
Oubliez Dubaï. Sur YouTube et ailleurs, des influenceurs en quête de sensations préfèrent s’envoler vers des zones à risque. Une pratique déroutante, et qui pose de nombreuses questions.
C’est un fait. Le tourisme sur les réseaux sociaux, ça marche, et certains influenceurs consacrent leur vie à filmer leur quotidien de globe-trotter. Mais ici, c’est d'un tourisme d’un autre genre dont il est question. En effet, pour faire la différence, certains influenceurs choisissent de parcourir des zones réputées pour leur instabilité. Décryptage.
En quête de clics et de sensations
Mars 2020. L’Europe est submergée par la première vague de Covid, de nombreux pays se replient sur eux-mêmes. Mais pour certains influenceurs, hors de question de ne pas assouvir leur soif de voyage, bien au contraire. C’est le cas d’Eva zu Beck, 30 ans. Après des études à Oxford, un job au Parlement de Londres, la jeune femme d’origine polonaise plaque tout pour partir voyager. Sur sa chaîne YouTube, près d'1,34 million d’utilisateurs suivent ses récits aux quatre coins du monde. Jusqu’ici, rien à signaler. Seulement, la jeune femme se différencie très nettement de n’importe quel blog de voyage pour une raison simple : le choix de ses destinations.
Eva vous emmène en Syrie, au Pakistan, en Irak. Au fil de vlogs quotidiens, elle vous partage ses rencontres avec les habitants, ses balades dans les steppes ou dans les marchés. Son ambition ? Décrire les richesses culturelles de ces pays, loin du climat politique et des conflits qui les animent. Tout sourire, passeport en main, la voici qui débarque à Damas en Syrie. D’un plan à l’autre, elle s’enthousiasme des couleurs, admire les murs ornés et la gentillesse des habitants. Au fil des vidéos, Eva zu Beck célèbre la vie et il est difficile de ne pas être troublé par ces contenus. Derrière cet optimisme de « citoyen du monde » en vadrouille, il y a clairement un hic.
Entre irresponsabilité et simplification de la réalité
Eva zu Beck aborde les choses sous un angle drastiquement dépolitisé. Il y a deux ans déjà, Capital rebondissait sur l’enthousiasme de bon nombre d’influenceurs à l’égard de leur séjour au Pakistan. Rosie Gabrielle, vloggeuse et youtubeuse canadienne, avait été invitée à parcourir le pays par une association omanaise. Sur un fond de musique de film d’aventure, la canadienne dévoilait des images de paysages merveilleux capturés par drone, des plans d’enfants qui rient au ralenti. Elle se dit touchée par la spiritualité des lieux jusqu’à en pleurer, et déclare sa flamme au pays. De son côté, Eva zu Beck est allée plus loin, dans une vidéo décrivant point par point pourquoi le pays avait le potentiel de devenir la meilleure destination de voyage au monde. Elle s’enthousiasmait à l’idée de rencontrer le Premier ministre, et de tourner avec l’armée de l’air.
Pour le gouvernement, c’est une sacrée aubaine ! Pour valoriser le pays et son potentiel touristique à l’échelle internationale, qui de mieux qu’un influenceur occidental aux millions d’abonnés ? Au fil de ces contenus, les instabilités et les conflits ne sont que très vaguement évoqués, et les liens entretenus entre créateurs de contenus et autorités locales sont loin d’être clairs. Quand Rosie Gabrielle s'extasie devant les paysages du Baloutchistan, l'une des quatre provinces fédérées du Pakistan, et dresse un portrait idyllique de la région, elle omet de préciser que la zone est bouleversée par les manœuvres de groupes séparatistes. Mais tout cela, ce n'est pas dans sa vidéo que vous l'apprendrez.
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