Puisque l'on peut travailler du bout du monde et qu'il n'est plus question d'aller boire un verre après 21h, à quoi ça sert de vivre à Paris ? Bruno, Adrien, Audrey sont partis et ils nous expliquent pourquoi.
« Hier, je suis revenu à Paris pour la première fois et je me suis demandé comment j'avais fait pour y rester aussi longtemps », raconte Bruno, 48 ans. Après avoir été confinés pendant deux mois dans leur appartement parisien, l’entrepreneur et sa compagne – elle aussi entrepreneuse – ont fait leur valise. Direction, la Provence, dans une zone quasi-rurale au pied du Mont Ventoux. Il nous l’assure, ils n’ont jamais été aussi heureux. À l’autre bout du fil, on entend la nature en fond sonore et on devine les grands espaces et le ciel sûrement bleu. À Paris, je regarde ma montre : plus que deux heures et demie avant le couvre-feu. Soupir. Décidément, il n’a jamais fait aussi mauvais vivre dans une grande ville.
Covid, le grand déclencheur
Changer d’air après avoir fait l’expérience du confinement est un besoin partagé par beaucoup de Français et Françaises. Tous n’ont pas sauté le pas comme Bruno, mais beaucoup y pensent. D’après une étude Ipsos pour Icade parue cet été, nous serions 35% à envisager déménager dans les prochains mois. Un chiffre constaté avant même que les mesures sanitaires ne se durcissent dans la plupart des métropoles françaises.
L’effet Covid, Adrien, fondateur du blog Partir de Paris, l’a observé aux premières loges. Sur son site, né il y a cinq ans, le nombre de visites a explosé après le confinement. La petite communauté de futur-ex-Parisiens qu’il a créée sur Facebook connaît le même sort. « Depuis le déconfinement, j’ai des demandes d’adhésion tous les jours », explique-t-il. Preuve que l’intérêt pour la vie en dehors de Paris est bien réel. Même si, en matière de sollicitations, « il y a autant de gens qui demandent des conseils que des journalistes qui demandent des interviews », nous confie-t-il un peu amusé.
Un mouvement de fond déjà engagé avant la pandémie
Adrien a lui-même sauté le pas en août dernier. À 31 ans, il a enfin dit au revoir à la grisaille parisienne. Direction, la ville rose. « Le confinement, c’est l’allumette qui a fait flamber le tas de foin. Ça a accéléré les démarches et les envies », raconte celui qui prépare son exode parisien avec sa compagne depuis deux ans.
À la différence de Bruno qui n’avait jamais imaginé partir de Paris, Adrien est convaincu que le Covid tient plus du catalyseur de changement que du créateur de désir. Et quand on regarde les chiffres, on voit bien qu’une tendance de fond se dessine depuis des années. Le géographe Guillaume Faburel, défenseur d’une société post-urbaine, indique que « 600 000 à 800 000 personnes auraient quitté les grandes villes entre 2015 et 2018. » Une étude du CEVIPOF, le Centre de recherches politiques de Science Po, publiée en juin 2019 confirme la même tendance. D’après les résultats, seulement 14% des Français et Françaises désirent vivre dans une métropole quand ils sont 41% à privilégier les villes moyennes et 45% à rêver de campagne.
Pour les grandes villes, tous les indicateurs sont au rouge. Les « ultra-urbains » veulent se mettre au vert.
On ne fait plus d’enfants à Paris
À Paris, les chiffres sont encore plus frappants. À la rentrée 2020, on comptait 3 723 enfants en moins dans les écoles parisiennes. Des parents qui ont quitté Paris comme le note Le Parisien mais surtout une évolution qui se poursuit depuis plusieurs années. L’Académie de Paris parle d’un mouvement « constant depuis une dizaine d'années. » Les derniers chiffres de l’Insee – parus le 22 septembre 2020 – le confirment. Entre 2012 et 2017, la capitale a perdu 20 000 enfants de 0 à 14 ans et près de 10 000 Parisiens âgés de 15 à 29 ans.
On ne fait plus d’enfants à Paris, et ce n’est pas Audrey, fondatrice de BeautyShake qui nous dira le contraire. Elle fait partie de ces Parisiens et Parisiennes qui n’ont pas attendu la pandémie pour plier bagages. Il y a un an, elle et son mari, la trentaine tous les deux, quittaient la capitale pour Bordeaux. Et quand on lui demande si une partie de cette décision a un lien avec un potentiel projet d’enfant, elle rigole : elle accouche dans un mois et ça n’est pas un hasard. L’entrepreneuse raconte qu’elle ne « se voyait pas avec une poussette dans le métro » et que la frénésie parisienne lui paraissait incompatible avec son désir de fonder une famille.
Et puis, il y a le prix. Celui de l’immobilier, qui ne cesse de grimper – même en petite couronne. Et celui du coût de la vie. « Ici, la nourriture est 30 à 40% moins chère que dans la capitale », martèle Bruno, emballé par la vie en Provence.
Le télétravail repousse les frontières
Évidemment, on n’a pas attendu le nouveau coronavirus pour découvrir que la vie était plus chère à Paris et dans les zones urbaines. En revanche, cette pandémie a été l’occasion pour beaucoup de faire l’expérience du télétravail. Et ça, ça change tout.
Aux États-Unis, on voit déjà apparaître des « Zoom towns » , ces villes de résidences secondaires et de vacances qui gagnent des habitants à la faveur de la crise sanitaire. Le phénomène est moins marqué en France mais pas absent – certains habitants de petits villages font état d’un marché immobilier plus tendu. « Ça donne des perspectives nouvelles. Ça ouvre la possibilité d’une discussion avec l’employeur alors que ce n’était pas forcément le cas avant », commente Adrien dont la compagne a pu obtenir sa mutation à Toulouse. Signe de cette ouverture des possibles, la requête qui fonctionne le mieux sur son site est « ville à deux heures de Paris ».
Pour Bruno, qui se retrouve à « 3h porte-à-porte de Gare de Lyon » sans l’avoir vraiment cherché, son déménagement n’a eu aucun impact sur son activité professionnelle grâce au télétravail. À part peut-être le fait de « se sentir tout le temps en vacances » au début.
Décentrer son référentiel
Il faut dire que Bruno, Parisien depuis quasiment toujours, n’avait jamais envisagé la vie en dehors de Paris et encore moins d’une ville. « J'avais tendance à penser qu'en dehors de l'urbanité, il y avait un énorme ennui », confie l’entrepreneur. C’est cette idée qu’il y a d’un côté Paris et de l’autre le reste du monde qui a poussé Adrien, il y 5 ans, à créer Partir de Paris. Aujourd’hui, installé à Toulouse, il avoue avoir une vie « beaucoup plus calme » mais qui correspond à ses attentes de trentenaire.
Bruno, en revanche, ne s’attendait pas à ce qu’il allait découvrir dans son petit village provençal. « En bon Parisien, je pensais qu’il y avait une richesse culturelle à Paris qu’on ne trouvait pas ailleurs. » Dès son emménagement, il comprend qu’il a été trompé par sa vision « extrêmement parisiano-centrée » . Il évoque avec un mélange de passion et d’étonnement les cinémas d’art et d’essai à la programmation pointue, sa librairie préférée de Carpentras et même son voisin qui organise des sessions de yoga en plein cœur des vignes.
En plus de l’accès à la nature, ce qu’il a trouvé dans son environnement tient en un mot : diversité. « Paris, c’est la ville des "mêmes". Par quartier, on se regroupe entre "mêmes", avec des niveaux de revenus et des univers culturels homogènes. C’est particulièrement visible dans les écoles. Alors qu’ici, on vit la diversité sociale parce qu'elle existe encore », analyse-t-il.
Pour Audrey aussi, il a fallu décentrer son référentiel pour pouvoir partir. Enfin, surtout pour son mari. Architecte, « il était persuadé qu’il y avait moins de projets intéressants en province et que ça pouvait nuire à sa carrière. » Un an après, c’est tout l’inverse. « Il est même mieux payé qu’avant », raconte-t-elle. Dans son milieu de l’entrepreneuriat, la décision d’Audrey suscite toujours quelques interrogations. « On me sollicite pour savoir si partir en province n’est pas synonyme de s’éloigner du milieu des entrepreneurs, » explique celle qui a su recréer un réseau très actif dans sa nouvelle ville.
Paris, c’est fini
À en croire ces témoignages, il n’y a décidément aucun désavantage à s’éloigner de la capitale. Bruno évoque quand même une couverture internet qui laisse à désirer dans son environnement quasi-rural. « J'ai l'impression d'être sur l’internet d’il y a 15 ans. C'est lent. Quand on bosse dans le digital c'est un vrai problème », admet ce spécialiste du sujet avant d’affirmer que le problème sera bientôt réglé par l’arrivée de la 5G.
Mais ce qui l’inquiète bien plus que sa connexion internet, c’est le sentiment que « les élus ne se rendent pas compte des phénomènes profonds qui émergent. » Pour Bruno, c’est clair. C’est le modèle même de la grande métropole qui a un problème, surtout à l’ère du télétravail. « Entre les loyers trop chers et le manque d'espace, s’il n’y a pas par ailleurs des bénéfices massifs, les gens vont partir. » Alors, plus que nous pousser à nous demander s’il fait meilleur vivre à Pontivy que dans le 20e, cet exode parisien est surtout l’occasion de repenser nos villes et notre modèle urbain.
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