« Qu'est-ce qui a le plus de valeur : l'art ou la vie ? » Voilà la question posée par les deux militantes écologistes qui ont aspergé de soupe à la tomate Les Tournesols de Van Gogh. Au vu des réactions sur Twitter, un début de réponse : rapport du GIEC, 0 - soupe à la tomate : 1
Depuis plusieurs mois, les militants écologistes du mouvement « Just Stop Oil » enchaînent les opérations de sensibilisation pour alerter sur la crise climatique et demander l'arrêt des nouveaux projets pétroliers et gaziers. Leurs cibles favorites ? Les évènements sportifs et culturels. Ces actions coup de poing permettent-elles d'atteindre leur objectif ? En tous cas, elle délient les langues.
(Rappelons que la peinture à l'huile estimée à 81 millions de dollars était protégée par une vitre, protection connue des deux militantes. Comme le rapporte le National Gallery dans un communiqué, la toile n'a donc pas été endommagée. Environ six heures après l'opération, le tableau était de nouveau exposé au public.)
La radicalité fait parler
L'image du liquide orangé dégoulinant sur l'un des tableaux les plus emblématiques de Van Gogh a provoqué de nombreuses réactions en ligne. Selon les données de Visibrain, plateforme de veille des réseaux sociaux, 1,4 million de tweets ont été postés durant les 3 jours qui ont suivi l'opération, soit 11 fois plus que pour l'épisode de la « Joconde entartée » au Musée du Louvre en mai dernier. Si force est de constater que l'action divise, sa radicalité fait parler. Pour certains internautes, la réponse à la question posée par les activistes est toute trouvée : le monde semble plus choqué par la dégradation d'une œuvre d'art que par la dégradation de la planète, ce qui n'aurait rien d'encourageant.
Choquer pour alerter : contre productif ?
Au-delà des réactions indignées criant au « fascisme vert » où aux « talibans du climat », de nombreux internautes estiment que la dégradation d'œuvres d'art dans un but politique est contre-productive. À l'image de la journaliste Alba Ventura qui a qualifié sur RTL l'acte des « deux gamines » d' « écologie à deux balles ».
François Gemenne, chercheur belge, politologue et auteur pour le GIEC, est également de cet avis. Il n'a pas hésité à faire part de son « découragement » face à de telles actions : « en tant que chercheur travaillant sur le changement climatique, cette action choc me bouleverse, car elle est susceptible de contrarier le soutien public à l'action climatique. Endommager l'art pour sauver des vies n'a aucun sens. Les combustibles fossiles sont le problème et l'art fait partie de la solution. »
Qui finance Just Stop Oil ?
Du côté des détracteurs de l'opération, ceux aussi qui s'interrogent sur les « possibles liens » de Just Stop Oil avec l'industrie pétrolière. En cause ? La provenance de leurs fonds.
Le mouvement Just Stop Oil est financé en majorité par le Climate Emergency Fund (CEF), dont les fonds proviennent principalement de particuliers et de fondations familiales. Le CEF a été lancé grâce au don de 500 000 dollars d'Aileen Getty, héritière de l'empire pétrolier Getty Oil. Depuis début 2022, le CEF a financé 39 organisations différentes (Extinction Rebellion, Scientist Rebellion...) pour un montant de 4 millions de dollars.
Interrogée par The Guardian, Margaret Klein Salamon, directrice exécutive du CEF, a déclaré qu'elle était consciente des préoccupations concernant la « corruption capitaliste ». Elle précise : « le CEF n'exigeait pas de ses bénéficiaires qu'ils modèrent leurs protestations ou leurs critiques ». Autre source de controverse : le fait que Just For Oil accepte les dons en cryptomonnaie, une monnaie régulièrement pointée du doigt pour son impact climatique...
Choquer pour alerter : une nécessité ?
Sans surprise, le camp des soutiens aux activistes climatiques est composé d'internautes qui soutiennent (voir revendiquent) la nécessité de choquer pour attirer l'attention sur l'urgence climatique.
À l'image de @Bonpote, ils invitent la twittosphère a donné autant d'écho à la cause climatique qu'à l'action des activistes de Just For Oil.
On note également que beaucoup envisagent la « radicalité comme une nécessité » pour « faire entendre » la cause climatique.
Certains n'hésitent pas à mettre en relation l'historique discrétion des médias vis-à-vis du sujet climatique et la nécessité de production d'actions chocs. C'est le cas de Matthew Todd qui déclare : « Le changement climatique ne fait presque jamais la une des journaux ou des tendances dans le monde. Si vous êtes en colère contre l'action #VanGogh, alors soyez en colère contre les médias pour avoir tenu le public dans l'ignorance de ce qui nous arrive à tous ».
Enfin, à ceux qui s'insurgent de la dégradation d'œuvre d'art à but politique, d'autres rappellent que le vandalisme « revendicatif » d'œuvres d'art est un levier récurrent dans l'histoire. Si l'on se réfère aux 100 dernières années seulement, les actions directes non violentes visant des tableaux de maîtres ont été utilisées à de nombreuses reprises pour appeler à des changements sociétaux. Une « tradition » sur laquelle est revenue Ambre Chalumeau dans l'émission Quotidien.
Et la vie sans art ? Ça ressemblerait à quoi ?