Des manifestants tiennent une banderole  - Climate justice -

Les pays riches préfèrent financer leur relance post-Covid que la lutte contre le dérèglement climatique

En dépit des larmes et des folles promesses de solidarité, la COP de Glasgow a encore creusé le fossé Nord-Sud, les pays riches préférant financer leur relance post-Covid qu'aider les pays vulnérables face à la crise climatique.

La COP26, c’est l’histoire de deux grands-pères. L’un est européen, l’autre polynésien. À un jour d’intervalle, ils brandissent la photo, précieusement archivée dans leur smartphone, de leurs petits-enfants respectifs, réclamant pour leur descendance une planète vivable, avec un réchauffement climatique maîtrisé à moins de 1,5°C. Le premier s’appelle Frans Timmermans, il est le vice-président de la Commission européenne ; le second, Seve Paeniu, est ministre des Finances de l’archipel de Tuvalu, menacé de disparition dans le Pacifique. Leurs petits-enfants ne profiteront pourtant pas des mêmes chances. Si la COP26 a marqué des avancées remarquables – après trente ans de déni, les énergies fossiles ont enfin été mentionnées dans un texte adopté par les États signataires de la Convention-Cadre des Nations unies sur les changements climatiques –, elle a péché sur le soutien aux pays défavorisés. Depuis la première COP en 1995, les nations les plus pauvres ont toujours tenté de convaincre les plus riches de les aider financièrement à faire face au changement climatique. Mais cette fois, la confiance semble bien avoir été « brisée », comme l’a déclaré le ministre kényan de l’Environnement Keriako Tobiko, regrettant que « les pays développés qui sont les plus gros émetteurs et portent la plus grosse responsabilité ne f[asse]nt pas leur part ».

Trois éléments ont précipité cette cassure : le manque d’ambition des États à réduire leurs émissions, la promesse non tenue des financements climat et enfin la question irréconciliable des pertes et préjudices. L’ambition d’abord : si l’Inde a créé la surprise en promettant la neutralité carbone pour 2070, avec une feuille de route aussi précise que crédible, d’autres comme le Brésil ou le Mexique ont soumis des objectifs… encore moins ambitieux que les précédents ! Résultat : on est partis pour augmenter les émissions de 13,7 % d’ici 2030 alors qu’elles devraient baisser de 45 % pour espérer limiter le réchauffement à 1,5°C. À ce rythme, la planète se réchauffera de 2,6°C à l’horizon 2100, un seuil proche des pires scénarii du GIEC.

Les premières famines dues au changement climatique

En 2020, un rapport de l’Organisation météorologique mondiale a montré que le continent africain était particulièrement exposé et vulnérable au dérèglement climatique.

À +2,6°C, les effets seront probablement « dévastateurs sur la production agricole et la sécurité alimentaire », alertent les prévisionnistes. En 2019, l’Afrique a notamment été frappée par le cyclone tropical Idaï, « l’un des plus destructeurs jamais observés dans l’hémisphère Sud », à l’origine de plusieurs centaines de milliers de déplacés. Les sécheresses causées par le changement climatique y sont devenues l’une des premières causes des famines, avec les conflits et les crises économiques. C’est ce qui arrive actuellement à Madagascar : plus d’un million de personnes y souffrent de malnutrition aiguë, en raison d’une sécheresse inédite depuis 40 ans. Le Programme alimentaire mondial prévoit que « la faim va augmenter de manière exponentielle dans les années à venir à cause du changement climatique. Pas seulement à Madagascar, prévient-il, mais dans d'autres pays ».

En 2009, les pays développés avaient promis de porter leur aide aux pays en développement à 100 milliards de dollars par an pour atténuer leurs émissions d’une part et s’adapter à la nouvelle donne climatique d’autre part. Malheureusement, douze ans plus tard, le compte n’y est pas : seuls 80 milliards ont été réunis. Et sur cette somme, seulement un quart, soit 20 milliards, est destinée à l’adaptation. À Glasgow, les pays du Nord se sont contentés d’exprimer leurs « profonds regrets », promettant d’atteindre les 100 milliards d’ici 2023 et de doubler les fonds consacrés à l’adaptation, pour atteindre 40 milliards. Encore insuffisant : à lire un rapport onusien, les besoins d’adaptation des pays en développement seraient aujourd’hui de 70 milliards de dollars, et pourraient monter à 300 milliards par an en 2030, 500 milliards en 2050.

Les énergies fossiles : délégation n°1

Ani Dasgupta, qui préside le think tank américain World Resources Institute (WRI), juge « inexcusable que les pays développés n'aient pas respecté leur engagement […] alors même qu'ils fournissent des centaines de milliards de dollars de subventions aux combustibles fossiles ». Chaque année, 500 milliards de dollars d’aides publiques sont dépensés pour financer les énergies fossiles. On comptait d’ailleurs à Glasgow plus de lobbyistes des énergies fossiles que de représentants de n’importe quel autre État. Leur nombre – 503 – était même supérieur au total des délégations des huit pays les plus touchés par le changement climatique.

En Afrique, les comptes sont vite faits. Les événements climatiques extrêmes qui ont eu lieu ces dernières années au Malawi, au Zimbabwe ou encore au Mozambique « n’auraient jamais eu lieu sans l’action humaine, rappelle le négociateur en chef du groupe Afrique, Tanguy Gahouma Bekalé, c’est le dernier rapport du Giec qui le dit. Il n’y aurait pas eu d’événements d’une telle intensité s’il n’y avait pas eu d’émissions faites par les pays développés aujourd’hui ».

Le Gabonais n’a pas hésité à réclamer 1 300 milliards de dollars aux pays les plus riches au lieu des 100 milliards promis. Un chiffre qui paraît démesuré, pourtant une étude publiée par l’ONG Christian Aid estime que les pays les plus vulnérables pourraient voir leur PIB par habitant s’effondrer de 60 à 80 % à la fin du siècle si l’on reste sur la trajectoire actuelle de réchauffement. Les pays africains consacrent déjà entre 2 et 9 % de leur PIB aux dépenses d’adaptation. « Vous êtes les premiers à souffrir et les derniers à recevoir de l’aide », a d’ailleurs admis, dépité, le secrétaire général de l’ONU António Guterres.

« Le cynisme des pays riches »

Si le continent africain abrite 17 % de la population mondiale, il est à l’origine de moins de 4 % des émissions de CO₂. À l’inverse, l’Amérique du Nord représente 4 % de la population mondiale et 17 % des émissions… C’est dans cette terrible dichotomie que se niche la justification des pertes et préjudices et le cœur-même de la notion de justice climatique. Les pertes et préjudices recouvrent les dégâts irréversibles causés par le changement climatique (ouragans, inondations, sécheresses...), auxquels il n’est plus possible de s’adapter. Les pays en développement sont ceux qui subissent le plus durement ces ravages alors qu’ils sont les moins responsables des émissions.

Tandis que certains observateurs, comme le WRI, saluent une issue favorable, la COP26 ayant « enfin placé la question cruciale des pertes et des dommages sur le devant de la scène », d’autres se montrent plus critiques. C’est le cas de Fanny Petitbon de l’ONG Care. Elle brocarde le « cynisme des pays riches » et regrette que les pays vulnérables aient « dû se contenter d’un lot de consolation avec l’organisation d'un dialogue de deux ans » sur les pertes et dommages « sans garantie qu’il aboutira à des engagements concrets. Proposeriez-vous à quelqu’un qui est en danger de mort de venir l’aider, mais seulement d’ici deux ans ? »

Si en façade, l’Europe se pose en défenseur des pays vulnérables, en coulisses, elle résiste vigoureusement au financement des pertes et dommages, au côté des États-Unis et de l’Australie qui, eux, n’ont jamais caché leur opposition. Seules deux régions européennes, l’Écosse et la Wallonie, ont osé briser le tabou durant la COP, en promettant chacune un million d’euros pour réparer ces pertes.

La Chine, un pays du Nord ?

Le silence de la Chine n’a pas agi en faveur des plus vulnérables. Pékin n’a pas jugé bon d’envoyer à la COP de leader politique de premier plan, pas plus qu’elle n’est montée au créneau sur les pertes et dommages. Une attitude mal perçue par ses alliés du G77, qui regroupe 134 pays en développement. « La Chine ne peut plus se présenter comme un pays en développement, comme elle continue à le faire, cela ne correspond plus à la réalité », analyse le sénateur écologiste de Loire-Atlantique, Ronan Dantec.

Le concept de « responsabilité commune mais différenciée », qui pose que les pays historiquement les plus émetteurs doivent faire plus d’efforts, devient « un peu dépassé », estime-t-il, à l’heure où « les classes moyennes urbaines chinoises émettent plus de gaz à effet de serre que les classes moyennes urbaines européennes ». « La Chine devient de plus en plus un pays du Nord et les pays du Sud se sentent de plus en plus abandonnés », renchérit l’expert en géopolitique climatique, François Gemenne.

« Beaucoup de gens perdent leur vie, leur avenir. Quelqu’un doit être jugé responsable »

Les pays riches craignent qu’en acceptant d’indemniser les pertes et préjudices, ils soient ensuite obligés de payer d’énormes compensations en raison de leur responsabilité historique dans le changement climatique. C’est d’ailleurs ce que laisse entendre le Climate Vulnerable Forum (CVF) qui représente plus d’un milliard d’êtres humains vivant dans une cinquantaine de pays vulnérables. Lors d’une conférence de presse, le ministre bangladais des Affaires étrangères, AK Abdul Momen, a fait référence aux poursuites engagées par les États américains contre les cigarettiers dans les années 1990. L’industrie du tabac a été jugée responsable et condamnée à verser « des milliards en dédommagements », a rappelé le ministre dont le pays préside le CVF. Or « dans notre cas, beaucoup de gens perdent leur vie, leur avenir. Quelqu’un doit être jugé responsable et ils doivent recevoir une compensation »

Cette fois, finie la plaisanterie : au nom de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS), Gaston Browne a annoncé le lancement d’une commission inédite pour réfléchir à d’éventuelles poursuites judiciaires. « L’usage excessif des énergies fossiles constitue un délit envers toute l’humanité et particulièrement envers les petites îles qui souffrent de manière disproportionnée du changement climatique », a regretté le Premier ministre d’Antigua-et-Barbuda. En résumé, « les pollueurs doivent payer » . À l’heure où Europe et Amérique du Nord votent des plans de relance post-Covid à plusieurs centaines de milliards, comment croire qu’il n’y a pas d’argent disponible ? La question revient, lancinante : la lutte contre la Covid est-elle prioritaire à celle contre le changement climatique ? Du Nord au Sud, les réponses divergent.

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