Un ordinateur portable sur une table en bois au milieu de feuilles d'arbre

Y a pas qu’Amazon dans la vie : ces initiatives françaises promeuvent un e-shopping éthique

© Eakarat Buanoi via Getty Images

Entre le Black Friday et le problème plus global de la surconsommation, acheter éthique peut devenir un vrai casse-tête. Un sujet culpabilisant pour les consommateurs, dévastateur pour les commerçants et pas forcément top pour la planète. Face à ce constat, certains ne baissent pas les bras. Zoom sur trois initiatives frenchies qui réinventent la consommation en ligne.

On disait que la crise du coronavirus allait enterrer « le monde d’avant » et ses pratiques néfastes. En tête des révolutions à opérer : celle de notre consommation. Trop délocalisée, trop carbonée, trop peu respectueuse des êtres humains et de la planète… si l’on regarde les chiffres, les faits, les stats : il faut tout jeter.

Au côté « pratique » du clic s’oppose désormais la raison. Derrière nos écrans se cachent des entrepôts gigantesques qui bétonnent les terres agricoles, derrière les algos de recommandation des travailleurs du clic aux conditions de travail désastreuses, et derrière la multitude de choix un gâchis monumental.

Est-il encore possible de shopper en ligne sans être un horrible personnage ? « Oui », répondent Timothée Richard (fondateur de Choose), Jessica Nguyen (co-fondatrice de FlipNpik), et Manon Fargelat (fondatrice de Meanwhile Boutique), dont les concepts remettent l’éthique au centre de nos achats.  

De la curation plutôt que de la surconsommation

À l’origine de leurs démarches, un constat commun : on n’achète plus comme avant. C’est vrai pour plusieurs raisons. « Les consommateurs ont envie de comprendre ce qu’ils achètent », affirme Timothée Richard. Pour celui qui a fait ses débuts dans le luxe (au service « destruction » d’une grande Maison), l’époque est à la sélection plutôt qu’à l’hyperconsommation. Et ce n’est pas par manque de choix. « Avant, on consommait tous une centaine de marques archi-connues. Aujourd’hui, une centaine de marques se lancent chaque jour sur les réseaux sociaux. Notre rôle, c’est de servir de guide, de sélectionner les meilleures options. On veut vraiment instaurer un lien de confiance entre ces nouvelles marques et leur communauté. » Pour ce faire, l’application Choose se présente presque comme un média. À l’opposé des « énormes marketplaces sans âme » sans être non plus un curateur de « tout petits créateurs comme Etsy », le service proposé par Timothée Richard a pour ambition d’intéresser aux histoires des marques, à informer un « lectorat »  sur les nouvelles pratiques de consommation. « Car d’un point de vue global, il y a une prise de conscience sur le besoin de consommer local. »

Aider à consommer local, c’est aussi la volonté de FlipNpik. Au programme : un site qui se pratique comme une boutique en ligne géolocalisée et une application qui incite à se rendre dans commerces physiques aux alentours. Loin de taper sur Amazon, qu’elle considère comme une inspiration en matière d’innovation technologique, Jessica Nguyen regrette la culpabilité que les discours actuels font peser sur celles et ceux qui achètent sur la plateforme. « Le problème avec Amazon, c’est que c’est une boîte qui ne paye pas ses impôts en France. La valeur créée n’est pas réinjectée dans l’économie locale. Avec le confinement, on juge pertinent de critiquer ce service alors qu’il n’y a aucune alternative : personne ne s’était jamais occupé du virage numérique des commerçants auparavant ! » Elle blâme les institutions et les associations qui « n’ont pas su former les créateurs et commerçants indépendants » – et ce, quelle que soit la génération. « Poster une photo sur Instagram leur prend parfois une demi-journée. Et avec la taxe GAFA, faire une campagne de pub sur les réseaux coûte au moins 2 000 euros. Autant dire que c’est un budget que tout le monde n’a pas, surtout en ce moment. » Mais pour elle, pas question de laisser celles et ceux qui font tourner l’économie sur le côté de la route. « Les consommateurs ont besoin d’être aidés : nous sommes là pour leur montrer le savoir-faire des boutiques proches de chez eux. Si nos commerçants de proximité meurent, c’est l’économie qui meurt : moins d’impôts, moins d’emplois… c’est aussi moins d’infrastructures dans la ville. Il y a urgence à consommer local. »

Pour Manon Fargelat, la notion de proximité avec les créateurs et créatrices se situe au-delà de la proximité géographique. « À l’origine de mon projet, il y a surtout la volonté de montrer que l’on peut tout acheter de façon éthique. Une brosse à WC, une valise, des vêtements… tous les articles du quotidien peuvent être éco-responsables et transparents. » Pour cette ancienne acheteuse compulsive (dont le dressing comptait près de 200 paires de baskets et plus de 400 sacs à main), il devenait urgent de revoir sa manière de consommer. « À la suite d’une vente de créateurs internationaux à impact solidaire que j’ai organisée avec une association, on a pu construire une école pour des petites filles au Bénin. Je me suis dit que si je pouvais mettre en avant de petits créateurs tout en ayant un impact social, il fallait que je le fasse. » C’est avec cette conviction qu’elle lance Meanwhile Boutique. « J’ai choisi un format online pour permettre une diversité. Bien sûr, je n’ai pas envie d’être comme les plateformes qui proposent tout et n’importe quoi sur leur site, sans regarder ce qu’elles mettent en ligne. Je trie, je considère chaque produit comme une œuvre, je propose des séries limitées, des objets uniques. Il y a du choix, mais un choix conscient. Jamais on ne trouvera sur Meanwhile deux produits ou deux marques qui se ressemblent » Elle en est persuadée : on peut proposer un catalogue diversifié sans tomber dans une forme de surconsommation. « Nous avons un blog en plus de la boutique, pour informer les gens sur les nouvelles façons de consommer, en favorisant la seconde main, l’upcycling, le troc… et d’un point de vue technique, j’ai tenu à garder le "deuxième clic" pour l’achat. C’est possible de l’enlever : sur Amazon par exemple, tu ne valides pas ton achat. Dès que tu cliques, c’est pris en compte. Ça ne permet pas de faire des achats réfléchis. »

Des valeurs plutôt que des promos

Faire des achats réfléchis, c’est plus facile quand la sélection de produits proposés l’est aussi. Pour Timothée, Jessica et Manon, ça fait partie de leur métier. Ça tombe bien, c’est validé par les usages. « Les études montrent que les gens se détournent des marques traditionnelles pour chercher de nouveaux acteurs, plus en lien avec leurs valeurs », analyse Timothée Richard. Alors pour répondre à ces attentes, Choose a dressé une liste de quinze valeurs. « On ne veut pas être moralisateur : les marques cochent les valeurs qui leur ressemblent, et en fonction, elles trouveront un écho sur notre application. » Idem chez Meanwhile Boutique. Pour être référencées, les marques doivent répondre d’une façon ou d’une autre aux cinq piliers de l’entreprise, regroupées au sein d’une charte : défendre l’anti-gaspillage, l’artisanat, préserver les ressources, protéger les humains. « C’est le premier critère. Tous les travailleurs doivent être payés correctement. Et pas question de faire travailler des enfants. » Manon Fargelat rapporte que sur ce point, une marque n’a pas su répondre. « Impossible pour moi de collaborer avec elle. Mon nom, "Meanwhile", ça veut dire "pendant ce temps-là". Tous les jours, de grosses industries polluent, détruisent l’environnement et nient la dignité des gens. "Pendant ce temps-là", des alternatives durables, éthiques et écologiques se créent. Je me tiens garante de ces valeurs. »

Chez FlipNpik, naturellement, les critères d’éligibilité gravitent autour d’une fabrication locale – à savoir européenne ou française. « L’autre sujet, c’est de favoriser les indépendants. Nous ne voulons pas représenter de grosses chaînes ou de franchises. »

Pour ces trois modèles se pose la question de la mise à l’échelle : une sélection pointue et en accord avec des valeurs précises est-elle compatible avec de gros volumes ? Timothée, Jessica et Manon l’affirment avec fierté et ambition : leur métier, c’est faire de la curation, pas de l’automatisation. « Ni du déstockage », précise Timothée Richard. « On a beaucoup de liberté. Aussi bien en termes de typologie de produits vendus que de gammes de prix », affirme le fondateur de Choose. De son côté, il ne s’interdit pas de faire appel à de grands noms de la mode engagée – « pourquoi pas Patagonia, ou Veja ? » – pour gagner en crédibilité. « L’objectif est vraiment de montrer qu’on peut changer notre façon de faire. »

Chez Meanwhile Boutique, faire autrement passe aussi par le soutien d’associations au moment des achats.  « Actuellement, nous accompagnons une association libanaise, à cause de ce qui s’est passé récemment dans le pays. Mais j’aimerais bien changer régulièrement, peut-être en sollicitant les clients afin de voir quelles causes ils aimeraient soutenir. »

De vrais gens plutôt que des algos

Les trois plateformes sélectionnent avec soin les produits, mais aussi celles et ceux qui en sont à l’origine. Sur Choose, c’est par les mots que sont valorisées les personnes qui créent. « À l’opposé d’un Amazon qui fait de la convenience, nous faisons du discovery. Pas de barre de recherche chez nous : chaque marque a son histoire, c’est important qu’elles soient toutes présentées ainsi que les humains qui sont derrière. » Les respecter, c’est aussi leur permettre d’accéder à leur service sans difficulté, et sans les contraintes rencontrées ailleurs. « On gère tout de A à Z. Nous sommes branchés sur le stock de leurs boutiques e-commerce, et on joue le rôle de "pop-up store digital" pour des marques qui n’en ont pas forcément les moyens. Sauf que là on leur permet de toucher des dizaines de milliers de personnes chaque jour. C’est plutôt cool ! » Et heureusement que « c’est cool », car l’une des ambitions de Choose, c’est de construire des relations durables avec les créateurs et créatrices. « Nous ne sommes pas intéressés par des one shots. Nous voulons grandir avec nos marques. »

Chez Meanwhile Boutique et FlipNpik, on a à cœur de soutenir celles et ceux qui n’ont « ni le temps, ni les moyens » de développer leur communication numérique. De par son passé dans la publicité et la distribution, Manon Fargelat a les compétences nécessaires pour les accompagner sur le sujet. « Je passe du temps avec les créateurs, soit en vrai, soit par téléphone en fonction de la période, pour mettre leur histoire et leurs valeurs en avant. » Jessica Nguyen indique de son côté qu’une prestation d’accompagnement, notamment sur les réseaux sociaux, est proposée aux commerces locaux. Mais la vraie magie de l’application, c’est de favoriser la rencontre « en vrai » des artisans. « Contrairement au site, on ne peut pas acheter sur l’application. Mais on peut s’inspirer. Les utilisateurs prennent des photos de ce qu’ils aiment autour de chez eux. Ça peut être leur boulangère en train de travailler, les bouteilles de leur caviste préféré… Ensuite, ils les postent pour inciter les autres membres de la communauté à aller voir par eux-mêmes comment ça se passe en boutique. Nous considérons cela comme un vrai soutien aux commerçants : c’est pour ça que nous récompensons les membres actifs avec des points – cadeaux, dégustations, promotions… – à utiliser partout. En France, en Suisse, au Canada… et bientôt à Singapour. »

 

Des propositions différentes, des modèles de rémunération différents, des échelles différentes… mais des ambitions communes : montrer qu’il est possible de consommer de manière éthique, en ligne. C’est d’ailleurs une conviction : la technologie facilite les choses à ce niveau-là. « Ça permet une expérience plus fluide, les utilisateurs peuvent voir directement si les produits sont en accord avec leurs valeurs », avance Timothée Richard. Bien sûr, il reste des points d’amélioration. Notamment au niveau de la logistique. Respecter l’identité, les stocks des commerçants et leur laisser le soin de la livraison, c’est aussi multiplier les colis. « C’est moins écolo », reconnaît Manon Fargelat. « À terme, j’aimerais acheter directement leur stock aux créateurs. Ça leur permettrait une rémunération directe, et ça éviterait de multiplier les envois. » En attendant la perfection, les premières pierres d’une nouvelle voie sont posées. Et c'est réjouissant.

Mélanie Roosen

Mélanie Roosen est rédactrice en chef web pour L'ADN. Ses sujets de prédilection ? L'innovation et l'engagement des entreprises, qu'il s'agisse de problématiques RH, RSE, de leurs missions, leur organisation, leur stratégie ou leur modèle économique.
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