval de bataille – sont la parfaite figure du modèle de société néfaste dont on devrait sortir. Mais d’un autre côté, on a une urgence à gérer, et il faut embarquer un maximum de monde avec nous. Si un influenceur devient vraiment aligné et cohérent demain, il disparaîtra de la scène médiatique. Il n’aura plus d’impact pour faire grandir la cause. Donc c’est un équilibre de funambule. Il faut manager dans l’interstice, avec les moyens qu’on a.

Ça veut dire passer son temps à jongler entre les mondes ?

Exactement. C’est ça, le tour de force qu’a réussi Jancovici. Il s’adresse aux gens avec leurs propres codes, sur un sujet dont ils n’entendent jamais parler. Nous, influenceurs, on joue tous là-dessus. Récemment, j’ai fait le tour des PDG du CAC 40 pour une levée de fonds, et il faut reconnaître que mon look de connard qui sort d’HEC m’a bien servi. C’est terrible, mais si j’arrivais en sarouel, ça ne marcherait pas. Alors je joue cette carte. C’est tout le hack de l’influence. Arriver à faire prendre le sujet du climat aujourd’hui, ça demande d’être un caméléon.

Je ne suis pas spécialiste de l’influence, mais j’imagine qu’un positionnement de caméléon, ce n’est pas l’idéal pour faire le buzz ?

C’est vrai. La grosse difficulté quand tu fais de l’influence sur l’écologie, c’est qu’il faut rassembler si on veut avancer… Sauf que rassembler, c’est à l’opposé des logiques de l’influence. Tous les leviers du buzz sont annihilés ! C’est facile de faire des milliers et des milliers de likes en disant : « Les politiques sont tous pourris, ils font n’importe quoi, regardez », parce que tu crées des camps. Mais du même coup, tu polarises la société, tu fais grossir les extrêmes, et à moyen et long terme c’est très dangereux.

Le défi, c’est d’inventer une influence qui fédère plutôt qu’elle ne divise. Time for the Planet est l’exercice de création de communauté le plus difficile que j’ai entrepris depuis que j’ai commencé. Si j’avais utilisé les mécaniques traditionnelles, et encore plus si j’avais été sur un sujet comme l’humour ou le sexe comme dans mes communautés d’avant, on aurait 2 millions d’abonnés.

De la même façon, il y a des sujets que je ne peux pas aborder. J’ai écrit des posts que je n’ai pas publiés. Par exemple, j’ai écrit un post sur le système économique mondial qui commence par « J'espère ne jamais être millionnaire », où j’explique que tant que le modèle n’évolue pas vers quelque chose de soutenable, on pourra faire toutes les danses de la pluie qu’on veut, sortir toutes les innovations qu’on veut, ça ne marchera pas. Mais si je publie ça, je vais créer une guerre nucléaire et déroger à ma règle n°1, qui est de rassembler. Je ferais 50 000 likes, mais je ne respecterais pas ma règle. Donc je ne le publie pas.

Cela ressemble à quoi, ta stratégie d'influence d'aujourd'hui ?

Je ne fais plus de contenu pour faire du contenu : je publie quand je tiens vraiment à dire quelque chose. Je sais très bien qu’il faudrait faire autrement si je voulais grossir plus vite, parce que je connais les codes putaclics de l’influence. Mais j’essaie de ne plus me laisser avoir. J’essaie d’avoir une influence saine, maîtrisée et authentique.

Parce qu’il est là, le problème : tu commences dans l’influence en voulant exprimer des choses qui te tiennent à cœur, ça te fait décoller, et là les chiffres te rattrapent : soit tu vois que tu as de la traction et tu veux continuer d’en avoir, soit tu la perds et tu veux la reprendre. Tu deviens esclave de tes chiffres et tu te mets à publier tous les jours sur des sujets qui ne t’intéressent pas. Et tu deviens un clown qui ne fait plus de l’influence, mais du divertissement.

Sur mon compte perso, si je ne dois pas poster pendant trois mois parce que je n’ai rien à dire, très bien. Et si je dois poster tous les jours pendant deux semaines, je le ferais aussi. Mais je ne vais pas mentir, je suis encore souvent tenté par les mécaniques du buzz !

Un des aspects essentiels de l’influence, c’est sa capacité, précisément, à influer sur nos comportements. Dans le cas de l’écologie, c’est ce qu’on voudrait tous : des gens qui nous aident à passer à l’action, à sortir de notre petit confort… Tu y arrives ?

Ce qui transforme les likes en action, ce n’est pas tant la teneur du message qu'une tendance de groupe. Si une marque fait naître une tendance sur l’unboxing avec des vidéos aux millions de likes, ça va se transformer en action. Mais pas avant. On ne se rend pas toujours compte, mais ça fait dix ans que les marques claquent une thune indécente pour créer des tendances.

Donc en réalité, on sait très bien comment créer des codes culturels écologiques. Le problème, c’est que ça demande d’avoir le pognon de son côté. Et comment récupérer le pognon sans cautionner le modèle économique dans lequel il circule ? À Time, on doit parfois dire non à des sociétés qui nous proposent pourtant d'investir plusieurs millions, parce qu'on ne cautionne pas le système qu'elles nourrissent.

Les écolos, on est des hackers. On doit faire naître des codes culturels avec cent fois moins de moyens que les autres. Mais on a quelque chose de notre côté : c’est que le monde est en train de nous envoyer de plus en plus d’avertissements. Les gens n’ont plus le choix que de voir l’urgence !

Pour rejoindre les 55 000 actionnaires de Time for the Planet et financer les solutions de la transition, ça se passe ici. Et si vous cherchez des médias, comptes Instagram et TikTok à suivre sur l'écologie, on vous a concocté un petit top 3.

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