Cabale, combats progressistes et connivences néo-nazies : que reste-il du satanisme, et où se place t-il sur l'échiquier politique ? Un chercheur répond à la question.
À mi-chemin entre la religion et la philosophie, le satanisme, mouvement composite et protéiforme, s'organise autour d'un paradoxe ultime : comment faire communauté autour d'une figure symbolique (Satan) de l'individualisme ? Tirant aussi bien sur l'extrême droite que la gauche libérale, le satanisme, construit à partir de chocs et contre-chocs, demeure mal connu en France, où contrairement aux États-Unis il n'a fait que peu d'adeptes. En ligne, le satanisme, en version plus ou moins diluée, se porte bien, avec 1,2 milliard de vues pour le #satanist, 2,7 milliards pour le #satanism et 4,8 milliards pour le #satan. Pourtant, le mouvement n'a été étudié que par une poignée de chercheurs dans le monde. Mathieu Colin est l'un d'entre eux. Spécialiste du satanisme, il s'intéresse à l'étude de la religion, de la politique, des idéologies extrémistes et de l'ésotérisme occidental. Le chercheur à l'Université de Montréal et l'Université de Sherbrooke retrace l'histoire du satanisme depuis le début des années 60 pour analyser la coloration politique de la mouvance.
Commençons par faire les présentations. Qui est Satan ?
Mathieu Colin : Cette figure complexe est majoritairement développée durant la période dite apocalyptique (entre la fin du IVème et IIème siècles avant Jésus Christ) et après la rédaction du Nouveau Testament. Dans l'Ancien Testament, la figure de Satan est peu développée, présentée parfois comme un instrument de Dieu utilisé pour tenter ou punir certains individus. La littérature judaïque apocryphe en fait progressivement le chef d'Anges précipités dans les ténèbres, hors du Ciel, suite à leur révolte et à leurs crimes. Progressivement, Satan est associé au Mal et à la souffrance. Plus tard, le Christianisme et le Nouveau Testament synthétisent les traditions apocalyptiques et rabbiniques en s’inspirant des représentations juives et grecques. Satan devient alors un élément central de la théodicée qui se comprend dans son opposition au Christ.
C’est quoi le satanisme ? Comment le mouvement est-il né ?
M. C. : Entre messes noires, sacrifices d‘enfants et réseaux infiltrés, de nombreuses légendes urbaines circulent vis-à-vis du satanisme, notamment depuis la panique morale des années 80. En réalité, le mouvement né en 1966 en Californie avec la création de l’Église de Satan par Anton Szandor LaVey, Howard Stanton Levey de son vrai nom. (Personnage haut en couleur à la biographie fabriquée et entretenue, il aurait soit-disant fréquenté Marylin Monroe et été dresseur de lion...) L'Église se forge dans un San Francisco qui baigne dans les néo-spiritualités et les croyances new age, et où se solidifie la méfiance envers les religions organisées. Ce terreau sera qualifié en 1972 par le sociologue Colin Campbell de « Cultic Milieu » (le milieu occulte). Il s’agit d’une sorte de laboratoire des croyances infusé d’ésotérisme, d’occultisme, de pratiques contre-culturelles et de mouvements de libération féminine et sexuelle. De nombreuses expérimentations et bricolages religieux se constituent ici, comme la scientologie née quelques années auparavant. C'est dans ce contexte qu’Anton LaVey, juif-Américain, fonde un groupe informel, The Magic Circle. Le groupe qui se réunit pour parler sorcières et vampires devient finalement l’Église de Satan, première organisation sataniste au monde.
Avant 1966, on enregistre l'existence de proto-satanistes ou de mouvements d’attribution, comme durant les chasses aux sorcières du 15ème et 16ème siècle, mais d'aucun système organisé. Il faut bien différencier ce qui relève de l'invocation au Diable pour obtenir des faveurs, pratique courante au Moyen-Age, de la vénération du Diable en tant que telle. Les premières rumeurs d'affaires satanistes émergent sous Louis XIV en 1779 avec l'Affaire des poisons, affaire impliquant la « faiseuse d'ange » La Voisin (qui comptait supposément parmi ses clientes divers aristocrates, dont la favorite du Roi, Madame de Montespan), et que l'on accuse entre autres de sacrifier des fœtus aux démons. Cette affaire forge l'idée de la messe noire, développée et entérinée en 1891 par l'écrivain Joris-Karl Huysmans. Dans Là-Bas, il décrit les profanations d’hosties, orgies sexuelles et sacrifices sanglants qui auraient lieu dans le Paris de la fin du XIXème siècle et continuent d’imprégner l’imaginaire collectif aujourd'hui.
Comment se positionne l’Église de Satan d'Anton LaVey ? Quelles sont ses inspirations ?
M. C : On est bien loin des sacrifices sanglants ! L’organisation est athée, ses membres ne croient pas littéralement au Diable et ne vénèrent pas Satan. Ce dernier est perçu comme une figure allégorique du réservoir de puissance interne à l'Homme. Il est le symbole de l'opposition aux valeurs du Christianisme (le théisme, le rapport pudibond au corps et à la sexualité...) et à tout ce que LaVey perçoit comme une idéologie faisant l'éloge de la faiblesse. Le satanisme de LaVey est profondément élitiste et nourri de Darwinisme social. La mission primaire de son église est la constitution d'une cabale d'élite au cœur de la nation. Parmi ses inspirations : les philosophes Friedrich Nietzsche et Ayn Rand, grande papesse américaine du capitalisme. Dans les années 50, elle théorise l'individualisme capitaliste, qu'elle baptise éthique objectiviste. Ayn Rand réfute l'existence de tout aide étatique et vise à établir le capitalisme comme seul système où l'individu fort peut exploiter son potentiel, se découvrir et s'émanciper. Pour résumer son Église, LaVey dira d'ailleurs : « Mon satanisme, c'est juste Ayn Rand, mais avec des rituels. »
LaVey mixe ces deux influences pour faire du satanisme un courant mi philosophique mi politique, courant qu'il qualifie d' « égocentrisme libertaire » et dans lequel Satan représente le retour à soi. Dans La Bible satanique écrite en 1969, LaVey argumente que comme les Hommes ont inventé Dieu, c'est eux-mêmes qu'ils idolâtrent par proxy. À ses yeux, l’individu est la seule entité à même d’être vénérée. Aujourd'hui, l’Église de Satan, dirigée par Peter H. Gilmore, est toujours en vie. Peu active depuis la mort de LaVey en 1997, elle publie régulièrement quelques articles et podcast sur des chaines YouTube affiliées.
En quoi cette Église se distingue-t-elle d'autres groupes contre-culturels de l'époque ?
M. C. : Dans l'ensemble, les groupes issus de la contre-culture des années 60 sont majoritairement à gauche. Or, les positions culturelles de l'organisation se situent plutôt à droite, dans la lignée conservatrice du law and order (la loi et l'ordre). LaVey lui-même est anti-avortement, pro peine de mort et port d'arme. L'Église de Satan promeut le darwinisme social, qu'elle appelle « stratification ». L’Église estime que certains hommes sont supérieurs aux masses idiotes droguées au capitalisme et aux mouvements grégaires. Les doctrines raciales sont en revanche absentes de ses discours. Théoriquement, le satanisme de LaVey, même s’il vise à s'imposer comme religion dominante, ne prône aucune action politique et implication dans la sphère publique au nom du satanisme. Tout individu se reconnaissant dans ses valeurs peut intégrer l’Église, fière de dire qu’elle fait cohabiter en son rang communistes, anarchistes, progressistes et fascistes. En tant que groupe informel, L’Église de Satan, ne reconnait pas la notion de communauté, il n’est pas question de faire progresser la société. Si le groupe prône la liberté sexuelle, ce n’est pas dans une optique libérale, mais pour encourager la pulsion refrénée par le Christianisme et inhérente à l’Homme.
Que reste-t-il de l'Église de Satan aujourd'hui ?
M. C. : En 1975, un schisme se produit au sein de l’Église de Satan. Michael Aquino, le numéro deux de LaVey, fonde Le Temple de Set, un groupe ésotérique et théiste. Fin 2012, une autre organisation émerge, Le Temple Satanique, qui compte aujourd’hui plus de 700 000 membres aux États-Unis. Il s’agit d’une organisation à la fois sataniste et séculariste qui se constitue en religion pour pouvoir se dresser contre les fondamentalistes chrétiens. À ce titre, Le Temple est reconnu juridiquement par l’IRS (Internal Revenue Service, agence du gouvernement fédéral américaine qui collecte impôt sur revenu et taxes diverses) comme jouissant des mêmes droits légaux que toute autre religion catégorisée en tant qu'organisation 501(c)(3). L'activisme politique est au cœur de son projet, projet qui consiste à agir dans la sphère publique après avoir identifié les possibles collusions entre religions et politiques publiques. En 2014, le Temple s'insurge contre l'érection devant le Capitole de l'État de l'Oklahoma d'une statue représentant les tables des Dix Commandements, argumentant que la statue viole le premier Amendement de la constitution qui garantit la séparation de l’Église et de l’État. En signe de protestation, Le Temple tente d’ériger une statue de Baphomet (ndlr : idole à tête de bouc) devant le Capitole. En somme, le Temple actualise l’Église de Satan en la débarrassant de son élitisme et de son darwinisme social pour la replacer à gauche. Au programme : favoriser les droits des personnes LGBT, assurer le droit à l'avortement, amplifier la voix des sans-religion (une catégorie large et hétérogène qui regroupe les athées, les agnostiques et les spirituels, catégorie aujourd’hui évalués à 33% aux États-Unis) et des communautés marginalisées qui ne se reconnaissent plus dans la religion civile américaine. En ligne de mire : user d'humour et de provocation pour instaurer une religion (conçue ici comme un ensemble de valeurs partagée par une communauté) débarrassée de toutes croyances surnaturelles.
Comment les chercheurs classent-ils les différents courants satanistes ?
M. C : Trois grandes branches composent le satanisme contemporain : rationaliste, ésotérique et réactif. La branche rationaliste (celle de facto fondée par LaVey) voit en Satan un symbole de rébellion et de lutte contre la tyrannie, symbole notamment inspiré par Lord Byron, Percy Shelley et William Blake, poètes romantiques de la Satanic School of Romanticism, selon l'étiquette forgée par Robert Southey en 1821. La branche ésotérique estime quant à elle que Satan est une entité réelle à laquelle s'initier en suivant différents rituels ésotériques mixant cabale chrétienne, rites venus d'Orient et néopaganisme. Ces deux branches sont post-chrétiennes : elles détraditionnalisent Satan pour le réincorporer dans de nouveaux récits. La branche réactive considère que Satan est conforme au paradigme chrétien : il est l'adversaire de Dieu, le chef des Anges déchus, le symbole du mal absolu à vénérer en tant que tel. À ces trois mouvances, je propose d'ajouter la branche politique. Elle concerne un satanisme politique soucieux d'investir la sphère publique par des moyens plus ou moins légaux selon les organisations. D'après cette classification, Le Temple Satanique, sous-tendu par l’envie de faire communauté, est à la fois rationaliste et politique. Aujourd'hui, le groupe est très médiatique, à tel point que la réalisatrice Penny Lane leur a consacré en 2019 le documentaire Hail Satan ? diffusé sur Netflix.
Pourquoi le satanisme s'exporte-t-il mal en France ?
M. C : Le satanisme est très lié au contexte religieux, culturel et légal américain. La grande majorité des satanistes du Temple Satanique s'opposent à la Droite chrétienne, un ensemble hétérogène d'acteurs évangéliques et fondamentalistes. Dans les années 70, on pense notamment à Jerry Falwell et Pat Robertson, figures importantes de la Moral Majority, ou encore au pasteur D. James Kennedy. Aujourd'hui, à David Barton, Lea Carawan et Mike Huckabee. Ce groupe se revendique plus ou moins ouvertement du Dominionisme, une idéologie qui entend instaurer un gouvernement inspiré du christianisme et des Lois bibliques. Dès 2001, Malcolm Jarry, cofondateur du Temple Satanique, envisage la création d'une organisation sataniste qui serait une poison pill (une pilule empoisonnée) pour saborder le gouvernement Bush et sa proposition de programme finançant les organisations religieuses avec de l'argent publique. Cette poison pill prendra la forme d'un groupe sataniste qui revendique l'accès aux mêmes dispositions légales que n’importe quel groupe religieux. Aux yeux de Malcom Jarry, cette revendication ne manquerait pas de refroidir les défenseurs du programme ! Nous sommes de fait moins concernés en France... Des congrégations et « chapitres » (des loges) du Temple Satanique ont existé en France, mais sous une forme très marginale qui n'a pas perduré.
Dans les années 2000, la France a aussi connu une phase de panique morale autour de la figure de l'artiste Marylin Manson et des concerts de métal, période durant laquelle la Miviludes évalue dans un rapport alarmiste le nombre de satanistes français à 25 000. En 2008, le sociologue Olivier Bobineau calme le jeu avec l'ouvrage Le satanisme, Quel danger pour la société ? , dans lequel il ne dénombre pas plus d'une centaine de satanistes, dont dix affiliés à des organisations. Il existe en effet quelques petits groupes, comme l'ASMG basé à Marseille, qui encore aujourd'hui édite le journal La Voix de Satan, mais c'est très anecdotique.
Si certains courant satanistes contemporains se situent plus à gauche, d'autres sont franchement à droite. Lesquels ?
M. C : Anton LaVey et son successeur Peter Gilmore avaient la volonté de constituer un mouvement aristocratique (au sens littéral du terme) au sein duquel les satanistes constitueraient l'élite de l'humanité. Cette idéologie exacerbant l’élitisme et la haine de l’égalitarisme a grandement facilité les contacts entre l’Église de Satan et des suprémacistes comme James Madole, leader du mouvement néo-nazi National Renaissance Party. Boyd Rice, haut dignitaire de l’Église de Satan, était par exemple lui-même lié à des individus suprémacistes proches du Ku Klux Klan.
Il faut aussi prendre en compte la formation de mouvements d'extrême-droite infusés d’ésotérisme qui s'emparent de la figure de Satan. C'est le cas de L'Ordre des Neuf Angles (Order of Nine Angles, dit aussi ONA ou O9A) créé en Grande-Bretagne par Anton Long à la fin des années 60. L'Ordre mélange satanisme, néo-nazisme et, à un certain degré, djihadisme. Il s'est constitué en opposition à l’Église de Satan, jugée faible car prônant le respect de l'être humain, de la loi et des animaux. Leur nombre est difficile à estimer, mais ils seraient environ 2000 selon une récente étude. Comme il s'agit d'un mouvement très décentralisé, ils sont certainement plus nombreux. L'Ordre des Neuf Angles revendique un satanisme théiste et traditionnel, articulé autour d'un Satan agent du chaos qui plébiscite la destruction et la malveillance. Satan n'est pas le seul dieu de la cosmogonie du groupe : il faut aussi compter avec Baphomet, figure féminisée ici représentée comme l'épouse de Satan, et autres entités inspirées du panthéon lovecraftien. Le projet de l'Ordre : démanteler les croyances qu'il qualifie de judéo-chrétiennes et servir une idéologie tournée vers le mal absolu.
L'Ordre des neuf angles constituent ce que vous appelez une méta-idéologie. Qu'est-ce-que c'est ?
M. C : N'importe qui se reconnaissant dans les textes de l'Ordre - textes disponibles sur Internet et modifiables en direct par les membres - peut se considérer comme faisant partie du groupe. Une meta idéologie peut se retrouver partout. Le but de l'Ordre est d'ailleurs de s'insérer au sein d'organisations pour les retourner. Chaque initié est censé infiltrer un groupe - armée, police, institutions publiques, groupe anarchiste, djihadiste ou d'extrême droite - entre 6 et 18 mois pour acquérir de l’expérience et le radicaliser de l'intérieur. En 1998, une enquête menée par le magazine Searchlight révèle deux choses : tout d'abord, le groupe est lié à des pédophiles notoires ; ensuite, Anton Long, le créateur de l'Ordre, ne serait autre que David Myatt, le suprémaciste auteur de A Practical Guide to Aryan Revolution (Guide pratique pour une révolution aryenne). Myatt s'est illustré en tant que garde du corps du British Movement, organisation politique néo-nazie formée en 1968. Grand admirateur de Himmler, du Général Waffen-SS Leon Degrelle et de la 13ème division SS Handschar, division majoritairement composée de Musulmans bosniaques, Myatt se convertit à l'Islam dans les années 2000. Il tente alors de rapprocher les organisations néo-nazis et djihadistes, reliées par deux ponts idéologiques : l'antisémitisme et la lutte contre l'Occident. Suite à cet effort, l'organisation suprémaciste américaine Aryan Nations crée un Bureau of Islamic Liaison, un bureau de correspondances avec les Islamistes. En résumé, cette admiration pour le néo-nazisme et le Djihadisme commune à certains groupes d'extrême droite a infiltré les groupes dits « accélérationnistes », c'est-à-dire visant à instaurer le chaos et la guerre civile. C'est le cas du groupe américain Atomwaffen et du groupe britannique Sonnenkrieg, nés autour de 2015 et 2018 et plus ou moins dissous aujourd’hui.
À quoi ressemble le monde de l'Ordre des neuf angles ?
M. C : Très friand de discours eschatologiques, le groupe récupère le concept proposé au début du 20ème siècle par divers historiens et philosophes qui séparent l'histoire du monde en éons. Chaque éons représente une période de temps durant laquelle des civilisations naissent, fleurissent et meurent. Avant l'Ordre, l'occultiste britannique Aleister Crowley s'était aussi emparée de l'idée, affirmant que l'éon Horus mettrait fin au Christianisme. De son côté, l'Ordre avance que le prochain éon sera celui du Galactic Imperieum, un éon qui annonce la naissance d'un Sur-Homme qui partira à la conquête des étoiles et mettra un terme à la domination des valeurs judéo-chrétiennes. L'objectif de l'Ordre est donc d'accélérer la fin de l'éon en cours par le biais de la destruction. Il s'agit de désensibiliser, de détruire l'empathie et d’exacerber toutes les transgressions. Depuis quelques années, certaines franges de l'Ordre encouragent le viol et la pédophilie ; le meurtre est considéré comme un acte magique, une porte d'entrée surnaturelle pour les mauvaises énergies. L'esthétique (visuelle, émotionnelle…) de la violence est tellement prisée que l'Ordre veut la pousser à son paroxysme, par tous les moyens possibles. Un exemple : en 2020, Ethan Melzer, soldat américain qui ne cachait pas son adhésion à l'idéologie de l'Ordre, a fait fuiter sur Telegram des documents secrets révélant la position en Turquie où serait déployée son unité. L’objectif était de provoquer une attaque djihadiste sur son unité, replonger les États-Unis dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient et déstabiler du monde. Le soldat a finalement été arrêté et condamné en janvier 2023 à 45 ans de réclusion criminelle.
QAnon agite souvent le fantôme du complot pédo-sataniste. Pourquoi?
M. C : QAnon, est un mouvement informel, une meta théorie du complot, qui récupère et réincorpore un certain nombre de théories conspirationnistes. Lorsque QAnon parle de complot pédo-sataniste pour décrire l'existence d'une organisation sataniste internationale qui enlèverait et violerait des enfants, il recycle tout simplement une fausse rumeur qui court depuis le haut Moyen-Age, celle de blood libel. Le terme, qui peut se traduire par « accusation de meurtre rituel », fait référence à l'idée antisémite que les Juifs enlèvent des enfants Chrétiens pour les sacrifier et consacrer des hosties dans leur sang. Les premières occurrences de la croyance remontent au moins au 2ème siècle, ciblent parfois des groupes chrétiens, et produisent directement et indirectement jusqu'au 20ème siècle de nombreux pogroms. Avec le complot pédo-sataniste, QAnon recycle la vieille idée de constitution d'une élite (le fameux deep state) impliquée dans des sacrifices d'enfants, notamment pour obtenir de l'Adrénochrome, liquide censé permettre de rester jeune, voire de devenir immortel. Toujours lié à une forme d'antisémitisme, le discours de QAnon, profondément manichéen, est très compatible avec la croyance en l'existence du Diable. Deux affaires ont alimenté la rhétorique : le scandale Epstein (2019) et le Pizzagate (2016), théorie conspirationniste stipulant que John Podesta, ancien directeur de campagne d'Hillary Clinton, aurait orchestré avec d'importantes personnalités démocrates un réseau pédophile en direct de la pizzeria Comet Ping Pong à Washington DC. L'existence du réseau aurait été découverte grâce à la fuite de mails de Podesta divulguée par WikiLeaks et décodés par des internautes via des forum comme Reddit et surtout 4chan.
Quelle est la place des femmes dans le satanisme ?
M. C : Dans les mouvements situés à gauche, les femmes sont assez nombreuses. (L'un de mes sondages, bien qu'il ne soit pas parfaitement représentatif, avait par exemple trouvé 47% de femmes sur 327 répondants). En plus d'exacerber l'idée d'une sexualité positive et inclusive (la figure de Satan a servi de symbole d'émancipation sexuelle au XIXème siècle), le Temple Satanique milite pour le droit à l'avortement et l'autonomie corporelle. Les femmes qui jugent les religions traditionnelles trop patriarcales peuvent se retrouver dans ces mouvements contestataires qui affirment la liberté individuelle. À droite, certaines enquêtes montrent que les femmes sont assez présentes, notamment dans l'Ordre des Neuf Angles, où existe un discours sur la féminité vengeresse et dangereuse incarnée par Baphomet et Kali (ndlr : déesse hindouiste de la transformation et de la destruction). Il faut cependant rester méfiant en ce qui concerne les proportions réelles. En outre, certains groupes se réclamant de cette meta idéologie sont constitués quasi-exclusivement d'hommes : c'est le cas par exemple de groupe néo-nazi comme la Atomwaffen Division et ses successeurs.
Aujourd'hui, le satanisme est-il de droite ou de gauche ?
M. C : Difficile de trancher. Cela dépend des courants et de la présence d'un intérêt pour la sphère publique, rare dans les mouvements ésotériques. En outre, les positions défendues peuvent être perçues comme relativement ambivalentes. Par exemple, le Temple de Set de Michael Aquino se déclare pour le végétarisme et contre la cruauté animale. En parallèle, Aquino était aussi passionné par Himmler et l'ésotérisme nazi, ce qui l'a conduit à participer à des rituels dans le château de Wewelsburg, utilisé dès 1933 par le dignitaire allemand pour entrainer clandestinement les officiers SS. Ces deux éléments ne sont pas antithétiques, même si le végétarisme est aujourd'hui une position plutôt défendue par la gauche libérale. (Notons toutefois que si cette position est popularisée par la gauche libérale, la droite radicale tient aussi un discours sur cette question.) D'un point de vue numérique, le satanisme rationaliste, avec Le Temple Satanique et ses 700 000 membres, écrase quantitativement l'ensemble des autres courants, et rassemble des individus majoritairement libéraux et progressistes.
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