3 fraises dans main sur fond rose

Dans la tourmente de l'inflation, le bio a-t-il perdu le cœur des consommateurs ?

© Tashulia

L'agriculture biologique pourra-t-elle reconquérir les parts de marché que l'inflation lui a fait perdre ? Sans doute. Et pour plein d'excellentes raisons. Rencontre avec Fréderic Frings, maraîcher bio depuis plus de 10 ans.

Après une croissance continue, depuis 2021, la vente des produits bio s'affiche à la baisse. Doit-on y voir le signe d’un désintérêt ? Pas vraiment. Cette perte de vitesse s'explique par de multiples facteurs, et il convient de la relativiser. Car si la consommation diminue en volume, elle a en revanche augmenté en parts de marché. Dans le détail, on constate que si les ventes de la grande distribution et des réseaux spécialisées sont en berne, la vente directe, elle, ne connaît pas la crise. Au bio s'adjoint donc l'envie de consommer plus local. Et c'est une bonne nouvelle. Car ces modes de production répondent aux enjeux de la crise climatique. Reste qu'il faut soutenir et démocratiser ce mouvement, et le faire passer à l'échelle. Comment ? Les chantiers sont nombreux. Explications avec Fréderic Frings, à la tête d'une ferme de 65 hectares, 100 % bio, et vice-président d'une coopérative bio.

Après des années de croissance, le marché du bio connaît un ralentissement. Quels seraient les leviers à activer pour le rendre plus compétitif ?

Fréderic Frings : En effet, du jour au lendemain nous avons perdu un nombre de clients important. Le pouvoir d'achat a baissé et en cas de baisse, l’alimentation est une des variables d’ajustement privilégiée. Pourtant, le différentiel entre bio et conventionnel se réduit, notamment si on s’oriente vers des produits bruts ou de saison. Si on ajoute à cela l'augmentation des charges liées aux engrais (multipliées par trois), aux produits phytosanitaires (issus du pétrole), on constate que les agriculteurs conventionnels font face à des augmentations bien plus fortes que les agriculteurs bios. Les écarts se réduisent et cette tendance va se poursuivre.

Mais un autre très bon moyen de rendre le bio compétitif serait de répercuter les externalités négatives de l'agriculture conventionnelle sur son prix. La culture et l'élevage ont un profond effet sur l'environnement. Ce sont les causes principales de la pollution de l'eau par les nitrates, les phosphates et les pesticides. Ils constituent aussi les principales sources anthropiques des gaz à effet de serre (GES) et contribuent massivement à d'autres types de pollution de l'air et de l'eau. Si on faisait supporter à l'agriculture conventionnelle l'ensemble des coûts sociétaux induits (dépollution, frais médicaux…) ça changerait radicalement le rapport financier entre les deux. À ce jour, ces frais sont supportés par la collectivité (impôts, taxes…). Un rapport récent de la banque des territoires évaluait le coût de la dépollution de l’eau lié à l’agriculture intensive à près de 1,2 milliard d'euros. Cette somme est payée par les consommateurs sur leur facture d’eau.

Autre levier à activer : gagner et optimiser notre visibilité. Des taxes appelées CVO (Contributions Volontaires Obligatoires) sont versées à deux organismes (Interfel* et CNIPP**) destinées à la promotion des produits. Pourtant, dans les faits, les sommes investies pour la promotion des produits bio sont inférieures aux contributions versées pour les agriculteurs bio. Une partie de nos cotisations sert donc à la promotion des produits conventionnels...

En tant que principaux réservoirs de carbone, les sols sont un atout dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Comment peut-on augmenter leurs capacités de stockage ?

F. F. : Des pratiques agronomiques telle que l’agriculture régénératrice permettent à la fois de rendre l’agriculture résiliente aux aléas environnementaux, de décarboner le secteur (moins d’engrais, de fertilisants…) et également de séquestrer du carbone atmosphérique (puits de carbone). C’est un cercle vertueux : restaurer la santé des sols, en y développant la matière organique lui permet de stocker toujours plus de carbone (et d’eau) et de moins en délivrer dans l’atmosphère. En outre, le carbone est un nutriment indispensable au bien-être du sol, et permet une bonne fertilisation. Ce type d’agriculture permet de trouver des compromis entre rendement et préservation des sols.

Un sol en bonne santé est donc un sol qui stocke du carbone. Le taux de matière organique d'un sol agricole en bonne santé se situe entre 3 et 6 %. Avec un taux de matière organique entre 1 et 1,5 %, l’agriculture intensive détruit les puits de carbone (le sol du Sahara est à 0,6 % de matière organique). Nous avons donc affaire à des sols quasi inertes et pauvres qui servent simplement de supports aux plantations.

Depuis le protocole de Kyoto, des crédits carbone ont été mis en place. Les agriculteurs qui adoptent des pratiques vertueuses peuvent-ils en bénéficier ?

F. F. : Si l’agriculture est l’une des principales victimes du dérèglement climatique, elle en est aussi l’une des causes principales. Agriculture et déforestation (dont les raisons sont souvent d’origine agricole) sont responsables de près d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Augmenter le stockage de carbone chaque année grâce à l’agriculture régénératrice permettrait de limiter, voire stopper l’augmentation annuelle de CO2 dans l’atmosphère. Mais, alors que transformer les efforts écologiques des agriculteurs en crédits carbone, permettrait de financer en partie la transition environnementale, seuls 0,1 % des crédits carbone mondiaux concernent le secteur agricole.

Malheureusement de manière générale, l’agriculture bio manque de soutien public. Au cours de la dernière décennie, le bio a connu un changement d’échelle : augmentation de la part du bio dans la surface agricole de 3 % à 10 % et une consommation bio multipliée par 3,5. Pourtant, seules 3 % des aides de la Politique Agricole Commune (PAC) sont allouées au bio. Une politique de soutien qui n’est pas à la hauteur de l’ambition affichée par les pouvoirs publics selon un rapport de la Cour des comptes. La même Cour qui a estimé que les mesures de types MAEC (Mesures Agro-Environnementales et Climatiques) alloués aux agriculteurs conventionnels et destinées notamment à diminuer les usages des produits phytosanitaires étaient contre-productives et n'avaient pas permis d'atteindre les objectifs fixés.

Face au réchauffement climatique une réorganisation de l’agriculture s’impose. Quelles sont les pistes ?

F. F. : Le changement climatique a un impact majeur sur les cultures, et menace la production agricole. De plus, adopter des méthodes de production durables atténuerait les impacts négatifs de l'agriculture sur l'environnement. Dans certains cas même, l'agriculture pourra permettre de résoudre ces problèmes. Cette adaptation passe à la fois par des techniques agricoles, pour limiter l’évaporation de l’eau par exemple, mais aussi par la biodiversité. Depuis près de 70 ans, les variétés de légumes ou de céréales sont sélectionnées essentiellement sur des critères de rendement sans prise en compte des contraintes environnementales (sécheresse, limitations en eau...).

La répartition de l’agriculture sur le territoire est également un axe de réflexion. Nous avons aujourd’hui des zones de concentration de culture aux impacts négatifs. On peut prendre l’exemple des algues vertes en Bretagne nourries par les émissions d'azotes de l'élevage industriel. Dans le même temps en Brie, région située à l'est de Paris, l’agriculture conventionnelle est obligée d’ajouter de l’azote de synthèse aux cultures. Si on mélangeait élevage et céréales on pourrait tendre vers un équilibre naturel. Il faut sortir des cadres de réflexion et d'organisation imposés par le modèle agricole productiviste.

On parle du label Haute Valeur Environnementale (HVE). Favoriser ce type de certification fait-il partie de la solution ?

F. F. : Créé en 2008 lors du Grenelle de l'environnement, le label HVE incite les agriculteurs à adopter des mesures favorables à l'environnement et la biodiversité. À l’origine, deux voies permettaient d’obtenir la certification HVE : respecter un certain nombre d’exigences environnementales ou justifier que les produits phytosanitaires ne représentaient pas plus d’un certain pourcentage du chiffre d’affaires. Cette deuxième condition a permis aux agriculteurs commercialisant des produits à forte valeur ajoutée, comme le vin, d’obtenir le label sans rien changer à leurs pratiques. Il entre en concurrence avec le bio alors qu'il n'est pas aussi exigeant. Selon Julien de Normandie (ex-ministre de l’agriculture), le label HVE serait accessible pour 70 % des agriculteurs français. Quand on sait que la France est le deuxième consommateur de produits phytosanitaires en Europe, derrière l’Espagne, ça laisse dubitatif...

Au-delà, cette profusion de labels et certifications génère une forme de confusion parmi les consommateurs ainsi qu’une perte de confiance dans le bio en général.

Le label HVE entre dans le cadre de la loi Egalim. Pensez-vous que cette loi est une avancée pour le bio ?

F. F. : Depuis le 1er janvier 2022, la loi Egalim impose à la restauration collective publique de proposer au moins 50 % de produits durables et de qualité (HVE, label rouge, AOP...) dont au moins 20 % de produits bios. Au niveau national nous sommes à environ 6 % de bio sur les cantines... Beaucoup de responsables de cantines se cachent derrière un manque de production qui n'existe pas, ou derrière un prix supérieur, alors que certaines études montrent que les cantines qui se mettent au bio baissent le coût de revient de leurs menus.

C'est donc un bon levier de croissance, à condition que les collectivités jouent le jeu. Je suis membre d’une coopérative de producteurs bios. Dans le cadre de cette loi nous avons développé des partenariats sur le long terme avec le SIRESCO (Syndicat Intercommunal pour la restauration collective) ou encore la ville de Paris pour approvisionner les crèches. Des engagements sur la durée qui nous permettent de nous développer. Rien qu'au niveau de notre coopérative, nous sommes à presque 9 millions d'euros de chiffre d'affaires. Soit une croissance de plus d’un million et demi sur la seule année 2022.

Face à toutes ces contradictions et ces combats à mener, vous restez donc optimiste ?

F. F. : Pandémie, guerre, crise climatique… Autant d’éléments qui portent l’agriculture bio, en plaidant en faveur d’une autonomie agricole, respectueuse de l’environnement. On a longtemps dit que l'agriculture bio ne pouvait pas nourrir le monde et que seule l’agriculture chimique en était capable. Mais depuis plus de 10 ans avec les membres de ma coopérative nous arrivons à livrer toutes les crèches de Paris. Ça démontre qu’on est capables d’avoir une régularité dans la qualité, la production, et l’approvisionnement. Il nous faut maintenant travailler notre communication pour montrer que nourrir sainement les gens tout en respectant la planète, c'est possible.


*Interfel (Interprofession des fruits et légumes frais)
** CNIPT (Comité National Interprofessionnel de la Pomme de Terre).

portrait de femme

Peggy Baron

Chaque jour je m'installe à la terrasse de l'actu et je regarde le monde en effervescence. J'écris aussi bien sur les cafards cyborg que sur le monde du travail, sans oublier les tendances conso.
commentaires

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  1. Avatar Béatrice Sutter dit :

    Merci pour votre lecture attentive --- nous avons rectifié 😉

  2. Avatar Marié, Thierry dit :

    Merci pour cette mise en perspective, c'est important et nous, les consommateurs et consommatrices devons réagir pour au contraire conforter nos achats de produits BIO, pour une santé en meilleure état, pour un environnement plus sain. Tentons de moins acheter de produits informatiques ou connectés, moins de TV, réduire nos vacances trop loin, moins de vêtements ou de superflu pour mieux se concentrer sur l'ALIMENTATION, avec un vrai plaisir de cuisiner, à partager entre amis et familles.
    Pas facile, c'est sûr, mais c'est ainsi aussi que l'on pourra renouer avec le plaisir de voir une belle agriculture reprendre des couleurs vertes, pour notre bien ! BRAVO et nous ne lâchons rien ! Thierry (Coutances)

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