Le chien de KC Green sur terre craquelée

Les climatosceptiques contre-attaquent et font monter la température… sur Twitter

© KC Green et Joe Leineweber

Ils passent leur temps à démonter les rapports du GIEC et à crier au complot des élites : comment les antivax ont changé de combats pour devenir climatosceptiques.

« Bonjour. Le réchauffement climatique n'est pas une opinion ! C'est un fait scientifique établi qui a fait l'objet de milliers de parutions scientifiques, de rapports et qui fait consensus. Une opinion n'a pas de valeur scientifique. Bonne journée. » Le 6 avril dernier, une drôle d’ambiance flottait autour du compte Twitter pourtant si sage de Météo France. Face à un community manager qui faisait tout pour garder son calme, des dizaines de comptes aux accents conspirationnistes et climatosceptiques ont attaqué le service météorologique et climatique national.

Quand la température monte… sur Twitter 

Quelle est la cause de la discorde ? Quelques jours auparavant, @NiusMarco, un compte Twitter suivi par 44k personnes a accusé Météo France de gonfler artificiellement les relevés de température en prenant ses mesures majoritairement dans de grandes villes. Le thread, qui a été vu plus de 138 000 fois paraît sérieux à première vue. Cette impression de crédibilité est renforcée par les nombreuses publications de ce compte qui sont remplies de graphiques et de tableau chiffrés semblant sortir d'études scientifiques. Pourtant, le service de fact-checking de l’AFP a répliqué en indiquant qu’il s'agissait d’une fausse information. En vérité, le système de mesure de la température nationale est bien plus complexe que ce que @NiusMarco semblait décrire. Mais cela n'a pas empêché une multitude de comptes de venir crier au complot ; un comportement qu'une personne interne à Météo France a tendance à voir de plus en plus sous ses posts Twitter. 

On aurait pu croire que le climatoscepticisme avait été terrassé par les différents rapports du GIEC ainsi que l'accélération des catastrophes climatiques de ces dix dernières années. Mais sur Twitter, une tendance à la minimisation des rapports scientifiques voire au déni des preuves scientifiques fait son chemin. Cette mouvance a d’ailleurs été analysée en profondeur dans un rapport de l’institut Jean Jaurès intitulé « Dictature climatique », « pass climat », « great resset » … : les discours complotistes à l'assaut de l'opinion. D'après l'étude menée par Opsci, un institut spécialisé dans l’analyse socionumérique, le débat public en ligne sur le climat a évolué de manière exponentielle depuis 2021 avec une hausse de 90% des publications sur Twitter entre 2021 et 2022, soit 3 millions de publications. Or, depuis 2022 l'institut constate « le transfert d’un discours de défiance radicale envers le « système » né en réaction à la crise du Covid-19 »  vers les thématiques climatiques. Ce transfert se voit d’ailleurs très bien dans les publications de @NiusMarco qui ne portent que sur deux sujets : le climat et la vaccination. 

Cette communauté hétéroclite utilise des termes bien à elle comme « dictature climatique » , « grand reset » ou « pass climat ». Qualifiées d'armes sémantiques par Opsi, ces expressions montrent qu'une véritable bataille rangée est en train de s'organiser entre les anciens antivax et la réalité du dérèglement climatique. D'après les données recueillies, près de 50% des utilisateurs appartenant à cette sphère se sont exprimés sur les questions climatiques en 2022 (29 142 acteurs sur 62 000 au total). Cela représente près de 10% de la conversation climatique.

De quoi les néo climatosceptiques ont-ils peur ?

Parmi les arguments du camp conspirationniste, on retrouve des classiques datant la pandémie. La crise climatique serait une manipulation inventée par les élites, au même titre que la dangerosité du Covid 19 ou la guerre en Ukraine. La peur générée par les rapports scientifiques catastrophiques permettrait d’assurer l'avènement d'un nouvel ordre mondial ou d'un « grand reset » qui serait une forme de dictature basée sur une sobriété énergétique forcée. Beaucoup de climatosceptiques estiment que le GIEC et les scientifiques promus par les médias font taire les scientifiques qui réfutent leur croyance infondée dans le réchauffement climatique. Opsi précise toutefois que ces climats complotistes ne nient pas directement le dérèglement du climat, mais préfère plutôt minimiser les causes effectives et décrédibiliser les scientifiques. Ils refusent d’être considérés comme des climatosceptiques et se présentent plutôt comme des « climatoréalistes », en s’attribuant une capacité de comprendre les origines multifactorielles du changement climatique. Ils se présentent comme les « vrais scientifiques » libérés de l'idéologie dominante. On trouve cette rhétorique sur un autre compte influent, celui de @Elpis_R, suivi par plus de 20 000 personnes et qui se présente comme un chercheur de la science du climat indépendant. Ce dernier est spécialisé dans la diffusion d'extraits choisis d'articles scientifiques qui tendent tous vers un seul but : minimiser la gravité du dérèglement climatique.

Un travail de sape contre l’écologie

Pour Anastasia Stasenko, directrice de recherche chez OPSI, l'activité de ces comptes a une portée allant bien au-delà du simple trolling sur les réseaux. « Ce que l’on observe de particulier ici, c’est la radicalité des discours et leur concentration sur la question de libertés publiques avec la thématique de la dictature climatique, explique-t-elle. Pour aller plus loin, ces discours, du fait de leur radicalité, jouent le rôle de fenêtre d’Overton et permettent de rendre le discours anti-écolo tout à fait banal et acceptable dans l’espace public. » Le rapport souligne que les climatosceptiques appuient en particulier sur le sentiment qu’une France d’en haut ferait payer la crise climatique à une France d’en bas. Les différentes idées de taxe carbone, de limitation de vitesse, de mises en application de nouvelles normes thermique ou d’implantation d’éolienne sont en train de devenir insupportables pour une large partie de la population. La seule chose qui freine le mouvement serait l’absence de relais de ce discours anti-écologiste parmi les figures politiques, même d’extrême droite. Pour le moment, la France n’a pas de Trump ou de Bolsonaro pouvant incarner ce ras-le-bol. Mais ça n’empêche pas ce ressentiment de se solidifier en ligne. 

David-Julien Rahmil

David-Julien Rahmil

Squatteur de la rubrique Médias Mutants et Monde Créatif, j'explore les tréfonds du web et vous explique comment Internet nous rend toujours plus zinzin. Promis, demain, j'arrête Twitter.
commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Dans le dernier rapport du GIEC (avril 2023) il est bien indiqué que la température mondiale depuis une dizaine d'années est légèrement en baisse. Ils n'ont pas remonté l'information dans leur synthèse bien entendu (pour quelles raisons, c'est intéressant de se poser la question - et ce n'est pas complotiste de légitimement se poser la question). Par ailleurs dans ce rapport (très long et en anglais, l'avez vous lu Monsieur Rahmil ?), il y a indiqué "qu'ils pensent" que la température montera "de un ou 2 degré(s)" : ce n'est pas très scientifique/sérieux de déclarer du simple au double. Il est facile de déclarer que les autres développent une théorie fantaisiste mais encore faudrait-il mieux la détailler et se baser sur un rapport du GIEC qui serait scientifiquement irréprochable. (N'oublions pas que les températures étaient bien plus élevées qu'actuellement au Moyen-Âge quand le Groenland était tout vert, sans drame pour les populations du globe - ou bien plus froides au début du 1er millénaire 4è siècle et au 17è siècle, ce qui a provoqué des famines donnant la fin de l'Empire Romain + la révolution française). Il est bien connu qu'on accuse son chien d'avoir la rage pour mieux le tuer (la pensée globale bien vue vs les climatosceptiques ou plutôt réalistes, basés sur des relevés scientifiques de l'évolution des températures du globe sur des milliers d'années, carottes glaciaires de l'Antartique). Merci !

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