Un homme élégant portant une barbe

L’avenir, c’est les vieux… à condition de penser l’économie autrement

© SilviaJansen via Getty Images

Et si on faisait enfin rimer vieillesse avec richesse ? Pour que cela soit  enfin  possible, Laetitia Vitaud, experte du futur du travail et de la consommation, dessine les lignes d'un avenir où le travail n'est plus synonyme d'aliénation, et où le jeunisme est éradiqué.

De nos jours, quand on parle de démographie, c’est en général pour parler de déclin. Les uns (appelons-les « économistes » ) affirment que le vieillissement de la population et la forme en champignon de la pyramide des âges rendent le financement des retraites insoutenable et menacent la croissance économique. Pour eux, il faudrait faire plus d’enfants. Les autres (appelons-les « écologistes » ) pensent qu’il serait préférable d’arrêter de faire des enfants et d’assumer la décroissance ou bien nous risquons d’ici peu de ne plus avoir de planète viable.

Or les économistes comme les écologistes s’appuient sur la même vision de l’économie, une économie largement industrielle qui repose sur une production et consommation de biens durables gourmands en ressources naturelles, et dans laquelle les « vieux » ne jouent qu’un rôle marginal. Les premiers comme les seconds ne voient pas que la croissance sera ce que l’on en fera, c’est-à-dire pas forcément la même chose que ce qu’elle a été au XXe siècle.

Avant, on rêvait d'une maison en banlieue. Aujourd'hui, de stages de permaculture

Au XXe siècle, le dynamisme de la démographie était l’un des moteurs de l’économie. Les jeunes travaillaient, cotisaient et consommaient davantage que les « vieux ». À partir d’un certain âge, les ménages n’avaient plus besoin de s’équiper et se contentaient de renouveler de temps à autre les biens qu’ils possédaient déjà. Les « vieux » ne soutenaient pas l’économie par la consommation comme le faisaient les plus jeunes. 

Au XXIe siècle, cette vision est en partie obsolète. Nos aspirations changent et la structure de notre consommation se transforme. La part des biens baisse (notamment celle des voitures) et nous consommons de plus en plus d’expériences et de services. Une « croissance verte » semble possible, qui sera faite d’activités de recyclage, de nettoyage, de réparation, de services de proximité et de soins à la personne qui entretiennent les liens sociaux. 

La « bonne vie » de notre siècle ne ressemble donc pas à celle du siècle dernier. On rêvait autrefois d’une maison en banlieue, équipée de nombreux biens dernier cri, avec deux voitures pour le foyer. Aujourd’hui, en revanche, on rêve d’un appartement en centre-ville (sans voiture), de manger bio et local et de faire des stages de permaculture ou des retraites de yoga pendant ses congés. Cette comparaison tient de la caricature mais elle est révélatrice : dans un cas, la croissance détruit les ressources ; dans l’autre, elle les renouvelle. Et le mode de vie des plus privilégiés finit toujours par inspirer celui des classes moyennes.

Travailler plus longtemps pour réparer le monde

En 2050, une personne sur trois aura plus de 60 ans en France (projection INSEE) et l’âge médian sera de 46 ans. Cette tendance est l’occasion d’accélérer la transition vers une nouvelle économie. L’augmentation de la solitude et des besoins de soins et d’accompagnement des personnes plus âgées créent des besoins nouveaux. En vieillissant, on consomme plus de services. On valorise davantage les biens durables et les activités écologiques. Ce n’est pas de biens produits en masse dont nous aurons besoin demain, mais de soins médicaux, cours de yoga, services de coiffure, massages, kinésithérapie, ménage et divertissement. 

La vie active va changer elle aussi. À l’époque où l’économie relevait de la production de masse régie par l’organisation scientifique du travail, le travail était perçu comme une aliénation dont on se libérait enfin à l’âge de la retraite. Mais si la « valeur » et le travail sont redéfinis autour des principes de l’artisanat — autonomie, responsabilité, créativité – alors on peut vouloir travailler plus longtemps pour tisser des liens et réparer le monde. 

Il y a là un cercle vertueux. Si nous travaillons plus longtemps dans ce monde du travail réinventé, alors nous aurons plus de pouvoir d’achat à un âge avancé pour consommer des biens et des services plus « verts ». Mais pour déclencher cette dynamique, il nous faut nous libérer du jeunisme. En placardisant les actifs parfois dès l’âge de 45 ans, nous restons prisonniers d’une vision erronée de nos capacités cognitives. La réalité est que nous pouvons apprendre et créer à tout âge, développer de nouvelles connexions neuronales, tisser de nouveaux liens sociaux et même « faire du muscle » au-delà de 70 ans.

La tendance au vieillissement de la société est l’occasion de réaliser que la vieillesse est une richesse. La transition de notre économie vers un paradigme plus artisanal nous permettra de comprendre que l’avenir, c’est les vieux. Mais pour réaliser cette vision, il nous faut d’abord réinventer à la fois la consommation et le travail.


Laetitia Vitaud

Auteure du livre Du Labeur à l’ouvrage, à paraître chez Calmann-Lévy le 18 septembre 2019.

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