Des vêtements capables de photosynthétiser, des pigments naturels issus de micro-organismes… Face aux créations du studio londonien Post Carbon Lab, à mi-chemin entre mode et microbiologie, la u003cemu003efast fashion u003c/emu003epeut bien aller se rhabiller.
Des vêtements vivants qui photosynthétisent comme les plantes. Voilà ce qui a valu à la créatrice canadienne Olivia Rubens le prix de la mode responsable du concours ITS (International Talent Support) en octobre 2020. Il faut avouer que sa collection Birds of a feather, d’abord présentée à la Fashion Week d’Helsinki, avait de quoi surprendre les fashion-addicts les plus blasés. Ses vêtements, conçus à l’aide d’un revêtement photosynthétique aux algues, sont capables d’absorber du dioxyde de carbone et de rejeter de l’oxygène : soit de respirer, littéralement, et de contribuer à dépolluer l’air.
« Pour le coup, vous devez en prendre soin, a déclaré la lauréate dans une vidéo Instagram, vous ne pouvez pas le garder dans votre placard car ils suffoqueraient. » De quoi revoir de A à Z, et de nos robes jusqu’aux chaussettes, la façon dont nous traitons nos vêtements au quotidien.
Des animaux sur la peau
Ceux-là ont été conçus avec le studio de recherche transdisciplinaire Post Carbon Lab et doivent être entretenus à la main. Comme une plante, ils ont besoin de soleil et doivent être « vaporisés » régulièrement car la quantité de carbone captée par les micro-organismes du tissu dépend de la santé des algues. Basé à Londres, le laboratoire exploite la photosynthèse pour limiter l’impact environnemental de la mode. Ses deux fondateurs, Dian-Jen Lin et Hannes Hulstaert, y évoluent à la croisée entre design, sciences et textile et créent aussi des pigments microbiens pour remplacer la teinture synthétique, aujourd’hui responsable de 20% de la pollution industrielle des eaux dans le monde.
« En 2019, on a fait une résidence chez Open Cell, raconte Dian-Jen Lin, on y a lancé un service pilote de notre idée et on travaille depuis en collaboration avec des marques, des designers, des artistes et des fabricants. » L’entreprise, également basée à Londres, aide les jeunes pousses à se lancer dans le secteur des biotechnologies et brasse différents sujets de recherche, de la technologie CRISPR à la viande cultivée en laboratoire.
« Pour le moment, on teste beaucoup de choses et on ne fonctionne que sur la base de collaborations, poursuit Dian-Jen Lin. L’idée, c’est de récolter un maximum de retours de nos clients en matière de logistique et de fabrication et d'identifier les acteurs intéressés par ce type de technologie dans l’industrie de la mode. » Dans le cadre de la dernière Fashion Week de Paris, le studio a par exemple collaboré avec la marque DS Automobiles et le collectif de mode EGONlab pour lancer une collection capsule de vêtements photosynthétiques.
Une alternative à l’industrie de la mode
Moins gourmandes en eau et en espaces, absence de pesticides comme pour la culture du coton... C’est en 2017, date à laquelle la jeune femme remporte le prix Kering de la mode durable, que Dian-Jen Lin commence à s’intéresser au potentiel des algues. Celle qui a travaillé près de 10 ans dans le milieu de la mode à Taiwan s'entoure d'une scientifique du National History Museum, la Dr. Anne Jungblut, et pousse plus loin ses questionnements autour de la seconde industrie la plus polluante au monde.
« Beaucoup de choses me frustraient dans le secteur, comme le fait de n’avoir aucun contrôle sur l’impact social, mental et écologique de ce que je faisais, poursuit l’entrepreneuse. Ce n’était bénéfique pour personne : ni pour mes collègues (c’est un milieu très stressant), ni pour l’environnement (on finit par incinérer ou par jeter ce qu’on produit), ni pour les autoentrepreneurs et fournisseurs qui travaillent dans des conditions déplorables. »
C’est le rôle social et écologique de la mode que les deux entrepreneurs questionnent. Au cœur de leur mission, la traçabilité et la responsabilité de chaque maillon de la chaîne de production. « Malheureusement, cette opacité fait partie de l’industrie. Quand vous allez chez H&M, vous ne savez pas qui a fabriqué votre t-shirt. Vous ne savez pas si sa teinture synthétique est responsable de l’empoisonnement d’un enfant indonésien qui souffre d’insuffisance rénale... Lorsque l’on collabore avec une marque, on insiste donc pour que notre nom figure partout, nous sommes tenus responsables. »
Un modèle peut en cacher un autre
C’est toute la symbolique (souvent greenwashée) du terme « développement durable » que les deux fondateurs cherchent aussi à déconstruire. En lançant Post Carbon Lab, ils travaillent sur le concept de « régénération durable » , lequel préconise un engagement proactif des entreprises à partir d'un point d'entrée industriel.
« Être “durable” n’est pas suffisant. On continue de pomper des ressources en pensant que l’on a trois planètes Terre de rechange. Quand on parle d’actions écologiques, on parle de planter des arbres ou de payer une dette carbone… Je ne dis pas que c’est mal, je dis simplement que ça arrange beaucoup de monde, poursuit Dian-Jen Lin. À l’inverse, si l’on pense par le prisme de la régénération durable, on prend le problème à la source. On incite les entreprises à être durables, mais aussi à restaurer, à pallier les erreurs qu’elles ont fait par le passé. »
Actuellement en discussion avec des sociétés de recyclage et des entreprises misant sur l’upcycling (valoriser les chutes ou les textiles usagés), le studio n’écarte aucune piste pour faire passer le modèle à l’échelle sans pour autant prôner la surconsommation. « Quand on regarde le nombre de vêtements que l’on jette chaque année (les Européens jettent 4 millions de tonnes de vêtements par an, ndlr), on constate que ce sont des ressources qu’on a déjà. Pourquoi irait-on produire plus ? Plus on multiplie les collaborations, plus on rendra cela crédible aux yeux des marques ! »
D’autant que beaucoup d’acteurs ont déjà pris le pli de la seconde main, à commencer par les hypermarchés. En France, Auchan a lancé des espaces de mode recyclée dans cinq de ses magasins en 2020, jusqu’à convaincre Carrefour, Système U, Leclerc et Cora de se lancer. Pourquoi ne pas imaginer, en plus, apposer un revêtement photosynthétique sur ces vêtements ? « Pour le moment, nos clients commandent majoritairement de la teinture microbiologique, mais c’est une direction à prendre. De toute manière, il va falloir faire vite. On a quoi… 10 ans tout au plus ? »
Changer nos comportements
Côté consommateurs, il s'agit essentiellement de rendre la « durabilité » aussi accessible que certaines commodités quotidiennes, comme se vêtir ou se déplacer. Leur modèle s’adresse majoritairement aux entreprises, mais il est arrivé que le studio réponde à des commandes de particuliers.
« Aujourd’hui, il n’y a que peu de marge de manœuvre pour avoir un impact au quotidien. Agir pour le climat se résume souvent à payer quelqu’un pour le faire à sa place, déplore Dian-Jen Lin. Pourtant au Royaume-Uni, 70% des 18-20 ans se disent éco-conscients, même s’ils sont très occupés ou peu engagés. On ne va pas leur demander de planter des arbres, mais de penser à ce vêtement au fond de leur placard avec lequel ils pourraient créer un nouveau lien. On n’offre pas un élixir contre le changement climatique, mais une autre façon de vivre au quotidien ! »
Les projets en cours et collaborations du studio sont pour le moment sous embargo. « On doit prendre en compte beaucoup de nos retours clients, on nous demande de nouvelles couleurs, de nouveaux motifs, ajoute l’entrepreneuse. C’est beaucoup de travail et on a une petite chaîne de production, mais on a survécu à la pandémie. C’est déjà une bonne nouvelle ! »
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