Une main soulève une haltère

Interview de Dany Caligula : « La gauche doit se réapproprier les salles de muscu »

© RyanJLane

La musculation connaît un engouement stupéfiant mais la discipline souffre d'une réputation sulfureuse. Elle serait pourtant l'un des sports les plus universels et inclusifs. Interview du youtubeur Dany Caligula, praticien éclairé.

Après une période durant laquelle il enchaîne les galères, perd son logement et son travail, le youtubeur Dany Caligula, 109 000 abonnés sur sa chaîne créée en 2011, se remet à la musculation après une tentative timide opérée 10 ans plus tôt. Aujourd’hui, il pratique avec assiduité le lever de poids, bien que ses sujets de prédilection soient plutôt la politique et les sujets de société passés en mode philo.

En septembre 2022, il publie une vidéo pour parler de sa transformation physique. Elle sera très mal reçue par son public qui assimile ce sport à l'extrême droite. En réponse, Dany Caligula produira une seconde vidéo dans laquelle il pose franchement la question : « La muscu est-elle de droite ? » Au travers du prisme du genre et du clivage politique, il décortique les codes de la musculation, entre construction identitaire, expression de notre souveraineté, et capital à faire fructifier. Interview du streamer qui revient sur les multiples facettes du sport des go muscu.

La pratique de la musculation est en plein essor. Pourquoi maintenant ?

Dany Caligula : On a assisté à une évolution dans la représentation des héros au cinéma. Après Arnold Schwarzenegger et Silvester Stallone qui ont instauré le culte du muscle, les héros se sont mis à arborer une allure plus mince et élancée, comme Tobey Maguire dans Spider-Man. Mais à partir de la sortie du film 300, péplum américain sorti en 2006, tiré d'un roman graphique qui revient sur la bataille des Thermopyles, les choses se sont accélérées. À l'époque, cela avait provoqué une sorte de choc esthétique, et donné le signal de départ à une nouvelle génération de superhéros bodybuildés. Second paramètre à prendre en compte : la multiplication des vidéos YouTube qui diffusent un savoir à la fois scientifique et technique, savoir jusqu'alors relativement confidentiel et réservé à une poignée de passionnés. Une expertise niche se démocratise au moment même où les salles de sport très abordables comme Basic-Fit explosent. On dit souvent que « la musculation est un sport de pauvres pour riches » : pratiqué par des pauvres, mais qui exige un certain investissement, entre l'alimentation, les abonnements, les achats de compléments alimentaire et d'équipements… Mais à ces premiers facteurs viennent s'en ajouter d'autres, plus sociétaux. Pour rééquilibrer nos vies très sédentaires, de plus en plus d'individus ressentent le besoin de faire du sport sans opter toutefois pour une expérience collective. Et l’engouement concerne toutes les obédiences politiques : à l'extrême droite, les adeptes veulent développer du muscle pour s'armer face aux Noirs et aux Arabes qu'ils perçoivent comme menaçants ; à gauche, les discours queer et féministes encouragent la réappropriation du corps, ce qui achève l'adoption massive de la pratique. La caution santé est aussi très importante : la musculation est salutaire pour les os, les articulations et le métabolisme. Après la pandémie, les gens sont plus réceptifs à ce genre d'arguments.

C'est quoi l'esthétique du muscle ?

D. C : Le muscle a longtemps été associé à la vulgarité, à la masse, aux classes populaires. À l'inverse, les physiques fins et élancés, ceux sculptés par le yoga, s'apparentent (encore aujourd'hui) à la bourgeoisie. Ce modèle se perpétue avec les avancées queer, qui donnent naissance à une esthétique masculine qui revendique sa féminité. Il faut aussi prendre en compte certains double standards persistants : dans l'imaginaire collectif, une opposition demeure entre l'homme fin, blanc, presque efféminé et érigé en canon de beauté, que l'on oppose à l'homme, noir, dangereux, animal. En ce sens, les représentations autour du muscle perpétuent les stéréotypes racistes et essentialistes. La masculinité n'échappe pas aux clichés et injonctions contradictoires : être blanc avec des muscles n'équivaut pas à être noir avec des muscles, cela n'accentue pas le risque de se faire tuer par la police. Quelques exceptions à cette dichotomie entre l'« homme blanc fin » et le « noir musclé » : le chanteur Lil Nas X, mais là encore la perception du muscle diffère, car les codes de la virilité varient dans la communauté gay.

Les salles de sport représentent quoi pour toi ?

D. C : Ce sont des lieux très mélangés : on y trouve des individus de tous genres, âges et niveaux sociaux. C'est un espace où l'entraide prédomine, presque un safe space, où les jugements sont mis de côté. De manière peut-être un peu contre-intuitive, c'est un lieu où tous les corps sont les bienvenus, qu'ils soient en situation d’obésité morbides ou handicapés. Ce n'est en fait pas si étonnant que ça : dans les salles règne la logique de l'effort et de la méritocratie, logique qui peut comporter des aspects problématiques, mais qui prescrit respect et bienveillance envers le débutant.

La muscu alors c'est de droite ou de gauche ?

D. C : Les clichés ont la vie dure, le sport est pris entre plusieurs représentations contraires. La droite a tendance à voir les hommes de gauche comme de fragiles bobos vegans, des soy boys (des hommes soja) peu résistants ; de son côté, la gauche perçoit encore la musculation comme un sport de fachos. Avec mes discours sur la musculation, j'espère inciter à récupérer cet espace. La gauche doit se réapproprier les salles de muscu, l'un des espaces les plus mixtes qui soit. C'est le paradoxe ultime de ce sport ! Certaines pratiques comme le bodybuilding (ou culturisme) et le power lifting (ou force athlétique) qui consistent à lever des barres (avec des charges plus lourdes et une amplitude de gestes plus réduite que dans l'haltérophilie) demeurent affiliées à l'extrême droite identitaire et néonazie. Dans les salles spécialisées, tu peux en effet vite te retrouver face à des mecs au crâne rasé et tatouages suspicieux, ce que tu ne verras jamais dans un Gigafit, où règne le mélange... En parallèle, le mouvement body positive s'impose comme l'apanage de la gauche. Et la muscu est par essence un sport qui prône les mantras du mouvement : viens comme tu es, il y aura toujours des exercices qui te correspondent, quels que soient ton niveau, ta morphologie, tes handicaps. On fait difficilement plus universel. Il est pourtant rejeté par la gauche à cause d'un imaginaire affilié, à tort ou à raison, à la masculinité toxique. Cela crée un petit couac destiné à sauter maintenant que les femmes s'invitent, elles aussi, dans les salles et sur YouTube...

À lire pour aller plus loin : La Fabrique du muscle à paraître le 21 octobre 2022 aux éditions L'échappée.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
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