Une autre pub est-elle possible ? Plus responsable, plus transparente… une pub qui ferait peut-être moins rêver, mais qui aurait un vrai mérite : celui de nous informer.
Convaincre les masses d’adapter leurs comportements, changer radicalement les habitudes et les usages, raconter de jolies histoires pour manipuler les opinions… avec le recul, on a un peu l’impression que le marketing a calqué non seulement ses ambitions, mais aussi ses méthodes, sur celles de la propagande. Comme le note Grégory Pouy, spécialiste en la matière, au XXe siècle, le marketing s’est construit sur trois piliers : le mensonge, le secret et le contrôle. C’est peu réjouissant, mais c’est comme ça qu’on a gobé bien gentiment qu’il suffisait de boire du soda pour être heureux, qu’un smartphone pouvait nous rendre unique, ou qu’un réseau social allait éradiquer la solitude. Bref, on a tout acheté, tout avalé. Mais, maintenant que c’est le moment de digérer, on a un peu la nausée.
On réclame justice, vengeance ; et vite, il y a urgence.
Pour les entreprises, ça passe par plus de transparence, plus d’humilité, aussi. Admettre ses limites, ses difficultés, ne plus se fixer des ambitions à horizon 3021. Les marques doivent nous donner les clefs. L’objectif premier ne doit plus être de nous faire rêver… mais de nous mener à un consentement éclairé. Parce que nous aussi, on doit se bouger.
Finies, les marques héroïnes
On y a longtemps cru, mais on commence à piger : non, les marques ne peuvent pas sauver le monde. Elles ont même plutôt contribué à l’abîmer. Et les exemples pour le souligner ne manquent pas. Petite sélection rapide. Côté santé, dès 2013, le journaliste d’investigation et prix Pulitzer Michael Moss rendait les géants de l’agroalimentaire responsables de l’augmentation des maladies nutritionnelles, dans son ouvrage Salt, Sugar, Fat: How the Food Giants Hooked Us. Côté social, le sombre surnom donné au Taïwanais Foxconn confirme que les entreprises ne veulent pas notre bonheur : celles et ceux qui y travaillent l’appellent « l’usine à suicides ». On peut aussi citer Disney, que les travaux de la sociologue Charu Uppal incriminent pour la représentation blanche et américanisée de la beauté qui prévaut chez les petites filles à travers le monde. Enfin, côté environnement, les preuves abondent. Greenpeace estime que l’industrie agroalimentaire – à cause de l’élevage bovin – est responsable de plus de 80 % de la déforestation en Amazonie ; l’ONG Break Free From Plastic désigne Coca-Cola comme le plus gros pollueur plastique des océans et un rapport du Carbon Disclosure Project dévoile que 70% des émissions de gaz à effet de serre mondiales sont le fait d’à peine une centaine d’entreprises.
Le résultat ? Une baisse de confiance généralisée. Kantar estime ainsi que 52 % de la population française est défiante envers les grandes entreprises. « Il faut que les marques comprennent qu’elles ont des dettes, explique Virgile Brodziak, directeur général de Wunderman Thompson Paris. Une entreprise qui promet d’être neutre en carbone d’ici 2050 n’a rien d’excitant ou d’exemplaire. Il ne s’agit que d’un alignement sur des critères qui font partie des exigences du marché, aujourd’hui. »
Antihéros à gogo
Le problème, c’est que, question consommation, on a fort bien assimilé ce qu’on nous a inculqué : les pailles, c’est pratique ; le plastique, c’est fantastique ; les produits chimiques, c’est magique. Résultat : quand les marques vont effectivement dans le bon sens et changent… on râle.
Dans son dernier ouvrage, le gourou de l’innovation frugale, Navi Radjou, identifie plusieurs paradoxes de la consommation contemporaine. En tant que consommateurs et consommatrices, on se soucie certes de l’environnement, mais on ne change pas nos habitudes pour autant. Il cite les conclusions du Green Index, un indice mesurant les performances de chaque pays en matière d’économie verte. Les résultats ne sont pas encourageants : au Canada, en Allemagne, au Japon, aux États-Unis et en Chine, les comportements des consommateurs et consommatrices étaient moins durables en 2014 qu’en 2012.
Et il n’est pas certain que les choses changent avec la nouvelle génération. Pourtant porte-étendard du mouvement flygskam – la « honte de prendre l’avion », en suédois – la jeunesse a quand même bien envie de découvrir le monde. Une étude menée par Jam pour Allianz Travel révélait en janvier 2020 que 75 % des jeunes, en France, se disent préoccupés par l’impact du tourisme sur la planète. En face du bilan des idées, celui des actions : 90 % des 18-25 ans déclarent voyager hors Hexagone, dont 43 % à un rythme fréquent.
Il y a aussi une autre réalité : celle des enjeux économiques. La fin du mois reste plus concrète que la fin du monde. « Il ne faut pas négliger le fait que de nombreuses personnes sont à l’euro près. C’est difficile de leur demander de payer plus cher pour du bio, du local, ou du recyclé », poursuit Virgile Brodziak. Mais pour la majorité, il s’agit surtout d’inverser le système de valeur en place. « Certaines personnes payent très cher pour un smartphone tout en refusant d’augmenter le budget consacré au poste alimentation. » Une contradiction que doivent dénoncer, selon lui, les activistes de tout bord, les journalistes, et que le gouvernement et l’éducation devraient nous aider à rectifier. « On ne nous demande pas juste de manger moins de sucre, mais de repenser intégralement la manière dont on consomme et dont on valorise la consommation. Bien sûr, ce qui compte, c’est ce que fait le consommateur final. Mais on ne peut pas le laisser tout gérer dans des périodes pas toujours simples. »
Vers un consentement éclairé ?
Face à l’urgence de changer les comportements, tout le monde doit donc agir ensemble. Et c’est aux marques de donner l’élan. Par leurs actions, mais aussi par leur mode de communication. Comment ? En torpillant les trois piliers du marketing. On ne ment plus, on informe. On ne fait plus de secrets, on laisse place à la transparence. On ne cherche plus à contrôler, mais à éclairer. Et de ce côté-là, il y a du taff.
Navi Radjou évoque le Consumer Empowerment Index de la Commission européenne. L’objectif de cet indice est de souligner le bon degré d’information – ou non – des consommateurs et consommatrices selon les pays. La Norvège, la Finlande et l’Allemagne font figure de bons élèves : le niveau de connaissances, de compétences et d’engagement des personnes qui y vivent est plus élevé qu’ailleurs, notamment par rapport à la Belgique, au Royaume-Uni ou à la France. Mais ailleurs en Europe, c’est parfois pire : l’Italie, le Portugal, l’Espagne, la Pologne ou la Roumanie sont près de 30 points derrière les premiers pays, avec des scores encore plus bas chez les femmes, les seniors, les plus pauvres ou les gens les moins éduqués. « Il faut déconstruire et accompagner les changements de comportement, martèle Virgile Brodziak. Et c’est bien sûr un travail qui incombe aux marques. » Le sondage Kantar sur la confiance des Français et Françaises en les marques ne dit pas autre chose : 71 % de la population attend des entreprises qu’elles communiquent et agissent en toute transparence et 72 % des personnes interrogées estiment même que ces dernières doivent être capables de reconnaître leurs erreurs et de s’excuser. En clair : on demande une relation plus égale mais aussi plus humble. On ne veut plus des marques prétendument héroïques, mais des marques qui disent ce qu’elles font, et qui font ce qu’elles disent.
À ce titre, la marque de baskets écologiques et responsables VEJA fait figure de modèle. Sur le site de l’entreprise, une page sobrement intitulée « Limites » répertorie tous les obstacles rencontrés par les équipes pour arriver à leur idéal de responsabilité. « Cette page, c’est le dernier maillon d’une longue chaîne de réflexion, nous confie Sébastien Kopp, cofondateur de VEJA. Quand nous avons créé VEJA en 2004, c’était parce que nous estimions que personne ne s’intéressait à la façon dont étaient fabriqués les produits : tout le monde regardait la pub, la com’, le message porté. La fiction narrée remplaçait la réalité. » Depuis ses débuts, l’entreprise ne dépense pas un centime en communication, afin de consacrer toutes ses ressources à des matériaux et à une chaîne de production responsables – de l’accompagnement des producteurs à l’aide à la réinsertion par le travail en confiant sa logistique à l’association Ateliers sans frontières, en passant par la recherche de matériaux innovants biodégradables, sans plastique pour remplacer le cuir.
Évidemment, malgré ce bon bilan, tout n’est pas rose. « On s’est rendu compte qu’il y avait dans notre modèle des angles morts, des difficultés. On avait l’habitude de publier nos réussites, on s’est dit qu’on allait aussi partager ce qui nous posait des problèmes. Le sourcing, le transport aérien, le cuir, la fiscalité… à chaque fois que nous rencontrons un obstacle, nous le partageons sur notre site. En espérant que ça fasse réfléchir. »
De son propre aveu, Sébastien Kopp n’a pas vocation à « conscientiser » une communauté – ce qui est, selon lui, plutôt le rôle des politiques. « Nous ne sommes pas des communicants : nous sommes dans l’exposition de la réalité. Forcément, ça résonne chez certaines personnes. C’est notre façon de faire : on se base sur l’intelligence collective. »
Aujourd’hui, VEJA grandit – la marque revendique 3 millions de paires vendues depuis 2004 –, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une marque activiste, et plus confidentielle que d’autres acteurs du secteur. « Ceux qui veulent savoir peuvent trouver les informations, les alternatives, et ceux qui ne veulent pas… on ne va pas se battre à coups de pub pour aller les chercher. » Est-ce que ces méthodes peuvent inspirer des géants, qui reposent sur les rouages bien huilés d’un capitalisme plus traditionnel ? Oui, et c’est une bonne nouvelle. Selon la bonne vieille mécanique qui veut que les petites marques engagées piquent la curiosité des plus grosses – et quelques parts de marché –, la méthode VEJA fait des petits.
Ainsi, en ce qui concerne la réduction des déchets plastique, Adidas est engagée depuis plusieurs années dans son projet de chaussure recyclable FUTURECRAFT.LOOP. Sur son site, la marque commence par admettre ses responsabilités, et celles des consos – « Qu’arrive-t-il à votre chaussure une fois que vous l’avez trop portée ? Vous la jetez, vous l’envoyez au loin. (…) C’est pourquoi nous nous trouvons confrontés à une grave menace environnementale. » –, avant de dresser l’état des lieux, honnêtement et avec transparence. La chaussure 100 % recyclable et recyclée ? « Nous en sommes encore loin », admettent les équipes. Pour promouvoir le produit ? Point de pub, mais des séries de documentaires et une poignée de bêtatesteurs-influenceurs.
Dans un autre secteur, Burger King retourne les codes de la « fast com’ ». Afin de présenter son nouveau burger sans additifs, la marque le montre dans sa réalité crue : moisi. Son dernier spot présente un sandwich laissé à l’abandon pendant plusieurs jours, et qui, naturellement, se décompose. Peu ragoûtant a priori, ce scénario présente pourtant un avantage de taille : il joue sur un fait bien connu du grand public – les burgers de l’un des plus grands concurrents de Burger King sont censés ne jamais pourrir à cause de la dose phénoménale d’additifs qui y est ajoutée. Burger King propose désormais une alternative plus saine et honnête. Libre à chacun de choisir ce qu’il préfère. Pour Virgile Brodziak, c’est la bonne méthode. « C’est compliqué d’être parfait à 100 %. On peut découper la population en trois parties : il y a un petit tiers d’hyperactivistes visionnaires, un petit tiers de réactionnaires, et une grosse masse au milieu. C’est en disant les choses, en les montrant et en les répétant, que cette majorité, in fine, changera ses comportements. »
Marketing « pour la bonne cause » ou changement réel de perception et de modèle ? Ce qui est certain, c’est qu’il y a du changement dans l’air : on ne communique plus, on informe. Plutôt que d’assener des messages prémâchés qui ont désormais du mal à être gobés, on veut donner les moyens d’un consentement éclairé. La voie est prometteuse et semble pouvoir réunir les marques engagées et les ferventes défenseuses du capitalisme. Alors, on y croit ?
Cette interview est extraite d'un entretien paru dans la revue de L'ADN numéro 22 - Comment tu me parles ? - à se procurer ici.
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