Padma Lakshmi, Kim Kardashian et Jamila Jamil

Hollywood, TikTok, Elon Musk se l’arrachent… C’est quoi l’Ozempic, ce coupe-faim qui fait fureur et inquiète ?

S’injecter un antidiabétique pour perdre du poids, c’est la nouvelle lubie des influenceurs TikTok et des stars d’Hollywood. Le phénomène pourrait transformer l’industrie de la minceur, mais pose de nombreuses questions. Décryptage.

Au cas où vous vous poseriez la question avant l’été, Elon Musk a ses petites astuces minceur : « Jeûne + Ozempic/Wegovy + pas de tentation à proximité ». Le milliardaire est l’une des rares célébrités à évoquer ouvertement ce médicament qui s’arrache depuis plusieurs mois dans les milieux privilégiés, de la mode et de l’entertainment notamment. De Los Angeles à New York, qui prend de l’Ozempic ou pas est devenu l’un des blind items (potins anonymes) favoris des médias people américains. Et Jimmy Kimmel y a fait référence lors de son discours d'ouverture des Oscars 2023.

« Ozempic parties »

Les premières rumeurs autour de l’Ozempic et ses effets sur la perte de poids datent de mai 2022, au moment où une Kim Kardashian bien plus mince qu’à l’accoutumée a fait irruption sur le tapis rouge du Met Ball, cintrée dans la fameuse robe ayant appartenu à Marilyn Monroe. Aujourd’hui, le phénomène est tel que la rumeur bruisse même d’ « Ozempic parties », où l’on s’injecterait la molécule entre gens de bonne compagnie.

Dans les restaurants huppés, on remarque que la taille des doggy bags augmente à mesure que les silhouettes des clients rétrécissent. Ils boivent moins d’alcool (car la molécule provoquerait chez certains cette aversion), leurs visages se creusent : c’est l’ « Ozempic face », entre perte de volumes et relâchement de la peau, caractéristique d’une perte de poids rapide et drastique. Un faciès qui fait par ailleurs le bonheur des médecins esthétiques en créant une nouvelle demande pour fillers en tous genres… Si dans ces cercles, on n’avoue pas être l'un des adeptes du « secret le moins bien gardé d’Hollywood », c’est sans doute parce que la société valorise encore le storytelling qui va avec la minceur, une conquête par la face Nord faite d’efforts, voire d’abnégation. Comme le remarque Matthew Schneier dans un papier du New York Magazine, « si la minceur est une vertu implicite, alors une partie de sa vertu vient d’avoir travaillé pour, de l’avoir méritée. »

Couverture New York Magazine, février 2023

Partout à la télé, dans le métro, ou dans tes rêves

Sur les réseaux sociaux, on se pose moins de questions : les hashtags #Ozempic et #Ozempicweightloss rassemblent respectivement 900 millions et 300 millions de vues sur TikTok, contribuant largement à faire sortir le médicament du sérail. Le récent compte TikTok OzempicDreams recense, lui, les rêves étranges faits sous substance, comme celui où l'on se voit acheter des meubles à Home Depot accompagné de Clint Eastwood – effet que les laboratoires refusent pour l’instant de commenter.

@ozempicdreams #ozempic #ozempicdreams #ozempicweightloss #ozempicjourney #ozempicaustralia #ozempicshot #ozempicface #semaglutide #wegovy #mounjaro ♬ Escapism. Sped up (Official) - RAYE & 070 Shake

Si l’on ajoute à ceci les puissantes campagnes de communication en cours aux Etats-Unis, à la télévision ou dans le métro à New York, il paraît acquis que l’Ozempic est en passe de devenir l’une des marques de médicaments les plus connues au monde, plus vite encore que le sont devenus le Botox ou le Prozac.

Rappelons qu’avec la Nouvelle-Zélande, les États-Unis sont le seul pays au monde qui autorise la publicité pour les médicaments sur ordonnance : outre-Atlantique, les laboratoires dépensent ainsi la bagatelle de 6 milliards de dollars par an pour faire la promotion de leurs produits.

Peptides de synthèse

Mais de quoi parle-t-on exactement ? L’Ozempic est un sémaglutide, une molécule de synthèse qui agit comme le Glucagon-Like-Peptide 1 (GLP-1), une hormone naturelle aidant à la régulation de la glycémie, en stimulant la sécrétion d’insuline par le pancréas. Mais le GLP-1 a aussi d’autres propriétés sur le métabolisme : il ralentit la vidange gastrique, réduisant ainsi l’appétit et augmentant la satiété… D’après une étude publiée par le New England Journal of Medicine en 2021, la perte de poids constatée après 17 mois de sémaglutide, s’élève à 15% de poids de corps en moyenne.

Développé par le laboratoire danois Novo Nordisk, l’Ozempic a été approuvé en 2017 par la Food and Drug Administration, l'administration américaine qui a, entre autres, le mandat d'autoriser la commercialisation des médicaments sur le territoire américain, dans la catégorie traitement du diabète de type 2. Le médicament se présente sous forme d’un stylo prérempli à s’injecter une fois par semaine. Un mois de traitement revient à 900 dollars environ. Le détournement dont l’Ozempic fait l’objet est donc un usage hors indication. Novo Nordisk a aussi dans son portefeuille le Wegovy, plus dosé en sémaglutide, qui est indiqué pour les personnes en situation d’obésité ou de surpoids entraînant un risque pour la santé. Le Wegovy a été approuvé par la FDA en 2021 et coûte environ 1 400 dollars par mois.

Jusqu'à 90 milliards de dollars pour les GLP-1 en 2030

Le Danois n’est pas le seul sur ce créneau. L’américain Eli Lilly développe le Mounjaro, autre antidiabétique en vogue. Lui utilise le tirzepatide, une molécule qui aurait des résultats équivalents, voire supérieurs, au sémaglutide… tant dans ses bénéfices que ses effets indésirables. Car avec l’usage de ces analogues GLP-1, nausées, vomissements, diarrhée, constipation comptent parmi les joyeusetés les plus fréquentes. Parmi les risques plus graves associés à ces médicaments, on enregistre des pancréatites aiguës, des cancers de la thyroïde, etc.

Et la compétition entre laboratoires s’accélère : Pfizer travaille aussi sur ce sujet, en cherchant notamment à développer son agoniste GLP-1 en comprimés, afin de lever le frein de l’injection – qui semble pourtant en ce cas d’espèce remarquablement bas. Chez Novo Nordisk, on s’active aussi pour développer une version orale de ces médicaments, avec une formule en essai de phase III. Avec ces nouvelles galéniques, le marché des « GLP-1 » pourrait peser entre 50 et 90 milliards de dollars à horizon 2030, selon les experts. Et au Congrès américain, le lobbying est intensif pour que cette catégorie de médicaments soit couverte par Medicare, rapporte le Wall Street Journal.

Le chiffre d’affaires s’envole comme les kilos

Pas besoin d’attendre 2030 toutefois pour que le chiffre d’affaires s’envole, aussi facilement que les kilos : les ventes de l’Ozempic ont bondi de 86 % sur les 9 premiers mois de 2022, pour atteindre 6,3 milliards de dollars. Selon le New York Magazine, les résultats d’exploitation du laboratoire sont en hausse de 58% depuis 2017. Et celui-ci n’arrive même plus à suivre, au point que son CEO Lars Fruergaard a déclaré au Wall Street Journal qu’ils auraient dû « mieux prévoir » afin d’adapter leur supply chain.

Tenir la demande, c’est l’une des priorités de Novo Nordisk : 130 millions d’euros d’investissements dans son usine française de Chartres, construction de nouvelles usines au Danemark… Après s’être mise en ordre de bataille, l’entreprise vient de revoir à la hausse ses prévisions de croissance en 2023, les portant à 24-30 %, contre 13-19 % précédemment. En attendant, les tensions d’approvisionnement et ruptures de stock continuent de porter préjudice aux patients diabétiques.

70 % d’Américains touchés par l’obésité ou le surpoids

On comprend alors pourquoi les Ozempic et cie attirent toutes les convoitises – celles des individus ne résistant pas à la promesse du « remède miracle », des laboratoires pharmaceutiques qui y voient leurs prochains blockbusters, et de toute une filière de la minceur qui pourrait se repositionner autour de cette approche par le médicament. Le marché de la minceur pèse 76 milliards de dollars aux États-Unis et 265 milliards de dollars dans le monde, avec des perspectives de croissance radieuses : plus de 70% des Américains sont aujourd’hui en situation d’obésité ou en surpoids. Dans le monde, 51 % de la population mondiale sera concernée à horizon 2035, selon la World Obesity Federation.

Certains acteurs du marché cherchent à se distinguer de cette « tendance » en promouvant l’approche comportementale et / ou « naturelle », d’autres au contraire l’embrassent au point de transformer leurs modèles. Aux Etats-Unis, WW (anciennement Weight Watchers) vient de boucler le rachat de Sequence pour 106 millions de dollars. Cette entreprise de télémédecine, créée en 2021, revendique aujourd’hui 24 000 abonnés, pour 99 dollars par mois, et propose des suivis dédiés à la perte de poids.

Uberisé par le GLP-1 ?

Mais c’est surtout pour sa faculté à prescrire Ozempic, Mounjaro ou Wegovy, que WW, qui a perdu 1,5 million de membres entre 2020 et 2022, s’est intéressée à la société. Une opération particulièrement bien accueillie par les marchés, avec une action en hausse de 70% après l’annonce du rachat. Comme le remarque le média économique américain Bloomberg, il ne s’agirait pas de se faire « Netflixed » (que l’on pourrait traduire par uberisé) par l’approche médicamenteuse. Noom, qui propose des plans pour perdre du poids via une app, développe également son offre GLP-1 – ce pure-player compte parmi ses investisseurs Novo Holdings, qui gère les actifs de la fondation Novo Nordisk.

Le boom de l’Ozempic pose de nombreuses questions. À commencer par : que se passe-t-il quand on arrête d’en prendre ? La réponse est cruciale, à la fois pour la santé des consommateurs mais aussi, plus cyniquement, pour les entreprises et le type de business model qu’elles comptent développer autour de ces peptides de synthèse. Selon le Wall Street Journal, qui cite une étude d’août 2022 (financée par Novo Nordisk), à l’arrêt du sémaglutide, poids et fringales reviennent : les individus regagneraient les deux tiers des kilos perdus. Et le recul à long terme manque encore, surtout dans un contexte de détournement de leur usage, sans parler des filières d’approvisionnement officieuses qui ne manqueront pas de se mettre en place, notamment sur Internet.

Le côté sombre des médicaments coupe-faim

Les perspectives d’une aide au traitement de l’obésité, fléau sanitaire et épidémie rampante, sont évidemment une bonne nouvelle. Le phénomène Ozempic ne manque toutefois pas d’interroger sur notre rapport au corps, à la minceur (Body Positive, y es-tu ? ) et plus généralement, notre goût immodéré pour les pilules magiques. Des quick fixes qui évitent de se confronter à nos vulnérabilités personnelles et plus largement, à nos failles collectives comme les inégalités de nos sociétés, la sédentarité de nos vies ou l’ultra-transformation des aliments – quitte à mettre notre santé en péril.

Car les médicaments coupe-faim traînent une réputation sulfureuse. Révélé par la pneumologue Irène Frachon en 2010, le scandale de l’Isoméride et du Mediator (lui aussi présenté comme un antidiabétique) des laboratoires Servier est de sinistre mémoire. Ces dérivés d'amphétamines (Dexfenfluramine et Benfluorex), largement prescrits pour leurs propriétés anorexigènes, ont provoqué des pathologies graves, comme des valvulopathies cardiaques et de l'hypertension artérielle pulmonaire. Le Mediator aurait causé jusqu’à 2 000 décès et des milliers de malades du cœur et des poumons.

Aux États-Unis, le Redux, équivalent à l’Isoméride, a été retiré du marché deux ans après son introduction en 1995, lors de l'épisode dit du « Fen-Phen » . Le laboratoire Wyeth (anciennement American Home Products, et racheté en 2002 par Pfizer) chargé de sa commercialisation sur le territoire américain, provisionna 21 milliards de dollars pour faire face à l'une des plus grosses class actions de l’histoire. Il n’existe pas de chiffres précis pour les victimes de l’Isoméride en France, que « sept millions de femmes ont pris entre 1985 et 1997 », date de son interdiction, selon Irène Frachon. Lors du procès en appel du Mediator qui se tient en ce moment à Paris, une cardiologue belge a témoigné avoir tenté d’avertir des dangers de l’Isoméride dès 1992. Le Mediator n’a été retiré du marché qu’en novembre 2009.

Couverture Time Magazine, 23 septembre 1996

Game changer ou prochain scandale sanitaire ?

Alors, game changer ou prochain scandale sanitaire ? Nous avons interrogé Jean-David Zeitoun, docteur en médecine et docteur en épidémiologie clinique, auteur du Suicide de l’espèce, comment les activités humaines produisent de plus en plus de maladies (éditions Denoël) : « Il faudra bien sûr être vigilant sur la toxicité de ces substances. Mais dans le contexte actuel, ces molécules peuvent aider face à l’épidémie d’obésité. Attention toutefois à ne pas en faire le nième prétexte pour ne pas s’attaquer aux causes réelles du problème, qui est un problème collectif : je rappelle, par exemple, que les aliments ultra-transformés capturent jusqu’à 80% du volume des supermarchés. »

En France, près d’un Français sur deux (47,3%) est en situation de surpoids ou d’obésité, selon une étude de l'Inserm. 17 % des Français sont atteints d'obésité, une proportion qui a doublé depuis 1997.

Carolina Tomaz

Journaliste, rédactrice en chef du Livre des Tendances de L'ADN. Computer Grrrl depuis 2000. J'écris sur les imaginaires qui changent, et les entreprises qui se transforment – parce que ça ne peut plus durer comme ça. Jamais trop de pastéis de nata.
commentaires

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  1. Avatar Anonyme dit :

    Une seule petite mention sur le réel problème : la rupture de stock. C'est dommage...
    Il aurait été intéressant de plonger plus en profondeur dans cet angle, de demander aux diabétiques ce qu'ils en pensent, de s'intéresser à l'impact de cette potentielle rupture de stock.

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