
Plutôt que d'aller chez le psy, ils racontent leurs angoisses en story. Bienvenue dans le monde créatif et angoissé des Z.
Avec 15 millions de #anxiété sur TikTok, les Z ne font pas que se dandiner en musique. À leur manière, ils lancent l’alerte : l’anxiété est partout ! Mais, pour lutter contre elle et toutes ses variantes, les Z ont trouvé la tactique. Vivre avec, en parler, l’afficher, même. Peut-on sublimer son spleen en story Insta ? Apparemment, oui.
Génération No Filter
À 25 ans, le dessinateur de BD Théo Grosjean fait partie de ces anxieux qui crient haut et fort leurs troubles. Autoproclamé « homme le plus flippé du monde », c’est sous ce titre qu’il publie sur Instagram une BD qui raconte avec humour son quotidien. De ses premières angoisses d’enfant à sa vie amoureuse actuelle, sous son crayon, aucun sujet n’est tabou. « Parfois, je publie des strips sur des symptômes très particuliers, d’autres fois sur des microévènements beaucoup plus courants, comme cette petite angoisse qu’on ressent quand on croit avoir perdu son téléphone », raconte-t-il, avant de nous assurer que « l’anxiété n’est qu’une part de notre humanité ». Alors, lorsqu’il évoque ses propres crises d’angoisse, il s’excuserait presque de décrire ce qu’il considère comme « une banalité pour beaucoup de jeunes ».
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Parmi eux, Tessae. Entre anxiété sociale, phobie scolaire et dépression, à 19 ans à peine, la rappeuse marseillaise a côtoyé le sujet de près. Elle le raconte dans ses textes, mais surtout sur TikTok, la plateforme sur laquelle sa chanson Bling est devenue numéro 1. Dans un format mi-journal intime, mi-mème propre au réseau social, elle se livre face caméra auprès de ses 239 000 abonnés. Faux-ongles multicolores de 5 cm et eyeliner fluorescent aux paupières, son témoignage, lui, est sans artifice. À l’image d’une Gen Z qui porte des filtres sur son visage, mais pas sur ce qu’elle a à dire.
Parler, échanger, transformer
Privée de scène pendant le confinement, Tessae a mis sa créativité bouillonnante au service des maux des autres. Sur TikTok, l’adolescente a lancé le projet AdVitam. Le concept : ses abonnés lui racontent un souvenir, elle le transforme en chanson sur la musique de leur choix. La jeune artiste récolte ainsi les témoignages des fans qui lui confient leurs moindres secrets. Sur fond bleu, face à son micro, Tessae magnifie les histoires douloureuses et transforme phobies sociales, tentatives de suicide et expériences de transphobie en œuvres d’art.
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L’interactivité, c’est aussi ce qui a motivé Théo à publier ses états d’âme sur Instagram. « L’échange direct avec le lecteur, que ce soit par messages ou en commentaires, est vraiment intéressant, sur cette plateforme », raconte celui qui a la volonté de parler de l’anxiété avec tout le monde, de la même façon qu’il en parle avec son cercle privé. Et ça fonctionne. « À chaque fois que je lis tes BD, ça me donne les larmes aux yeux tellement je me reconnais dans tes angoisses », écrit Clara sous un des dessins de Théo. Chaque strip publié génère des centaines de commentaires du même genre. Mais c’est par messages privés que les lecteurs se confient le plus.
La fin des experts
« J’essaie de répondre aux messages, mais ça devient de plus en plus compliqué, vu le nombre », avoue Théo. À chacune de ses publications, il reçoit des dizaines et des dizaines de messages de sa communauté. « Il y a des gens qui sont très touchés par la BD. Parfois, ils attendent de moi que je sois comme un psy pour eux. Mais je n’ai aucune formation, je ne suis pas du tout capable de les aider », raconte-il.
Faire des confidences à sa chanteuse préférée plutôt qu’à un professionnel de santé, rien de plus logique, chez les Z. Pour Michelle et Déborah, deux activistes de la santé mentale, il y a même urgence à discuter de véritables expériences, plutôt que de théorie. À respectivement 22 et 24 ans, les deux anxieuses partagent la même déception envers la façon dont sont traités leurs troubles par la société et le corps médical. Alors, les experts, très peu pour elles. Déborah a même laissé tomber son master en psychologie pour se réorienter en naturopathie. Malgré leur connaissance du sujet, elles n’envisagent pas de prendre la parole sans avoir le savoir expérientiel qui va avec. « Si on veut parler de la schizophrénie, on ira demander de l’aide à quelqu’un qui a vécu cette expérience », détaille Déborah. En tout cas, l’une comme l’autre n’ont pas l’intention de rester les bras croisés.
Bousculer les clichés, faire tomber les tabous
Michelle et Déborah se sont lancées du jour au lendemain dans le projet Santé mentale urbaine. Sur Instagram, le compte Stop Ta Psychophobie leur souffle l’idée d’investir l’espace urbain pour parler de santé mentale à la manière des collages féministes. L’idée leur paraît excellente. C’est parti. « On a créé deux ou trois affiches. On a regardé comment faire de la colle avec de la farine et de l’eau. Et puis, on est allées coller », se souvient Michelle. Rapide et efficace.
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Depuis, elles affichent sur les murs des messages pour dégommer les clichés sur les troubles psychiatriques. « C’est dans ta tête » ou « Tout le monde a de petits coups de blues », peut-on lire de Paris à Toulouse en passant par Bordeaux. Un vrai combat à mener pour les deux activistes, qui sentent bien que le sujet se banalise surtout dans le milieu des jeunes engagés. « Il y a des clichés qui persistent de génération en génération », se désole Michelle. Face au même constat, Déborah rappelle leur objectif : « On veut que les gens soient obligés de voir nos affiches. On existe, on est là, et il est temps de nous prendre en compte. »
Cet article est paru dans le n°24 de la revue de L'ADN, dédiée à la génération Z. Pour vous en procurer un exemplaire, c'est par ici !
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