
La COP 28 débutera le 30 novembre à Dubaï, et le pape François a un message. Dans son exhortation Laudate Deum publiée le 4 octobre 2023, il s'attaque avec rigueur et vigueur aux questions environnementales et sociales.
Le 4 octobre 2023, huit ans après son encyclique Laudato Si' consacrée aux questions environnementales et sociales, le pape François publiait une exhortation apostolique sur l'écologie, baptisée Laudate Deum (en français : « Louez Dieu » ). Dans ce que certains ont qualifié de « lettre ouverte », le pape rappelle l’importance de la catastrophe climatique et reprend les fondamentaux de son message de manière plus courte et accessible (20 pages). Si cette critique de l'inaction environnementale a pour vocation d'inspirer et faire évoluer une communauté catholique de 1,3 milliard de personnes, elle dépasse largement les milieux chrétiens. « Je me rends compte au fil du temps que nos réactions sont insuffisantes alors que le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture. » À quelques mois de la COP 28, le pape y fait part de ses inquiétudes sur l'avancée du paradigme technocratique « qui s’alimente lui-même de façon monstrueuse », et se dit préoccupé par le peu d'efficacité des politiques internationales qu'il qualifie de « vieille diplomatie ». Un appel lancé aux chrétiens, aux dirigeants, et à « toutes les personnes de bonne volonté sur la crise climatique ».
Pour Quentin Bordet, cofondateur et Président de LES COLLECTIFS, un réseau de professionnels citoyens engagés pour transformer leurs entreprises de l’intérieur, ce n’est sûrement pas un hasard si Laudate Deum sort deux mois avant la COP 28 à Dubaï. Il revient pour L'ADN sur ce texte, emprunt « d'idéalisme et de realpolitik », qu'il juge capital pour les mouvements écologiques et sociaux, pour la communauté chrétienne, et pour le monde tout entier.
Le pape François a publié Laudate Deum, un nouveau texte sur l’écologie. Quelle est sa fonction ?
Quentin Bordet : Alors qu'on a plutôt tendance à créer des murs que des ponts, ce texte est capital. Il permet d’ouvrir des portes dans un monde qui se fragmente et se rétrécit sur lui-même. Ce qui est saisissant c’est sa vocation de passage de manière assez large. C'est à la fois un message interne qui vise à inspirer et faire évoluer une communauté de 1, 3 milliards de personnes où le pape partage ses préoccupations concernant la sauvegarde de la « Maison Commune ». Dans le dernier chapitre, plus spirituel, il replace l’humain dans la nature en évoquant le concept d' « anthropocentrisme situé » comme seul chemin possible. « Nous et tous les êtres de l'univers, sommes unis par des liens invisibles et formons une sorte de famille universelle. » Ce n’est pas un texte top down. Il autorise la communauté catholique à se mobiliser, à créer des groupes de travail, animer des groupes de discussion, prendre des initiatives. Il donne une légitimité à ceux qui veulent s’engager. J’ai pu échanger avec certains d'entre eux qui ont vu dans ce texte la possibilité de réconcilier leur engagement et leur foi spirituelle. Mais son message a une ambition globale qui va au-delà de la communauté catholique et s'adresse « à toutes les personnes de bonne volonté sur la crise climatique ». Par sa densité et sa profondeur, il est important pour le mouvement des transitions écologiques et sociales. Ce texte permet d’encapaciter, d’inspirer et de faire passer à l’action au sein de l’Église catholique et au-delà.
Beaucoup ont vu le texte comme une charge contre les climatosceptiques. Qu’en pensez-vous ?
Q. B. : Il remet l’église au « centre du village ». Avec ce texte, le pape François recontextualise et valide que le changement climatique est une réalité scientifique. Il pose clairement les termes du débat, à savoir qu' « on ne peut plus douter de l'origine humaine – anthropique –du changement climatique ». Il peut y avoir une opinion sur la manière dont on adresse le sujet, mais les faits en eux-mêmes sont avérés. En ayant cette parole le pape s’adresse à ceux qui pourraient douter. « Je suis obligé d'apporter ces précisions, qui peuvent sembler évidentes, à cause de certaines opinions méprisantes et déraisonnables que je rencontre même au sein de l'Eglise catholique. » Et il n'hésite pas à interpeller ceux qui tentent de « ridiculiser ceux qui parlent de réchauffement global », de « se moquer du constat » ou d’en attribuer la responsabilité aux pauvres. « Comme toujours il semblerait que ce soit la faute des pauvres. Mais la réalité est qu'un faible pourcentage des plus riches de la planète pollue plus que les 50 % plus pauvres de la population mondiale ». Un message concis, fort et rigoureux qui peut avoir du mal à percoler dans une partie de la communauté catholique, et au-delà. C’est donc à mon sens une clarification sans concession plus qu’une charge. Il pose une vision et un cadre actionnable à tout un chacun.
Le pape en appelle à « reconfigurer le multiculturalisme et à le recréer à la lumière de la nouvelle situation mondiale ». Comment propose-t-il de le décliner et l'incarner ?
Q. B. : En effet, il va encore plus loin que dans Laudate Si', sur les causes, ou en tout cas les liens, entre le changement climatique et la manière dont nos sociétés sont organisées. Partant du constat de la faiblesse de la politique internationale, il appelle à refonder le multilatéralisme au niveau global et en même temps à l’incarner au niveau individuel. « Il n'est pas utile de soutenir des institutions dans le but de préserver les droits des plus forts sans se préoccuper des droits de tous. » Un multilatéralisme « d'en bas » et pas seulement décidé par les puissants. « Nous parlons surtout d'organisations mondiales plus efficaces, dotées d'autorité pour assurer le bien commun mondial, l'éradication de la faim et de la misère ainsi qu'une réelle défense des droits humains fondamentaux. » Et pour reconfigurer le multiculturalisme, il invite les grandes instances à s'appuyer sur la société civile. Un message pour mobiliser sans exclure, en créant de nouveaux espaces de discussions, de consultation, d'arbitrage. Il touche ici à une question fondamentale et capitale pour les mouvements de la transition écologique qui est celle de la démocratisation : comment provoquer, influencer et infléchir des décisions au niveau mondial (COP…) et en même temps impliquer le plus grand nombre et permettre l'incarnation du sujet. À mon sens, ce texte arrive à reconnecter le très grand et le très intime, le local et le mondial. C'est une parole d'une grande exigence.
Il met également en garde contre le « paradigme technocratique » et souligne que la « nature n’est pas une ressource à exploiter sans fin ». Qu'entend-il par là ?
Q. B. : C’est un message fort dans la manière dont on peut se servir des technos comme un moyen et non comme une fin. Il met en garde contre l'idée d'un être humain sans « aucune limite, dont les capacités et les possibilités pourraient être étendues à l'infini grâce à la technologie » mais aussi celle de croissance infinie ou illimitée qui est in fine dangereuse pour notre propre survie. Avec le concept d' « aiguillon éthique » il invite à repenser notre rapport aux technologies en lui donnant un ancrage au service d’un projet humaniste. « L'immense progrès technologique n'a pas été accompagné d'un développement de l'être humain en responsabilités, en valeur et en conscience » écrit-il. Une manière de rappeler que si la révolution du digital est une révolution du « comment » (faire mieux, être plus efficace…), la révolution écologique et sociale dans un monde digital est quant à elle une révolution du « pourquoi et du comment ». Et signe que le pape n'est pas déconnecté des réalités, le texte aborde certains sujets dans toute leur complexité. C'est le cas pour l'emploi par exemple. À ceux qui s'inquiètent de la disparition des emplois que pourrait engendrer l'arrêt de certains secteurs d'activité (énergies fossiles...), il fait remarquer qu'en réalité de nombreuses personnes perdent déjà leur emploi du fait du changement climatique (élévation du niveau de la mer, sécheresse). Et il se montre optimiste « une transition écologique bien gérée, est capable de créer d'innombrables emplois dans différents secteurs ».
Dans le paragraphe sur l'aiguillon éthique il dit que de « la décadence éthique du pouvoir réel est déguisé par le marketing et les fausses informations ». De tels termes vous ont-ils surpris ?
Q. B. : Oui, en effet c'est surprenant. Mais il pose la question simplement : à qui sert le marketing ? Et sa réponse est claire : « Il est au service de ceux qui disposent de plus de ressources afin d'influencer l'opinion publique ». Sur la question des fausses informations, il regrette les « promesses de si nombreux faux prophètes » guidés par la logique du profit maximum à moindre coût qui « illusionnent » les habitants sur les conséquences réelles de certains projets. Il aborde les sujets de la transition écologique et sociale comme une manière d’émanciper et de servir les plus pauvres. Un discours à rebours des critiques de l’écologie, qui empêche d’avancer et sclérose les débats, qui tendent à faire croire que le sujet ne s’adresserait qu’aux plus favorisés. Ce texte donne un chemin pour se mettre en mouvement. C’est un bel exemple pour les dirigeants : comment dans un monde où nous faisons face à des enjeux qui se télescopent et se multiplient on peut malgré tout donner une vision à la communauté qu’on représente.
Le pape est souvent présenté comme un disciple de François d’Assise. On ressent ici cette filiation.
Q. B. : Pour lui, la question n’est pas seulement écologique : « Le sens social de notre préoccupation à l’égard du changement climatique va au-delà d’une approche purement écologique. » Il aborde la question de la transition juste. Un sujet que doivent adresser les mouvements de la transition écologique et social. D'origine Sud Américaine, il est porteur de messages autres que ceux du monde occidental. Il crée un pont entre ces différentes sphères au niveau mondial. Et alors que le discours ambiant voudrait circonscrire la question climatique à un problème de riches, on a ici un pape, issue d'une branche du Catholicisme ancrée dans les milieux pauvres, qui est sans compromis sur les objectifs que l’on doit avoir. C’est en cela qu’il est intéressant pour les mouvements écologistes : qu’est-ce qu’un monde qui est à la fois aligné avec les « Accords de Paris » et un monde qui est plus juste. C’est capital à un moment où la question est de savoir comment on fait société face aux enjeux écologiques. Ce message est aussi à destination d'une partie de l'Église catholique qui est traversée par des forces contraires. Le pape vient ici casser les crispations et rappelle au passage deux de ses convictions profondes « tout est lié » et « personne ne peut se sauve seule ».
NB : Selon le journal La Croix, le pape François fera le déplacement à Dubaï pour participer à la COP28. Une première pour un pape.
Où en est l'Etat du Vatican en matière d'émissions de Gaz à effet de serre?
C'est bien Louis de poser la question.
mais pourquoi seulement cibler le Vatican, il me semble que nous sommes tous concernés et extraire un seul permet de ne pas nous regarder
Frank
Et comment faire pour obtenir que des solutions crédibles, applicables soient mises en place par toutes les grandes nations émettrices ?
Qui saura faire en sorte que de Poutine aux chinois en passant par l' Inde, le Brésil et Trump, les grands pays émetteurs agissent de façon efficace ? On a bonne mine avec nos émissions de moins de 1% de CO² !
Nous seuls ? On arrivera juste à ruiner l' avenir de nos enfants.
Le pape ne fera pas de miracles et se contente de soulever des problèmes, pas de les résoudre. la nature les résoudra à sa place, à sa façon, impitoyable.
Arrêtons de nous illusionner, le problème est : comment sortir des griffes des puissants et des super riches qui ne veulent absolument pas lâcher leurs acquis ?
Si rien n'avance depuis des décennies, c'est parce que le business des énergies fossile est trop juteux pour que ceux qui en profitent reculent d'un seul pas et investissent dans les énergies renouvelables, qui par définition génèreront beaucoup moins de bénéfices.
Et c'est pour l'argent et le pouvoir qu'ils ne changeront pas non plus de modèle de société pour plus de justice et de solidarité car c'est de l'entretient des inégalités et des conflits qu'ils tirent leurs privilèges.
à part une révolution populaire mondiale, aucune chance que nos dirigeants et leurs donneurs d'ordre fortunés nous évitent la catastrophe. Ce n'est que le début, ce qui est en cours si on continu de leur faire confiance, c'est la fin de l'humanité à moyen, voir court terme.