
Bonne scolarité, solide diplôme, belle carrière, gros salaire ! Le combo était bien huilé, et assurée, une carrière en ligne droite avec des augmentations régulières. Mais si ce parcours a rassuré les armées de cadres sup’ des décennies 80 et 90, dans les rangs des GenZers, ça ne semble plus convaincre.
Aujourd’hui, faire HEC serait moins hype que de passer son CAP. Exit, le statut ; la nouvelle génération préfère mettre du sens dans son métier. Question ambiance, on cherche à avoir du temps libre et des jours off plutôt que de bonnes relations avec ses collègues. Et côté tribu, on préfère rester avec sa bande que d’asseoir la fortune des boss du CAC40. La génération Z a une vision bien à elle de l’entreprise. On vous la présente en cinq points.
Le diplôme ? C'est pas la taille qui compte
Avant, les diplômes, c’était un peu comme les cartes Pokémon : il fallait en avoir le plus possible pour avoir une chance de réussir. Une pression qui venait souvent des parents, et qui pesait lourd sur les épaules des étudiants. Sauf que la traditionnelle rengaine « Travaille à l’école, sinon tu finiras (…) » tend à s’épuiser. Les Z, plus que leurs aînés, se défont du schéma qui veut que pour gagner plus, il faille bûcher longtemps. Dans leur ouvrage Générations Y & Z, Le grand défi intergénérationnel, le sociologue Daniel Ollivier et la coach Catherine Tanguy estiment que la génération Y a subi une pression scolaire sans précédent. Faire des études garantissait alors un positionnement socioprofessionnel avantageux. Mais, côté Z, les parents ont mis plutôt l’accent sur le développement personnel de leurs enfants.
Un décalage qui peut s’observer au sein d’une même fratrie : Cécile, 26 ans, nous explique que les choses sont différentes entre elle et son plus jeune frère, Gabriel, 20 ans. Passée par Sciences Po, un double master en poche, plusieurs stages dans les relations internationales et un CDI plus tard, elle déchante : ce n’est pas en cumulant diplômes et expériences qu’on trouve du sens. Aujourd’hui, après un service civique auprès des pompiers de Paris, elle compte devenir pompière à plein-temps, au rang de lieutenant. « Il a fallu que je me confronte au monde du travail pour comprendre que mes compétences allaient au-delà de mon diplôme », confie-t-elle. « Au départ, mon père m’appelait après chacune de mes gardes. Aujourd’hui, il voit que je suis heureuse, que je me sens utile. » Son frère Vincent, 23 ans, a suivi à peu près le même parcours. Diplômé de la NEOMA Business School, il a préféré mettre ses compétences au service de l’ONG HAMAP plutôt que de rejoindre les rangs d’un cabinet d’audit. Mais pour le benjamin de la fratrie, c’est une autre histoire. « Avec nos expériences, les parents ont changé de regard sur l’éducation. Ils ont moins poussé mon petit frère à faire une grande école. Quelque part, en disant aux jeunes qu’ils peuvent tout faire, aller où ils veulent, ça crée moins de cadre. C’est peut-être d’ailleurs plus difficile de s’orienter comme ça », analyse Cécile. Après un an à l’EMI et un autre au sein d’une prépa d’art plastique à Strasbourg, Gabriel a choisi de chercher directement du travail.
Daniel Ollivier et Catherine Tanguy observent que les jeunes de la génération Z préfèrent vivre des expériences réelles, quitte à sacrifier une partie de leur scolarité. Cela demande évidemment au corps enseignant de s’adapter. Pas facile de retenir des étudiants qui se fichent d’être diplômés. Louis, 25 ans, a écumé les bancs de l’ESSEC. Pour lui, c’est clair : les grandes écoles sont parfois à côté de la plaque. Les prises de conscience des élèves sur les nécessités d'un monde plus écolo, plus inclusif et plus sensé y reçoivent peu d’écho. Ce passionné de musique s’attendait à trouver une forme d’ouverture d’esprit et de bienveillance, il est tombé sur des groupes de travail « silotés », des soirées étudiantes gangrenées par une culture de la débauche et du sexisme, et des cours pas toujours « à la hauteur ». Alors pourquoi payer pour « des cours de macroéconomie basés sur des théories qui datent des années 80 » quand on peut voyager, vivre d’amour et de petits boulots ?
Une carrière ? Certainement pas en ligne droite
Que ce soient les stages, les voyages, ou encore une pandémie mondiale, les plus jeunes ne manquent pas de ce que Louis qualifie d’ « éléments accélérateurs » pour vivre des expériences multiples. « On entre à l’école à 18 ans, on en sort à 22 ou 23. Il n’est plus si rare que les étudiants s’engagent sur une voie très différente à la fin de leurs études. De mon côté, je commence une licence de musicologie, qui va durer trois ans. J’ai envie de professionnaliser ma passion, d’assembler les deux pour avoir une vision du monde que j’espère complémentaire. »
Cécile aura mis du temps à accepter de changer de voie. Un an et demi dans les relations internationales ne lui aura pas apporté la même satisfaction que dix mois de service civique auprès des pompiers de Paris. « J’étais la plus vieille et la plus diplômée. Personne ne comprenait ce que je foutais là. Mais j’ai adoré. Tu bouges beaucoup, tu vas chez les gens, tu les aides, tu les emmènes à l’hôpital..., c’est super de voir toute cette chaîne de secours qui fonctionne. » Après son service civique, elle est restée réserviste et a rejoint en parallèle le monde de l’évènementiel sportif. Une grosse désillusion – manque de considération écologique, beaucoup de politique, refus du changement... – ; plus tard, c’est décidé : elle va tenter le concours pour entrer « pour de vrai » chez les pompiers.
Louis et Cécile ne sont évidemment pas les seuls à être déterminés à dévier de la trajectoire prévue. Dans leur livre, Daniel Ollivier et Catherine Tanguy rappellent que les jeunes d’aujourd’hui sont les premiers à avoir vu leurs deux parents s’investir professionnellement, mais aussi les premiers à voir l’impact des plans sociaux et des licenciements. Ces phénomènes expliquent en partie la méfiance manifestée à l’égard du marché du travail. Chez les Z, cela se traduit par une plus grande lucidité quant à sa précarité. Ils sont, écrivent-ils, plus « enclins à faire le choix de s’épanouir personnellement. Ils expriment le besoin de vivre des vies plurielles et singulières ». De fait, 80 % des Z estiment que le travail est important dans leur vie, mais seuls 18 % considèrent qu’il est prioritaire.
Cela redéfinit forcément la notion même de « carrière ». L’essayiste Elisabeth Soulié, autrice de La génération Z aux rayons X, note qu’au lieu d’anticiper les étapes de leur aventure professionnelle, les Z vont vouloir vivre des expériences qui pourront développer leur potentiel. Elle rappelle l’importance du turnover, et la difficulté grandissante des entreprises à retenir les jeunes talents. « On pourrait penser qu’ils ont la bougeotte, il n’en est rien » : ils ne se perçoivent simplement pas comme « binaires ». Travailler et prendre du plaisir, ce n’est pas contradictoire. Loin de là.
Le système ? C'est entre mes potes et moi
La génération Z est plus prudente et réaliste que la génération Y, mais aussi moins insouciante, constatent Daniel Ollivier et Catherine Tanguy. Elle est marquée par le terrorisme, la précarité du marché du travail et les questions climatiques.
Louis identifie deux tendances chez ses camarades de promo : un « noyau dur encore très corpo » qui va jouer le jeu du premier job aux horaires décadents, « du 9 heures – 22 heures » dans certains cas, avec des allers-retours hebdomadaires en avion juste pour aller voir un client. Mais c’est loin de faire toujours autant rêver. « Assez logiquement, on va chercher des boîtes de conseil un peu moins connues, plus friendly dans leur approche. Un autre groupe se dessine, beaucoup plus engagé, qui veut promouvoir un business nouveau et de nouvelles manières de travailler. Il s’agit parfois de très bons étudiants, qui font des masters innovants et vont chercher des boîtes de biotech ou de finance verte, ou encore partir sur des terrains totalement différents comme celui de l’activisme féministe radical. »
En clair : les jeunes n’hésitent pas à s’écarter du chemin si celui-ci ne leur convient pas. À peine entré dans la vie active, Louis se pose des questions. « A-t-on vraiment envie d’une vie urbaine ? Avec mes potes, on est plutôt du genre à vouloir acheter une baraque dans le Perche à plusieurs, à partir à Lyon, et surtout à être en télétravail à plein temps. Dans l’idéal, j’aimerais vivre pleinement mes passions la majorité du temps. Faire de la musique, vivre avec des amis, profiter de la nature, et pourquoi pas proposer des séminaires créatifs à d’autres structures. »
Elisabeth Soulié note que les jeunes s’imaginent volontiers en tribu. « Ils ne se voient pas seuls face au travail. Ce sont des jeunes qui ont besoin de faire les choses ensemble, de manière collaborative et coopérative », y compris au travail. Même constat pour Daniel Ollivier et Catherine Tanguy. Dans leur ouvrage, ils évoquent des jeunes en recherche de structures librement choisies, plutôt que de trouver leurs repères dans les schémas traditionnels que sont la famille, la classe sociale, le conjoint ou l’entreprise. Une libération qui n’est pas sans conséquence, et qui se traduit par un vide identitaire. « La quête d’identité va donner lieu à un regroupement en tribu, avec pour liant une consommation rituelle. »
Ce côté tribal est accentué par l’hyperconnexion des Z. En contact permanent avec leur entourage, ils n’imaginent pas leur vie sans la force du collectif. Et ils assument le paradoxe : vivre en collectif ne signifie pas effacer leurs aspérités personnelles. « La vocation des jeunes n’est pas de se fondre dans un groupe animé par un idéal commun. Chacun veut pouvoir cultiver sa différence et exprimer ses opinions sans devoir se soumettre à une discipline collective », estiment les experts.
Le top des entreprises ? Celles qui me ressemblent !
Ce n’est plus parce que l’on suit un cursus prestigieux que l’on cherche à rejoindre une société cotée en Bourse. Un sondage réalisé par l’institut YouGov pour L'ADN révèle ainsi que la notoriété d’une entreprise n’est un critère de choix que pour 9% des 18-24 ans en France. Alors que les entreprises doivent être des actrices sociétales. Le Manifeste étudiant pour un réveil écologique, lancé en septembre 2018 par plusieurs étudiants et étudiantes de grandes écoles, le prouve : les signataires du manifeste s’engagent à ne pas travailler pour des entreprises qui ne seraient pas en accord avec l'urgence écologique.
De son côté, Louis est cash : certaines entreprises sont carrément proscrites des amphis. « Voir les acteurs du luxe comme Dior ou Louis Vuitton qui se réinventent, c’est toujours intéressant. Mais quand on doit faire des business cases sur Coca-Cola, Pepsi ou Exxon, tout de suite, on est sur la défensive. » Avant de se lancer dans la vie active, il a d’ailleurs établi une liste de critères précis pour choisir son futur employeur. « Pour me détacher de l’image de la boîte, j’ai dressé un système de points afin de confronter mon intuition à ce qui me semblait pertinent. Organisation, lieu, projet, top management... »
Avoir de belles idées, oui, mais être payé pour, c’est mieux. Les résultats du sondage Great Insights, réalisé en janvier 2020 par l’institut Great Place To Work, le montrent : pour la majorité des Z, ce qui prime pour leur futur emploi, c’est... la rémunération (55,5 %), là où les Y mettaient à fond le curseur sur les missions, avec l’espoir d’avoir un impact positif sur le monde à travers leur emploi. « Les plus jeunes n’ont pas l’ambition de s’épanouir à titre personnel dans leur future société », précise Tiphaine Galliez, Innovation & Knowledge Manager chez Great Place To Work. Leur idéal serait plutôt une société qui leur permette d’avoir du temps libre, en dehors du boulot, pour faire ce qui les anime. Louis aimerait par exemple rejoindre une structure dans laquelle il puisse travailler trois jours par semaine, afin de se consacrer à la musique le reste du temps. Lucide, il reconnaît que la plupart des entreprises ne sont pas disposées à proposer ce genre de rythme. Se lancer ? Pourquoi pas, « sauf que si je le fais aujourd’hui, je serais tout seul. Tout le monde n’est pas prêt. »
Pourtant, Louis n’est pas un cas isolé. Selon Great Place To Work, les Z sont plus de 60 % à considérer qu’un mauvais équilibre entre vies personnelle et professionnelle constitue un véritable frein dans leur travail (vs 40 % pour la génération Y). Alors que l’agilité est sur toutes les lèvres, Tiphaine Galliez constate que les entreprises se sont surtout emparées du concept pour repenser leurs bureaux (l'espace, donc), plutôt que leur organisation (le temps de travail).
Cette envie de se réaliser ailleurs que sur son lieu de travail est, pour Daniel Ollivier et Catherine Tanguy, une vraie nouveauté. Il faut dire qu’aux valeurs chères à la jeune génération (respect, agilité, coopération, transparence) s’opposent parfois frontalement celles de l’entreprise (performance, continuité et persévérance).
Un chef ? Oui, mais un qui m'aide et me soutient
Dans leur cercle familial, les Z ont toujours eu voix au chapitre, constatent Daniel Ollivier et Catherine Tanguy. Ils ont acquis un droit inaliénable : celui de questionner, d’interroger le pourquoi des choses, d’influer les décisions selon leurs intérêts. Cela impacte forcément leur relation à l’autorité. Ils ne la rejettent pas, mais s’en font une conception bien particulière. Et il ne s’agit pas de l’ignorer : selon YouGov, 35 % des 18-24 ans refuseraient un emploi s’ils ne s’entendent pas avec leur manager.
Au-delà des outils et des process, le management est pour les jeunes plutôt une question de personnes. Les managers sont à leurs yeux prioritairement des facilitateurs et des coachs. Plutôt qu’une dépendance hiérarchique, les Z veulent un guidage personnalisé, être considérés comme des partenaires et non des subordonnés. Le métier de manager ne fait pas rêver les plus jeunes, qui perçoivent les contraintes et la charge de travail pour une rémunération assez faible.
Sans vouloir eux-mêmes être managers, ils pensent pouvoir apporter leur valeur ajoutée au management. Sur quels critères ? Établir une relation de confiance stimulante, privilégier la responsabilisation sur le contrôle, concevoir l’organisation comme une responsabilité partagée, et choisir la collaboration et l’influence plutôt que les statuts et l’autocratie.
Daniel Ollivier et Catherine Tanguy dressent une sorte de portrait-robot du patron idéal selon les Z. Le constat est sans appel : les compétences techniques sont considérées comme nécessaires, mais pas déterminantes dans l’exercice du métier. Confiance en l’équipe (67 %) et écoute (62 %) sont les qualités les plus sollicitées par les jeunes. Ceux-ci estiment qu’un chef doit surtout savoir mobiliser les compétences des équipes, qui elles détiennent le savoir et l’expérience. Ça, c’est leur vision rêvée. Dans la vraie vie, ils estiment que les managers sont en tension permanente, insuffisamment disponibles physiquement et mentalement.
Question reconnaissance, l'ouvrage explique que les jeunes ont besoin, plus que les autres générations, de faire le point. Ils veulent pouvoir exprimer leur ressenti sur leur propre vécu, et le partager avec la hiérarchie.
Cet article est paru dans le n°24 de L'ADN, dédié à la Génération Z. Pour vous le procurer, c'est par ici
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