Pas pour l'aider financièrement, se marrer à Las Vegas ou faute de mieux. Mais pour placer l'amitié au centre de leur vie.
« On veut se marier pour être liés tous les deux par un truc très officiel. Non seulement juridiquement, mais aussi de manière plus solennelle, pour exister en tant que couple, consolider notre amour et s’engager l’un envers l’autre. Notre mariage serait le moyen de sceller une union matérielle et sociale, et de se jurer fidélité pour toujours. »
Louise, 25 ans, ne parle pas de son fiancé ou de son petit ami. Mais d'Olivier*, son meilleur ami. Entre eux, pas de relations sexuelles ni de sentiment romantique, mais une amitié profonde et solide résistant aux années et à laquelle ils confèrent la place généralement occupée par les rapports amoureux. « Il y a beaucoup d’amour entre nous, même si ce n’est pas un amour classique. Mais c'est cet amour-là que nous voulons privilégier et faire grandir. Ce que nous partageons est très fort, et ce type d’amour est pour moi la meilleure raison pour un mariage. Il nous unit déjà dans la vie, alors pourquoi ne nous unirait-il pas devant un maire ? », questionne Louise.
Comme d’autres avant eux aux États-Unis, Louise et Olivier ne se reconnaissent pas dans la définition du couple traditionnel. Et n’ont aucune envie de s’y conformer...
Best friend is the new boyfriend
« On se connaît depuis toujours. Nos parents sont amis, nous sommes nés la même année au même moment. Très vite, on a noué une amitié intense et fusionnelle. Déjà petits pendant les vacances, on s’amusait à se marier en robe de Blanche-Neige et on parlait de l’organisation de la cérémonie », se rappelle Louise.
Alors qu'Olivier a du mal à accepter son homosexualité auprès de son entourage, leur amitié se cimente autour de confidences, de Vanessa Paradis et de larges pintes de bière. Au fil des années et des déceptions amoureuses, ils réfléchissent beaucoup à la notion de couple et établissent que ce n’est décidément pas pour eux. « La vision du couple marié, hétéro, avec enfants et pavillon ne nous fait clairement pas rêver, un peu de la même manière qu’un CDI ne nous emballe pas, observe Louise. Depuis l’adolescence, on est plutôt du genre à dire fuck aux conventions. »
Alors quand des années plus tard, accoudés à un comptoir un soir d’été, ils se font le serment de s’unir l’un à l’autre, la promesse va au-delà du pacte éthylique typique (« Si-à-30-ans-on-est-toujours-célibataires-on-se-marie-! »). Depuis que l’accord a été couché sur le papier, les deux amis discutent de leur « projet de vie très sérieux » à chaque fois qu’ils se retrouvent à leur QG parisien de Montmartre.
« Dire fuck aux conventions »
S'agit-il juste de dire fuck aux conventions ? Oui, il y a de ça, reconnaît Louise. Pourtant, les motivations à se marier de Louise et Olivier sont celles de nombreux couples. « On s’aime profondément et on veut fonder un foyer. On aurait ça comme point d’ancrage, on serait toujours là l’un pour l’autre, on vivrait ensemble avec bienveillance, chacun dans sa chambre. Ce qui nous plaît dans l’idée de se choisir, c’est de se délester des devoirs conjugaux, des rancœurs, de la jalousie qui créent des confusions dans le couple… »
Pour Félix Dusseau, sociologue spécialiste des questions d’amour, de sexualité et d’intimité, la formule n’a rien d’étonnant. « L’amitié a longtemps été sous-évaluée, mais elle revient depuis quelque temps sur le devant de la scène. Elle est perçue comme moins performative que le couple (qui l'est, il suffit d'aller sur TikTok, inondé par le #CoupleGoals pour s'en rendre compte ! ) et comme comportant moins d’obligations à agir d’une certaine façon que dans une relation traditionnelle. Et ce, tout en pouvant être néanmoins très engageante. »
Pour Aurore Malet Karas, docteure en neurosciences cognitives, sexologue et thérapeute de couple, le modèle est aussi tout à fait sensé. Elle y voit le moyen de vivre une relation de couple apaisée, libérée des enjeux d’ego. « En général, les gens qui vont dans ce genre d’union se connaissent depuis longtemps. Ils y vont les yeux grands ouverts, sont en pleine connaissance des forces et faiblesses de l’autre, et ne s’inscrivent pas dans la même dynamique que les personnes qui font couple par pression sociale. »
Refuge contre le monde, crédit immobilier et chambre séparée
Et loin de Louise et Olivier l'idée de s'adonner à une relation amoureuse pour répondre aux attentes de leur entourage. « Le dating, ça nous fait marrer deux minutes, admet Louise, mais sans être spécialement à fond non plus. On enchaîne les déceptions. On se dit qu’il vaut mieux être tous les deux, on s’entend bien, on se fait marrer. Et on profite des avantages du mariage. »
Car ce mariage comme point de repère, Louise le perçoit aussi comme un moyen d’assumer un foyer fonctionnel. Elle qui se déclare bien consciente que sa situation professionnelle n’est guère stable et florissante, tout comme celle d'Olivier, comédien intermittent du spectacle, voit dans le mariage avec son meilleur ami un refuge contre le monde. « Évidemment, il y a aussi les avantages matériaux à prendre en compte : avantages fiscaux, facilité d’obtention d’un prêt bancaire… Car il faut bien dire que face à l'administration française, tout est plus simple en couple ! On serait un renfort l'un pour l'autre. »
Encore une fois, le parti pris n'étonne pas Aurore Malet Karas. « Le mariage permet de se protéger mutuellement. En sociologie et en anthropologie, un mariage est un arrangement financier. Rien d'anodin finalement à ce que ce genre d'initiative ait commencé à fleurir aux États-Unis. Dans la conception anglo-saxonne, le couple est plus perçu comme une petite entreprise ou un partenariat, loin de la passion latine. »
Pour la spécialiste, ce modèle de couple est plus enclin à éclore de l'autre côté de l'Atlantique pour plusieurs raisons, notamment le fait que les États-Unis assument pleinement une culture très capitaliste. Aurore Malet Karas note également l'absence d'héritage catholique et du grand avènement romantique bourgeois que nous avons connu en Europe, et qui aurait selon elle grandement pollué la vision de l'amour des individus. « Les États-Unis n'ont pas connu ça, cela a épargné au pays des illusions irréalistes », affirme la scientifique.
Pour vivre heureux, vivons à deux (mais avec les autres)
« L’une des raisons qui nous poussent aussi à sérieusement envisager notre mariage, ce serait de faciliter notre vie sentimentale, celle que nous aurions à côté, précise Louise. On a l’impression qu’être mariés nous donnerait paradoxalement plus de liberté. »
Encore une fois, pour Aurore Malet Karas, l’argument tient la route. « Notre époque survalorise l’amour romantique, et les gens nourrissent de très grandes attentes par rapport au couple. L’autre doit satisfaire tous les besoins, être "tout" : le meilleur ami, l’amant, l’alter ego, parfois le coparent… Cela met une pression terrible sur l’entité et c’est souvent la douche froide. Alors qu’avec ce genre de dynamique, les relations sont souvent plus saines, plus posées, moins prenantes et dangereuses. »
À ses yeux, les couples – platoniques ou pas – basés sur un lien amical fort ont plus de chance de durer, car si la passion amoureuse n’est pas condamnée à s’éteindre, elle peut néanmoins fluctuer. « Alors pourquoi miser dessus ? Quand je regarde mes amies plus âgées, mariées, je vois des mariages qui s’effritent, de l’ennui dans le couple et dans le foyer…, déplore Louise. Là, on évite ça et en même temps on vieillit à deux, sans les poids morts du couple. Et puis pour faire un enfant, ce serait vachement plus sain. »
Et si jamais un jour Louise ou Olivier tombent amoureux de quelqu'un d'autre ? Louise rit et rejette la question d'un revers de main. « Évidemment, cela ne pourrait fonctionner que si la personne que nous rencontrons est ouverte à notre mariage. Mais ce scenario ne me fait pas vraiment peur. On ne pense pas tomber amoureux de personnes qui seraient à l’opposé de nos valeurs de toute façon… »
Réhabiliter l'amitié face à l'amour
Pour redonner à l’amitié ses titres de noblesses, Felix Dusseau cite volontiers Michel Foucault, qui érigeait l’amitié en tant que mode de vie. Lors d'un entretien mené en 1981, le philosophe rappelle que durant l’Antiquité Grecque, l’amitié (entre hommes) était perçue comme un mode de relation centrale. Aujourd’hui, il semblerait cette perception se réinvente sur le devant de la scène chez les Z et les millennials.
« Les études statistiques le montrent, la génération Z pratique moins la sexualité que ses aînés. Une hypothèse pour l’expliquer est la pression croissante que les jeunes ressentent face à la sexualité, tellement performative qu’elle en devient angoissante », souligne Félix Dusseau.
Le sociologue note aussi qu’entre la pandémie, le réchauffement climatique, le chômage et le terrorisme, les jeunes ont énormément de raisons d’être inquiets. S’appuyer sur des relations plus sûres, durables et sécurisantes que des relations amoureuses classiques lui semble tout à fait opportun. Un avis partagé par Aurore Malet Karas : « Je trouve ce genre d’engagement très beau, très pur. L’amitié est beaucoup passée sous silence chez les adultes, sous-exploitée, alors qu’elle est primordiale dans la vie de beaucoup de gens. On parle bien de "rupture amicale", et on sait qu’elles peuvent faire très mal… »
D’autant plus que les relations amicales sont déjà souvent au centre de nos vies... « Je pense au roman Jules et Jim, confesse Félix Dusseau, un sourire dans la voix. On le présente souvent comme l’histoire d’un trio amoureux. Je ne suis pas tout à fait d’accord. Pour moi, c’est plutôt l’histoire d’une très belle amitié. »
Et ils vécurent heureux
Alors, épouser son meilleur ami, la solution rêvée ? Pas tout à fait quand même. Mettre l’amitié au centre de vie, oui. Mais que se passe-t-il quand la société veut à tout prix y substituer l’amour ?
Face à la famille, aux amis et aux collègues de travail, il faut être capable de tenir une position très marginale, et pas forcément bien acceptée. « Le problème, c’est que l’impact de notre entourage sur notre relation est toujours très sous-estimé. C’est pourtant un élément récurrent en thérapie. Quand on est amants, on est deux, quand on est un couple, on est plusieurs. On change de statut social et on devient une entité qui interagit avec d’autres entités… », précise Aurore Malet Karas.
Notamment les belles-familles, qui s’invitent dans la danse et sont, selon la neuroscientifique thérapeute, la cinquième cause des divorces. « Et les belles-familles sont toujours plus difficiles à gérer lorsque les couples sont atypiques, ce qui serait le cas ici avec un mariage platonique entre amis. »
Mais peu importe pour Louise et Olivier. Leur mariage, ils savent déjà à quoi il ressemblera. Il se déroulera sur la plage de leur enfance, en maillot de bain et en déshabillé kimono, avec des crevettes, des légumes grillés, des gobelets, des amis, et beaucoup, beaucoup de champagne.
*Le prénom a été changé
Article tout simplement consternant. Chaque argument est plus faible que celui qui précède. Réflexions d'adolescents trop gâtés, consuméristes et individualistes, désespérément en quête de valeurs. Bien triste époque où le néant remplace la réflexion. Après Les Femmes Savantes de Molière, on pourrait écrire Les Ados Eduqués...