Des pilules en forme de coeur sur fond orange

Les PUA féminines : le nouveau cercle de l'enfer

© Josephine Barnes

Directement inspirées de la manosphère, les pick-up artists au féminin, spécialistes auto-proclamées de la drague, se lancent à leur tour sur Internet. Super.

Produit de la nébuleuse masculiniste, les PUA (pick up artists), experts auto-déclarés de la séduction, encombraient déjà les réseaux de leurs vidéos YouTube et de leurs commentaires pénibles. Aujourd'hui, les femmes prennent la relève sur TikTok, usant d'une rhétorique misogyne n'ayant rien à envier à celle d'Andrew Tate.

Qui sont ces femmes qui veulent nous aider à séduire ?

Si elles ne revendiquent pas forcément l’étiquette de pick up artist, le programme demeure identique : déployer dans la durée des techniques grotesques pour provoquer le désir et la convoitise. Et leur proposition est ambitieuse : enseigner l'adoption de gestes et comportements qui fonctionneraient inéluctablement sur l'ensemble de la population masculine. Toutes ne sont pas ouvertement masculinistes : @saharooo, @ask_kimberly ou encore @annabellegesson se la jouent grande sœur bienveillante ou bonne copine à la rescousse de leurs amies un peu gourdes. Le ton est confidentiel, les paroles sont encourageants. Sahar conseille à toutes de « prendre des notes », et Kimberley rappelle régulièrement que ses conseils reposent sur « des vérités scientifiques. » Sans surprise, les conseils dispensés sont aussi peu perspicaces (lui toucher le bras, répéter à tout va « Dis m'en plus... », porter du rouge...) que féministes (rire même lorsque les blagues ne sont pas drôles). Annabelle invite à être « imprévisible et incohérente », et Kimberly, que sa bio décrit comme « experte des relations amoureuses et des rencontres », propose de « mélanger peine et plaisir pour développer un attachement psychologique ».

Ces conseils en or ne sont pas toujours gratuits : certaines des créatrices vendent évidemment leur expertise via leur plateforme (prix disponibles sur demande). Bref, le tout donne l'impression d'ouvrir un magazine pour ado des années 1990-2000, lorsque l'expression male gaze (qui décrit la culture imposant une perspective d’homme hétérosexuel) n'avait pas encore été popularisée. (Pour rappel, quelques titres de l'époque : « C'est quoi pour eux une bombe sexuelle ? Ils s'expliquent » ; « 30 pages d’accessoires pour être super craquantes » etc...) Cela n'empêche pas Kimberley et consœurs de faire des millions de vues, soutenues par d'internautes qui boivent leurs paroles et publient de nombreux commentaires admiratifs sous leurs vidéos.

Et puis soudain : le visage de femmes masculinistes

Au fil des vidéos et des caprices de l’algorithme, les PUA remontées par la plateforme changent de visage, laissant places à des personnages comme Nelly Sudri. Forte des ses 800 000 abonnés, la « coach en dating » américaine reprend à son compte le lexique de la manosphère saupoudré de new age : énergie féminine ou high-value men and women, des hommes et femmes de haute valeur. « La société a dit aux femmes qu’elles peuvent avoir des attentes irréalistes envers les hommes sans pour autant apporter quoi que ce soit de valeur à un homme. Cela va plus loin que les apparences, d’ailleurs mesdames, c’est aussi votre façon d’agir ! Êtes-vous doux, attentionné et agréable à côtoyer ? Ou êtes-vous agressif, dominateur et indiscipliné ? », interroge l'américaine, le visage grave. Comme elle, SheraSeven (1.2 million d'abonnés sur TikTok) exhorte les femmes à cesser de perdre leur temps avec des « dusties » (hommes sans argent). Pour cela, les femmes doivent fréquenter des bars haut de gamme, avoir l’air féminine, et d’éviter de trop parler pour cultiver un air mystérieux. En ligne, certains qualifient SheraSeven et compagnie d'influenceuses « féminines sombres », parce qu'elles encouragent à manipuler les hommes en usant de pseudo-sciences méthodes psychologiques douteuses, tout comme leurs homologues masculins.

Entre deux conseils pour avoir douce et distante, Nelly Sudri se manquera pas de s'offusquer sur Instagram : « Voir le drapeau américain démonté et remplacé hier sur les campus universitaires était honteux. Cela montre à quel point les gens tiennent pour acquis d'être dans ce pays. Si vous détestez tellement cet endroit, partez ! Faites de la place à davantage de personnes comme moi qui aiment réellement l’Amérique, qui croient en ses valeurs, qui souhaitent contribuer à la société et qui contribueront à favoriser des communautés sûres et inclusives. 🇺🇸🇺🇸🇺🇸 »

La théorie de l'économie sexuelle

Ces influenceuses s'appuient sur la Sexual Economics Theory (la théorie de l'économie sexuelle), un concept développé pour la première fois par les psychologues Roy Baumeister et Kathleen Vohs, qui apparentent les rencontres à un marché où les femmes vendent du sexe plus ou moins ouvertement aux hommes. Le principe est repris ad nauseum par les incels, qui évoquent régulièrement « valeur marchande sexuelle » (SMV) et hiérarchisation des individus. Aujourd'hui, les PUA féminines promeuvent à leur tour l’idée d' « hypergamie » féminine, selon laquelle les femmes sont biologiquement programmées pour ne désirer que des partenaires riches ou à la SMV supérieure qu'ils ne tient qu'à elles de conquérir. « Il s'opère un étrange enchevêtrement entre des idées apparemment féministes et un langage essentialiste sur le comportement masculin et féminin. (...) Elles utilisent l'idée que les hommes sont programmés pour s'occuper financièrement des femmes, mais elles différent des tradwives car elles ne veulent pas faire beaucoup de travail domestique ou occuper des rôles hyper traditionnels », explique la chercheuse britannique Jilly Kay à Cosmopolitan UK.

L'amour en ligne : ce grand foutoir

En plus des pick up artists, il faut aussi composer avec les delulu girls, ces jeunes femmes qui érigent au rang d'art de vivre l'entretien d'illusions amoureuses et de fantasmes irréalisables. Et avant cela, il y avait aussi ceux qui proposaient de s'en remettre aux prières cosmiques et à la manifestation pour rencontrer l'âme sœur. Face à cette grande pagaille en ligne, une petite grappe de trentenaires a préféré opter pour la détox numérique. Après avoir déserté les applications de rencontres, ils élaborent des petites annonces par le biais de Notion ou Google Doc, ambiance courrier du cœur. Le mot d'ordre ici : pas de stratégie amoureuses digne d'une comédie romantique ringarde ou d'un épisode de House of Cards, mais un paradigme délicieusement low-tech. Pas forcément débarrassé des conseils de SheraSeven et Nelly Sudri.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

Discutez en temps réel, anonymement et en privé, avec une autre personne inspirée par cet article.

Viens on en parle !
commentaires

Participer à la conversation

Laisser un commentaire