Malgré le fléau de l'ultra-fast fashion, et en attendant le métavers, la réinvention de la mode et du luxe s'accélère. Et elle sera portée par une génération Z, éprise de justice climatique, de vintage et de nouvelles technologies.
Se pourrait-il qu’au moment de choisir notre nouveau denim, une étiquette nous rappelle la réalité de son impact sur l’environnement ? 7 500 litres d’eau sont par exemple nécessaires à la fabrication d’un simple jean. En tout cas, c’est bien l’industrie textile qui inaugurera les étiquettes score carbone, issues du projet de loi Climat, sur proposition de la Convention citoyenne. Un affichage non obligatoire, pour une expérimentation de cinq ans.
Prêt-à-porter, prêt à changer ?
Et les initiatives se multiplient… Du côté des marques, on n’hésite plus à explorer ce qui encourage la circularité sur l’ensemble du cycle de vie du produit. Déjà préemptée par des sites spécialisés comme Rent The Runway ou Le Closet, la location de vêtements fait son chemin. Maje a ainsi lancé son propre service de location de tenues de soirée. Tandis que Veja, déjà connue pour ses baskets éthiques, creuse le sillon de la réparation avec l’ouverture d’un magasin dédié.
Pour accompagner ceux qui veulent se transformer, la Fédération française du prêt-à-porter féminin, la Fédération française des industries du vêtement masculin et Promincor-Lingerie ont publié un guide pratique sur l'écoconception. Repenser les modèles économiques, interroger les chaînes de valeur, de la conception à la fin de vie : le sujet est hautement stratégique pour la France. La filière mode et luxe pèse plus de 154 milliards d’euros de chiffre d’affaires et plus de 600 000 emplois, et contribue à hauteur de 1,7 % à notre PIB, selon l’Institut français de la mode.
Dans ce contexte post-pandémie, le contrat stratégique de filière a été actualisé avec 13 mesures autour de la formation, de l’accompagnement des entreprises et des aides à la relocalisation, de la traçabilité et de la réduction de l’impact environnemental. Un avenant qui fait suite au rapport « Relocalisation et mode durable » , identifiant déjà l’opportunité de la mode durable pour l’industrie, via la structuration d’un écosystème local, fer de lance d’un « Fabriqué en France » à la forte puissance évocatrice.
Exigence de durabilité
Mais c’est bel et bien la seconde main qui bouleverse le secteur. Elle se démocratise sur tous les segments, de la nippe sans marque sur Vinted ou l'app Depop au sac de luxe via Vestiaire Collective, en passant par la pièce de collection chez Christie’s.
En 2019, l’Institut français de la mode estimait le marché français de l’occasion à 1 milliard d’euros. Pour le monde, le BCG évoquait une fourchette entre 30 et 40 milliards de dollars. Certes, c’est à peine 2 % du marché de la mode et du luxe. Mais sur les cinq prochaines années, les perspectives de croissance sont remarquables, entre 15 et 20 % par an en moyenne.
L’avantage économique et l’originalité de l’offre constituent les principales motivations des acheteurs. Mais la durabilité est un critère qui progresse vite – notamment chez les millennials et la Gen Z, qui se distinguent aussi par l’intensité de leur vie digitale.
La seconde main détrônera-t-elle la fast fashion ?
Le vintage réinvente tous les pans du business. Pour ne pas laisser cette manne aux mains des plateformes, les enseignes traditionnelles s'y mettent petit à petit : Camaïeu, La Redoute, Les Galeries Lafayette, ÏDKids, etc. Le nordiste Pimkie vient même de signer un partenariat avec Eureka, spécialiste de la fripe au kilo.
Et le mouvement ne risque pas de s’épuiser : selon les estimations de la plateforme américaine de vente ThredUp, le marché global de la seule revente (hors friperies) pourrait dépasser la fast fashion à horizon 2029, à 44 milliards de dollars vs 43 milliards de dollars. Un progrès certes, mais qui ne doit pas dissimuler que la mode jetable continue de prospérer : les marques de l'ultra-fast fashion, comme Shein ou Boohoo, se démarquent par leur impact écologique désastreux, mais aussi leur capacité à rendre les ados accros.
Le luxe profite de l’occasion
Le luxe s’entiche lui aussi de la seconde main. Certes, le concept n’est pas nouveau – les dépôts-ventes physiques existent depuis longtemps. Mais les plateformes Internet et les mutations de la société lui donnent une nouvelle jeunesse.
Signe des temps, Vestiaire Collective, créé en 2009 et spécialisé sur le haut de gamme, a rejoint le club fermé des licornes françaises, grâce à sa dernière levée de fonds de 178 millions d’euros. À cette occasion, le groupe de luxe français Kering a pris 5 % du capital de la startup, qui a vu son volume de transactions doubler en 2020. Pour les géants du luxe, c’est une façon de répondre aux attentes des plus jeunes consommateurs, de renforcer leurs engagements durables, mais aussi de remonétiser leurs propres produits.
Prendre le problème à la (res)source
Ne dites plus mode durable, mais régénérative. L’adjectif a même donné son nom au nouveau programme de développement durable de Kering, qui souhaite convertir 1 million d’hectares de fermes et de pâturages en espaces d’agriculture régénératrice d’ici à cinq ans.
Car il s’agit bien de prendre le problème à la racine, en s’assurant que les matières premières proviennent de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement : donner la priorité aux sols et à la biodiversité, restaurer les écosystèmes, renoncer aux méthodes délétères comme les pesticides, etc. Un mouvement né dans les années 1980, mais qui suscite aujourd’hui l’intérêt de nombreuses industries – et parmi elles, le textile. On citera The North Face, Timberland ou l’incontournable champion du textile responsable Patagonia, qui soutient des producteurs de coton régénératif depuis 2018.
Explosion de l’e-commerce et fermeture de magasins
Outre une prise de conscience aigüe des enjeux écologiques, la pandémie aura aussi accéléré la transformation numérique de nos sociétés. On pense bien sûr à l’e-commerce, qui a permis de compenser dans une certaine mesure la fermeture des magasins.
En 2020, la part de ce canal aura quasiment doublé dans le marché de l’habillement, passant de 10 à 20 %, avec notamment la conquête de cibles jusqu’alors réfractaires. Selon la Fevad, 51 % des acheteurs en ligne ont jeté leur dévolu sur la mode et l’habillement, hissant la catégorie en tête des secteurs les plus achetés sur Internet. Dans le secteur haut de gamme, les plateformes multimarques comme Farfetch, Lyst ou Net-A-Porter sont les gagnantes de la période.
Une mutation des comportements qui pousse les grandes enseignes à revoir leur modèle économique, en fermant leurs magasins moins rentables. La manœuvre permet aussi d’absorber le choc de la crise, en réduisant les charges fixes. Inditex a annoncé vouloir fermer plus de 1 000 boutiques Zara dans le monde, tandis que H&M compte fermer 250 magasins dans le monde, pour se concentrer sur ses ventes en ligne. Les ouvertures de magasins concernent désormais plutôt les flagships de grandes métropoles.
Métavers et version 3D de Bella Hadid : le boom de la mode virtuelle
Mais la révolution numérique ne se résume pas qu’au seul canal de vente. Après de longs mois passés en confinement, nous avons compris que le métavers n’est pas qu’une dystopie destinée aux romans de science-fiction. L’économie des objets numériques a explosé, et la mode n’échappe pas à cette lame de fond.
On connaissait déjà les skins pour rhabiller son avatar dans les jeux vidéo, mais en 2021 la mode virtuelle décolle : tandis que les couturiers investissent le cyberespace, comme Balenciaga avec son défilé en réalité virtuelle ou Mugler qui joue ses créations sur une version 3D de Bella Hadid, des marques 100 % virtuelles proposent leurs créations au seul format numérique. Le studio pionnier en la matière, The Fabricant, avait vendu en 2019 une robe virtuelle pour 9 500 dollars. D'autres sociétés, comme Skinvaders, Sweet ou The Dematerialised, se proposent d'aider les marques à investir ces nouveaux territoires. La mode virtuelle a même son e-shop dédié, Dress X, lancé en juillet 2020.
Les NFT, ces nouveaux actifs qui agitent l’avant-garde du luxe
Au cœur de cette économie « full numérique », les NFT agitent l’avant-garde du secteur. Gucci, Vuitton, Balenciaga, Guerlain... On ne compte plus les marques qui investissent le territoire des jetons non-fongibles, stockés dans la blockchain, comme une cryptomonnaie – à ceci près qu’ils ne sont pas échangeables.
Pourquoi les acteurs de la mode et du luxe s’intéressent-ils à la question ? Ces nouveaux actifs peuvent se prêter à diverses applications, de la lutte contre la contrefaçon à l’objet de collection numérique, en passant par la traçabilité, au moment où le business de l’occasion explose. LVMH, Prada Group et Richemont ont décidé de s’unir dans un consortium dédié, Aura Blockchain. Mais c’est aussi une manière de toucher millennials et génération Z là où ils sont, en jetant des passerelles vers leurs univers de prédilection, comme le gaming ou le e-sport.
Post-carbone et vivante, la mode de demain
Avec une démarche à la croisée de la science et du design, le studio londonien transdisciplinaire Post Carbon Lab pousse l’innovation un cran plus loin : des étoffes à base d’algues capables d’absorber le carbone, des pigments naturels dérivés de micro-organismes… Pour des vêtements vivants qui, outre la prouesse technologique, interrogent carrément notre rapport à la mode et aux habits : ceux-ci doivent être entretenus à la main, avec l’attention que l’on accorderait à une plante, entre deux brumisations et une exposition au soleil.
Une thèse également adoptée par Roya Aghighi, qui a développé Biogarmentry en collaboration avec l’université de la Colombie-Britannique, un textile capable de photosynthèse. La designeuse pense qu’en prenant soin de ces nouveaux tissus, nous pouvons entretenir « une relation intime avec eux ». Ne souriez pas (enfin si, vous pouvez, mais ne vous moquez pas) : l’idée est moins saugrenue qu’elle n'en a l’air. Car si les vêtements étaient vivants, nous aurions sans doute davantage de scrupules à les balancer à chaque changement de saison…
Cet article est extrait du Livre des Tendances 2022, 20 secteurs-clés de l'économie décryptés.
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