Une vieille dame en tenue de pop-pom girl

Arrêtez de ne vous intéresser qu'aux millennials : ce sont les seniors qui vous inspireront les meilleures innovations !

Quand on vous parle de silver économie, vous pensez couches pour adultes ou EHPAD ? Perdu ! Les opportunités du marché des seniors sont beaucoup plus vastes, et les entreprises gagneraient beaucoup à s’y intéresser. 

Le marketing est obsédé par les jeunes et ne cherche qu’à les séduire – il faut que cela change, car il y a un ensemble d’opportunités qui nous échappent Frédéric Serrière, conseiller en stratégie sur le marché des seniors et fondateur de Global Aging Consulting

Old is gold

« D’ici à 2030, les plus de 60 ans seront à l’origine de plus de 60 % de la consommation », souligne Frédéric Serrière. Et si la France peine à reconnaître la pertinence de ce marché, ce n’est pas le cas ailleurs. En Chine ou au Japon, s’occuper des personnes âgées est perçu comme une priorité absolue, et ces pays connaissent un véritable essor des innovations pensées pour eux. « Ce sont des produits déjà aboutis qui pourraient dominer nos marchés. » Mais suffirait-il alors de dupliquer ce qui existe ailleurs pour rattraper notre retard ? « Pas forcément car il existe sur ce marché de multiples différences culturelles » et certaines initiatives qui fonctionnent très bien ailleurs seraient fort mal perçues chez nous. Au Japon par exemple, face au manque de personnel, ce sont des robots qui prennent en charge les personnes âgées. « C’est plutôt bien accepté... Les Japonais ont conçu une sorte de machine à laver : à la place des vêtements, on met des gens dedans ! En Europe, un produit de ce type est impossible à imaginer. »  

En revanche, il ne serait pas nécessaire d’avoir conçu un produit destiné a priori aux plus âgés pour s’adresser à eux, prétend Frédéric Serrière. « Parfois, il s’agit d’adapter un packaging », et cela pourrait se réduire à ajouter la mention « antioxydant » sur le paquet d’un sorbet à la framboise.

Mettre les seniors dans la boucle

Passer du temps avec les seniors, c’est avant tout apprendre le vocabulaire qui leur convient. Si vous voulez les séduire, parlez plutôt « d’autonomie » que de « dépendance », de « soutien » que de « maintien » … Évidemment. Mais surtout, évitez d’estampiller vos produits « seniors » – ils seraient rejetés par les autres générations comme par les seniors eux-mêmes ! « Le phénomène est connu – il y a une vraie différence entre l’âge que l’on a et celui que l’on pense avoir. Si vous concevez un produit pour les gens de 50 ans, vous risquez de cibler plutôt ceux qui en ont 70. Si vous faites une pub pour les personnes de 60 ans, choisissez une égérie de 48 ans. » Les seuls cas où l’on peut se permettre d’appeler un chat un chat ? « Les cartes de réduction et les promotions ! » Vous voilà prévenu…

Frédéric Serrière préconise surtout d’apprendre à cocréer. Le mot est à la mode, la pratique est nécessaire. « Si vous faites un simple focus group, vous n’obtiendrez aucune information. » Il partage une anecdote vécue lorsqu’il travaillait sur un projet de résidence. « Assez naturellement, nous avions proposé de mettre quelqu’un à l’accueil. Les plus âgés, ça les rassure… Mais les plus jeunes d’entre eux ont été horrifiés : s’ils voulaient inviter une conquête, ça ne leur allait pas du tout d’être surveillés ! Nous avons donc installé un second ascenseur qui leur permettait de rentrer plus discrètement – on n’y aurait jamais pensé si l’on n’avait pas passé du temps avec eux. » Mais au sein d’un groupe d’inconnus, la parole n’est pas toujours libérée. « J’ai travaillé sur un pilulier connecté. Le principe était d’envoyer un SMS aux enfants dont les parents sont sous traitement : lorsque ces derniers prenaient leurs médicaments, ils recevaient une alerte. Sur le fond, l’idée est bonne et tout le monde était d’accord. Dans les faits, le dispositif s’est révélé très angoissant. » Les personnes consultées ont admis que si le message tardait à arriver, elles se sentaient stressées. « Elles préfèrent pouvoir se connecter à un système, une fois par semaine, pour vérifier que tout va bien. En fin de compte, leur sérénité et leur confort étaient plus importants à leurs yeux que la santé de leurs parents. C’est une information difficile à obtenir si vous n’apprenez pas à les connaître… »

Les seniors, une source d'inspiration pour tous

Tout comme les personnes handicapées ont inspiré bon nombre d’innovations – les annonces du métro ont été pensées pour améliorer l’expérience dans les transports des aveugles et malvoyants, les SMS pour que les sourds et malentendants communiquent plus facilement, et les sous-titres qui sont aujourd’hui si précieux en open space devaient à l’origine leur permettre de suivre une conversation filmée. L’entreprise américaine OXO, fabricant d’ustensiles de cuisine particulièrement faciles d’utilisation, a ainsi construit son succès. Derrière la marque, une histoire toute particulière : celle d’une femme souffrant d’arthrite et de son mari, décidé à profiter de ses bons petits plats malgré sa maladie. Ce dernier a imaginé pour elle une série d’outils qui lui permettraient de cuisiner sans difficulté : un séparateur à œuf, un vide- et tranche-pommes, une essoreuse à salade…   « Le succès est aujourd’hui à la fois international et intergénérationnel. Tout le monde a besoin d’ustensiles de cuisine mais si en plus ils sont faciles à manier, c’est gagné. » Les autocars Magelys, développés par Irisbus ont rencontré le même type de succès. Leurs concepteurs voulaient satisfaire avant tout des personnes âgées. Pour tester leur matériel, ils portaient des combinaisons simulant le vieillissement physique – mobilité, vue, ouïe… Résultat : les marches pour y accéder ont été repensées, les boutons pour demander l’arrêt sont plus accessibles, l’habitacle est beaucoup plus lumineux… Ces cars s’avèrent extrêmement confortables et séduisent tous les voyageurs. Dans un autre style, Charal a lancé un steak haché pour « petit appétit », qui convient « aux seniors comme aux personnes dont l’appétit est moins important ». « Ce qui est facile pour les plus âgés est aussi plus simple pour les plus jeunes. En ce sens, des produits ou des services développés pour les seniors peuvent être adoptés par tout le monde. Mais uniquement si l’on parle d’un usage déjà acquis : tout le monde prend l’autocar, tout le monde cuisine. Si l’expérience est confortable et facile, tant mieux. Il faut veiller à ce que le produit ne soit pas stigmatisant»

S’il est assez rare que les seniors se révèlent entrepreneurs sur le tard, Frédéric Serrière explique qu’en dialoguant avec leurs enfants ou petits-enfants, ils font bouger les lignes. « Les plus jeunes essaient alors de trouver des solutions à leurs problèmes. » La grand-mère de Kai Stinchcombe, victime d’escroquerie financière, lui a inspiré l’idée d’une carte bancaire – en cas d’utilisation douteuse, la famille est prévenue. De son côté, Marcie Rogo, émue par la solitude de ses grands-mères, veuves toutes les deux, a créé Stitch un site de rencontres pour les gens de plus de 50 ans. Et c’est parce que Kyle Hill avait du mal à trouver quelqu’un pour s’occuper de sa grand-mère qui vivait loin de lui, qu’il a fondé HomeHero, une entreprise qui met les familles en relation avec des candidats sérieux.

Frédéric Serrière prédit aussi que certaines technologies pensées pour les seniors pourraient bien être adoptées auprès de profils très précis dans les années à venir. « La téléassistance, par exemple, est un grand sujet. Aujourd’hui, elle sert surtout à venir en aide aux personnes âgées qui sont seules chez elles. Mais pour les personnes qui font un travail physique – comme les techniciens EDF chargés d’entretenir les lignes électriques –, les randonneurs ou les alpinistes, la téléassistance pourrait, avec quelques ajustements, se révéler très utile. Question logement, les seniors sont les plus exigeants en termes d’isolation sonore et thermique : là encore, ils pourraient bien imposer de nouveaux standards. »

Penser le marché des seniors comme un gisement de créativité qui puisse profiter à tous…, c’est peut-être là une excellente manière d’envisager les innovations de demain.


Ce texte est paru dans le numéro 15 de la revue de L’ADN : Génération(s). Pour vous la procurer, c'est par ici.


PARCOURS DE FREDERIC SERRIERE :

Conseiller en stratégie pour les directions générales sur les questions du vieillissement démographique, marché des Seniors et Silver Economie depuis plus de 15 ans, Frédéric Serrière est également le Fondateur du Think Tank Age Economy. 

A VOIR :  

www.ageeconomy.org


Crédit image d'illustration : Antony Todd

http://antonytodd.com/ 

Mélanie Roosen

Mélanie Roosen est rédactrice en chef web pour L'ADN. Ses sujets de prédilection ? L'innovation et l'engagement des entreprises, qu'il s'agisse de problématiques RH, RSE, de leurs missions, leur organisation, leur stratégie ou leur modèle économique.

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