Habitués à partir en bande, en couple ou en famille, ils avaient besoin – après des mois de confinement – de se retrouver seuls. Sans le savoir, ils souffraient d'asolitude, un mal très 2021.
Envie de cette sensation délicieuse : bourlinguer sans la moindre contrainte, sans gosses à occuper ou copains désireux d’enchaîner les visites aux musées. Et surtout, sans conversations tièdes à entretenir.
On appelle ça l’asolitude. Le terme a été forgé en 2021 par le psychologue canadien Robert J. Coplan. Il traduit l’expression « aloneliness », qui décrit la souffrance ressentie lorsqu'on souhaiterait se retrouver seul mais que les circonstances l'empêchent, souffrance exacerbée par les confinements en série. Une souffrance qu'Arnaud* et les autres ne pouvaient plus supporter.
Marcher, ne pas parler. Et recommencer
« Moi c’est simple, je ne pouvais plus encadrer personne », lâche Arnaud, 47 ans, consultant financier à Montpellier. Après un divorce, quelques confinements passés à s’occuper de ses deux adolescents et un retour au bureau qui le laisse hagard et fatigué, ce randonneur chevronné a décidé cette année de faire l’impasse sur le traditionnel séjour en villa corse avec ses amis d’école.
« L’idée de devoir prendre l’apéro tous les jours en groupe, d’écouter les mêmes conversations sur le boulot et gosses, et de vivre au rythme des autres, c’était au-dessus de mes forces. Juste impossible. »
Cet été, Arnaud* est donc parti tente sur le dos et carte topographique en poche sur le GR5, le sentier reliant la mer du Nord et la mer Méditerranée. Il n’a pas tout quitté pour parcourir les quelque 2000 kilomètres du trail, mais a passé trois longues semaines dans les Alpes.
« Je peux l'affirmer, avec le recul, ça a sauvé ma santé mentale. J’étais à deux doigts de l’effondrement, je ne supportais plus rien, mes amis, la foule, mes collègues. Plus assez de jus et un gros besoin de silence… »
Ce qu’Arnaud* a voulu fuir, c’étaient les conversations : celles à propos du temps, du vaccin, du réchauffement climatique, des factures du dentiste… Loin du brouhaha familier, il a eu le temps de se reconnecter peu à peu à lui-même, grâce à une nouvelle routine solitaire et libératrice.
« Et ça va étonnamment vite ! », affirme le randonneur. Après deux nuits à s’endormir avec le vent qui claque contre sa tente et trois jours à arpenter un sentier terreux, Arnaud* s’est senti revenir à lui. Et après quelques semaines d’une vie monacale, il s’est retrouvé prêt à renouer – verbalement – avec les autres.
Loin de la foule déchaînée...
Cette envie de solitude a aussi frappé Agnès*, 40 ans, coiffeuse à son compte et fan de Pop It. En juillet, elle est partie se réfugier quelques jours près de la mer sans en informer son entourage. « On m’a proposé plusieurs plans pour cet été, mais je n’avais envie de rien. Du coup, j’ai prétexté crouler sous le boulot pour avoir une excuse et dire non, mes amis n’auraient pas compris, je ne voulais pas les vexer. Et je suis allée me cacher seule dans un petit hôtel en Bretagne du sud. J’ai bu des cafés, je me suis promenée, je mangeais ce que dont j’avais envie à l’heure que je voulais. Le tout le téléphone coupé. C’était grisant. »
Pour Laura*, 28 ans, voyager seule cet été a été une bouée de sauvetage. « Mes derniers mois ont été pourris », confie cette actuaire ardéchoise. « J’étais longtemps seule en télétravail, puis catapultée au bureau à vivre entourée de monde toute la journée. Et là mon mec m’a quitté… » Après avoir beaucoup pleuré (et avalé quelques anxiolytiques légers), la jeune fille a sauté dans un avion, direction Colombo, capitale du Sri Lanka. « Je n’avais jamais mis les pieds en Asie, cela a été un dépaysement complet. Les odeurs, la moiteur de l’air… De temps à autre je croisais des Français munis de leur Routard mais je les évitais. Je ne voulais absolument rien qui puisse déboucher sur une rencontre. Je me contentais de sourire aux gens de loin. »
Évidemment, le besoin de solitude ne date pas d’aujourd’hui. Mais alors que la pandémie a donné à certains des envies d’orgies et de bains de foule (#HotVaxSummer), d’autres ont préféré se tenir encore un temps à l’écart du monde.
Faire des câlins aux arbres
C'est le cas de Caroline, 35 ans. Quelques jours avant le premier confinement, la jeune femme emménage dans son petit appartement cannois avec son compagnon et son fils de 7 ans, et se retrouve à travailler depuis son salon et à faire l’école à la maison. « C’était tout nouveau et assez compliqué pour moi. La solitude m’a beaucoup manqué », avoue la jeune femme, graphiste le jour, artiste la nuit. « J’ai commencé à sentir un gros manque d’inspiration par rapport à mes créations, je tournais en rond… Bref, je sentais que j’avais réellement besoin de partir. Et seule. »
En août, elle tâte le terrain avec son conjoint et se décide pour le Luberon, à 3 heures et demi de route. « Je voulais de la simplicité, de la nature. J’avais envie de me ressourcer en faisant des câlins aux arbres », rit la jeune femme.
Par une journée ensoleillée, Caroline monte dans sa Coccinelle et part rejoindre un camping près du village de Bonnieux (1 362 habitants) où l’attend une petite roulotte nichée dans la forêt. Pour l’occasion, elle s’est même concocté une playlist baptisée « Sur la route ». Dedans, des morceaux planants d’Angus et Julia Stone et la BO du Seigneur des Anneaux, qu’elle écoute pendant qu’elle sillonne entre les vignes : « C’est plein de vallons et de forêts, j’avais envie d’avoir de la musique de hobbit dans les oreilles. »
Dans sa valise, deux thrillers, un numéro du magazine Happinez, un carnet de croquis. Au programme : se promener dans la forêt de cèdres, croquer comme bon lui semble, et fuir les autres comme la peste. D’emblée, Caroline a annoncé ses intentions aux propriétaires du camping, qui la rassurent : ici, pas de vie nocturne et le calme absolu.
« Idéalement, je serais même partie à l’étranger, pour que la barrière de la langue me permette de rester vraiment dans mon coin », sourit l’artiste. « Ce sera pour la prochaine fois ! »
Pendant quelques jours, Caroline se balade sans horaire, sans contrainte, sans personne. « Les choses se sont faites de manière très fluide : je regardais, je marchais, je m’arrêtais quand je voulais. Je partais avec l’idée d’écrire un peu tous les jours mais cela ressemblait trop à une obligation alors j’ai arrêté. Dès que j’avais une contrainte, je la supprimais ! Renouer avec moi et la liberté était tellement naturel et instinctif que je ne me suis pas rendu compte sur le moment de la bouffée d’air frais que c’était. »
À Cannes, son compagnon la retrouve calme, apaisée et pleine d’inspiration. Dès son retour, l’artiste enchaîne avec une exposition où elle partage de minutieux croquis d’insectes, façon cabinet de curiosité. « Rien à voir avec mes créations habituelles ! Cela m’a redonné un vrai souffle, ce voyage en solo. Et pourtant, ce n’était qu’une semaine », s’émerveille-t-elle. C’est décidé, elle recommencera chaque année.
À lire pour avoir envie de partir seule :
Wild, roman autobiographique de l’américaine Cheryl Strayed, sous-titré en français « Marcher pour se retrouver », et adapté au cinéma en 2014.
Sauvage, roman de l’américaine Jamey Bradbury, paru en France en 2020, qui raconte l’histoire Tracy Petrikoff, une jeune fille de 17 ans vivant à l'écart du monde et sillonnant en solo l’Alaska avec ses chiens de traîneau.
Le goût du voyage, qui compile de courts textes de Marcel Proust, Nicolas Bouvier, Georges Perec, Patrick Modiano et d’autres.
Je préfère être seul que mal accompagné.