Couple et enfants blonds dans un champ

Qui sont les Granola Nazis, ces influenceuses d'extrême droite ?

© Ilya Pavlov

Au travers de leurs astuces ménagères, éloges de la vie saine et imageries guerrières, elles disséminent les préceptes sur lesquels reposait l’idéologie du Troisième Reich.

Qui aurait imaginé qu'un pot de confiture fait maison pourrait être chargé de tout le fiel de l'imagerie néonazie ? Entre lait fraîchement tiré et vie au grand air, les digital traditionalist women, des « femmes qui expriment en ligne leurs opinions traditionalistes », cultivent avec soin une image ingénue sur Instagram. Rien ne saurait être plus trompeur. Au cœur de la sphère, un noyau dur : les « Granola Nazis » qui se lèvent tôt pour préparer à leurs enfants un petit-déjeuner sain et nourrissant à base de noix et flocons et d'avoines, et croient fermement en l'existence d'une race blanche supérieure dont elles seraient les garantes. Catherine Tebaldi est chercheuse en anthropologie numérique et linguistique au Culture and Computation Lab de l'Université du Luxembourg. Dans le cadre du GNET, la branche de recherche universitaire du GIFCT, Forum mondial de l'Internet contre le terrorisme, elle publie l'essai « Granola Nazis: Digital Traditionalism, the Folkish Movement and the Normalisation of the Far-Right » (Granola Nazis : traditionalisme numérique, mouvement folklorique et normalisation de l'extrême droite), dans lequel est présenté cette frange particulière des influenceurs suprémacistes.

Qui sont les Granola Nazis ?

En ligne, les Granola Nazis ont su peaufiner une esthétique qui sent bon le champ de blé et les gâteaux tout juste sortis du four. Très connectées et maîtrisant parfaitement les codes des réseaux, elles encensent un mode de vie pastoral et pré-Internet qui associe la modernité au déclin. Comme explique Catherine Tebaldi : « Elles cultivent les champs de betteraves tandis que les plis de leur robe et de leur tablier de mousseline tombent sur leurs pieds nus ; elles préparent des conserves de légumes marinés entourés d'enfants blonds qui rient. En hiver, la famille dessine des motifs runiques complexes sur des biscuits, ou tresse des branches de conifères et de houx pour célébrer la fête de Yule (Yule est un mot anglais qui viendrait du vieux norrois Jol et est utilisé en régions germaniques et nordiques pour désigner le solstice d'hiver, NDLR). Les textes et vidéos célèbrent la santé et le bien-être, et vont au-delà pour s'étendre jusqu'à ce qu'ils appellent la "revivification de la vitalité folklorique". Il s'agit ici de célébrer la tradition nord européenne, des hommes et des femmes héroïques vivant à la maison avec une grande famille blanche ; l'herboristerie et la santé naturelle ; le paganisme et la mythologie occulte, et la croyance en une spiritualité raciale blanche. »

Des huiles essentielles au génocide blanc en une minute

Comme le souligne la chercheuse, la vie vantée par les Granola Nazis s'appuie sur des valeurs renvoyant à « l'écologie fasciste du Troisième Reich » et à « l'aile verte » du parti nazi, qui s'intéressait de près à l'écologie, l'eugénisme et l'ésotérisme racial. Au travers de la confection de tarte aux pommes, de la cueillette de framboises sauvages et de l'élevage de moutons, elles louent les mérites d'un mode de vie « ancestral » et d'un « retour à la terre. » Si certaines célèbrent l'agriculture, la santé et l'alimentation biologique, d'autres reviennent à la spiritualité et aux valeurs d'une ère préféministe ou pré-droits civiques. La chercheuse rappelle que la sphère Granola nazis flirte avec d'autres groupes, comme les « crunchy moms » (ces mères qui refusent de vacciner leurs enfants et préfèrent les élever à la maison) et les « raw-egg nationalists » (à traduire par les nationalistes à œuf cru, en références aux nationalistes antisémites qui aiment ingurgiter des aliments non cuits et détestent le soja). Tout un beau monde qui mêle joyeusement extrême droite, communion avec la nature, nationalisme blanc, penchants antiféministes et consommation de produits bio.

Rien de plus facile que de les repérer en ligne. La Granola Nazi mise sur le bien-être et la fertilité comme porte d'entrée : après avoir expliqué comment utiliser les huiles essentielles pour soigner Covid et dépression, elles embrayeront plus ou rapidement sur des théories du complot comme le génocide blanc et le grand remplacement. Leur compte Instagram abonde d'images folkloriques blanches, de films et séries télé célébrant la vie à la ferme (La Petite Maison dans la prairie) ou l'hyper-masculinité (The Northman, Vikings). Le vocabulaire se pare de termes mythologiques nordiques pour faire référence de manière détournée à l'idéologie nationaliste blanche. Parmi ces termes : thulean, en référence à Thule, île semi-légendaire de l'Antiquité, et nom d'un groupe nationaliste et occultiste en Allemagne au début du XXème siècle affilié au parti nazi ; hyperboréen, un peuple mythique de l'Antiquité, ceux qui vivent « par-delà les souffles du froid Borée » ; shield-maiden, (femme-bouclier), skjaldmær en vieux norrois, pour décrire une femme-guerrière.

Le mouvement folklorique et la religion pan aryenne

Au cœur des Granola Nazis, il y a le Mouvement Folklorique (the Folkish Movement ou Neo-Volkish Movement). Il s'agit d'une mouvance néopaïenne ayant mixé la culture tribale nordique et germanique, courant völkisch allemand, mythologie nordique et mysticisme nazi pour créer une religion pan aryenne. Aussi appelée Odinist, Asatru ou Wotanist en références à différentes sectes et sous-groupes, la mouvance compte relativement peu de membres. Elle serait en revanche motrice dans la propagation de la mythologue suprémaciste blanche et des discours conspirationnistes, notamment depuis la pandémie et les confinements. Pour les identifier, noter la présence sur leurs réseaux de quelques indices.

Pour commencer, la représentation récurrente d'Algiz, la quinzième lettre de l'alphabet runique, associée à la protection et à la défense, et symbole de la supériorité raciale. Mais aussi une imagerie très hétéroclite : l’utilisation de polices gothiques, des clichés d'arbres feuillus et gorgés de soleil et de femmes mélancoliques dans la campagne. La chercheuse précise encore dans son essai : « Dans leurs messages sur les réseaux sociaux, les appels à la suprématie blanche sont codés dans un style entre gothique et hippie, empruntant aux représentations culturelles populaires de la tradition européenne : images préraphaélites de dames et seigneurs, guerriers vikings montrés sur Netflix, références au Seigneur des Anneaux, fermiers blonds et jeunes filles tout droit sortis des œuvres de la réalisatrice nazie Leni Riefenstahl. » Évidemment, ils ne se contentent pas de sévir en ligne, mais s'organisent en églises uniquement ouvertes aux Blancs, se lancent dans l'édition de pamphlets et de guides pratiques, ou dans les podcasts vantant les bienfaits de l'éducation à domicile, de la tisane et de la ségrégation.

Des signaux inquiétants pour Catherine Tebaldi qui tire la sonnette d'alarme : « Leur imagerie n'est pas seulement un costume ; c'est une vision de la nature exprimant une essence blanche profondément enracinée dans le mélange d'environnementalisme, d'antirationalisme et d'ultranationalisme du mouvement folklorique. Combinés, cela traduit à l'écofascisme non seulement en violence exterminationiste, mais aussi en mouvements apparemment innocents pour la santé, le bien-être et la famille. »

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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