En 2021, on ne parlait que de lui. Le Web3 était LA grande révolution – il allait tout changer. Certes, la hype est passée, mais certaines mutations sont restées. Et elles sont là pour durer. On fait le point.
En 2021, si tu n’avais pas investi dans les cryptomonnaies, lancé ta collection de NFT et miser sur une stratégie Blockchain, tu avais loupé ton entrée dans le monde d’après. Mais depuis, le contexte a changé. Après le scandale FTX et de multiples arnaques, le dévissage global du marché des nouvelles technologies, l’arrivée fracassante des IA génératives... on peut légitimement s’interroger. Que reste-t-il du Web3 ? Que faut-il conserver de lui qui nous promettait l’avènement d’un nouvel âge d’Internet – plus libre, plus communautaire, plus décentralisé, plus rémunérateur, plus sécurisé… où les internautes allaient reprendre le contrôle sur leurs données et la création de valeur ?
L’ADN vient de sortir un livre chez Hachette – Web3, tout comprendre des cryptomonnaies au métavers. L’occasion est parfaite pour faire le point. Alors, en 2023, que doit-on garder du Web3 ?
Le Web3, un concept qui promet énormément
C’est le cofondateur de la cryptomonnaie Ethereum, Gavin Wood qui, en 2014, fait la première référence à un « écosystème en ligne décentralisé basé sur la blockchain ». Dit comme ça, on comprend que le Web3 n’ait pas tout de suite embrasé les foules. Il faudra attendre 2021, dans un contexte post-pandémie, pour que le terme s’impose et se hisse même comme LA tendance tech de l’année. Tout un écosystème, les VC les plus puissants de la Silicon Valley, des influenceurs de tous poils, des entrepreneurs, parlait d’une révolution digne de celle de l’arrivée du Web, ou de l’avènement du Web 2.0. À ses début, le web avait promis de rendre le savoir accessible à tous, le Web 2.0 assurait qu'il transformerait le monde en village, le troisième web allait permettre de redonner le pouvoir aux internautes. Grâce à la blockchain, ils allaient faire fortune avec des cryptomonnaies ou des NFT – s’organiser en communautés d’intérêt via des DAO (en français organisation autonome décentralisée, c’est-à-dire des organisations fonctionnant grâce à un programme informatique qui fournit des règles de gouvernance à une communauté) et vivre leur meilleure vie dans le métavers. Le tout était censé être totalement sécurisé, inviolable, décentralisé, communautaire et transparent.
Il est facile de conclure que ces promesses n'ont pas été tenues. La violente instabilité des cryptos et des NFT ont rendu les fortunes incertaines. Les arnaques ont mis à mal les discours autours de l'inviolabilité des données et de leur sécurisation. Le développement de nouvelles plateformes captant la plus grande partie de la valeur – quitte à la dilapider, ont foulé au pied toutes les envolées lyriques sur un web libéré du joug des GAFAM. Du coup, le marché a perdu de son dynamisme et la hype s’est détournée du Web3 pour se s'enfourner dans les IA génératives. Mais malgré ce climat de déroute, il reste des arguments en sa faveur.
Les trois tendances déjà très ancrées et sur lesquelles le Web3 surfe
Si les promesses du Web3 ont rencontré autant d’échos, c’est qu’elles s’emboîtent parfaitement à des usages qui sont déjà solides sur le Web.
Il est, par exemple, désormais totalement acquis qu’Internet peut permettre de créer son propre job. Et quand le web3 affiche pour première caractéristique d'être celui de la possession - il répond à de vraies attentes. Être youtubeur, influenceur ou créateur de contenu est le rêve de toute une génération. En 2019, 3 jeunes américains sur 10 déclaraient qu’ils voulaient tenter leur chance sur YouTube. Avec l’émergence d’une économie dites de la passion : Hobby is the new job, et je veux que mon activité en ligne passe le cap du divertissement pour me permettre d’arrondir mes revenus, voire les assurer.
À cette économie de la passion vient s’adjoindre l’économie des avatars. En effet, notamment via l’univers du gaming, on a vu apparaître une économie full numérique : il est possible d’acheter sur le numérique, des produits totalement numériques, conçus pour les univers numériques. C’est l’extension du domaine de la vente : au marché des produits et services IRL, s’adjoint celui des marchandises destinées à nos vies en ligne. Des usages qui permettent notamment de normaliser des offres comme les NFT, ces actifs numériques que l’on peut créer, acheter, vendre, échanger.
Par ailleurs, on a vu arriver un nouveau profil d’utilisateurs. À L’ADN, nous les avons baptisés conso'tradeurs. Quand ils achètent, ils veulent investir, ils veulent que leurs achats puissent leur rapporter. Nous avions documenté cette tendance sur la génération des plus jeunes, notamment avec les tradeurs de sneakers. Ils n’ont pas 18 ans, achètent et revendent des baskets, et ont déjà un sens très affûté des dynamiques d’offres et de demandes. Autant d’usages qui ont les mêmes dynamiques que celles des achats de crypto par exemple.
Économie de l’influence, de la passion, des avatars, consotrading, autant de nouveaux usages qui viennent de loin et que le Web3 ne fait que s’approprier et prolonger.
Les trois promesses du Web3 qui devraient durer
Si le Web3 peut surfer sur des usages qui l’ont précédé, il ne fait pas que cela. Il affiche également des spécificités qui lui sont propres et qui peuvent de réinventer certaines règles business. Le Web3 se prétend a minima communautaire, marchand et immersif. Et ces trois caractéristiques vont permettre de nouvelles formes de stratégies qui vont bouleverser la relation des marques avec leurs audiences.
- Le tout communautaire
Le Web2 a déjà permis l’agrégation de communautés. On l’a vu sur le champ politique avec l’exemple sans cesse évoqué des printemps arabes ou, plus proche, celui des Gilets jaunes, ou plus récent, de la révolte en Iran, et de la mobilisation contre la réforme des retraites. Mais des agrégats plus improbables se sont constitués autour de passions communes – de l’ASMR au #booktok, des millions d’autres exemples existent.
Le Web3 quant à lui est essentiellement et nativement « community centric ». C’est-à-dire qu’il propose d’emblée aux internautes de se réunir que ce soit autour d’un projet (comme Art of Future, la DAO qui réunit des artistes qui veulent promouvoir le cryptoart), d’une cause (comme AssangeDAO, la DAO qui veut soutenir Julian Assange) ou d’un jeu (Axie Infinity, ce jeu qui cumule une dimension commerciale avec des combats et qui propose aux joueurs de collecter, d'élever, de combattre et d'échanger des Axies). Selon l’expression consacrée : autrefois les internautes devaient aller sur des plateformes. Désormais, ils sont eux-mêmes la plateforme. Ils peuvent édicter leurs propres règles de fonctionnement, les faire évoluer, les animer. Ils forment ensemble un collectif soudé, non seulement par des centres d’intérêt communs, mais des intérêts qui peuvent être d’ordre financier.
Avec les « smart contract », ces communautés peuvent se gérer en dehors de tout autre système. Cet équivalent informatique au contrat papier leur permet en effet d’enregistrer sur la blockchain, non seulement les conditions de validation d’un contrat mais également d’automatiser son exécution. En gros, les communautés peuvent se passer d’une structure – que ce soit une plateforme, une entreprise, une administration...
Il n’est pas évident pour les marques de se lancer sur ce type de modèle. Il n’est pas évident pour la très grande majorité d’entre elles de fédérer une communauté investie – il leur faut trouver le sujet qui peut mobiliser. Mais toutes devraient tenir compte de l’impact de ces communautés autonomes sur les usages. Elles qui ont appris l’hyper personnalisation, elles devront ajouter la gestion de groupes constitués autour d’un intérêt et qui demandent à avoir droit au chapitre dans les décisions. La nature de leur « relation client » en sera bouleversée parce qu’elles devront apprendre à ne plus considérer leurs contacts comme de simples clients. Cela implique aux communications d’être beaucoup plus horizontales, transparentes, exhaustives dans un esprit collaboratif et conversationnel. Il ne s’agira pas de séduire monsieur et Madame tout le monde, mais de recruter les membres d’un club, de les animer, les intéresser. La relation client tiendra davantage de la gestion des ressources humaines et du pacte d’actionnaires.
2. Un internet « play to earn », hyper marchand et hyper financiarisé
On a beaucoup associé le Web3 à l’argent. Surtout dans sa période faste de 2021 quand le cours des cryptomonnaies atteignait des sommets (le Bitcoin valorisé à plus de 56 200 euros en novembre contre 300 euros en 2015), ou que les prix des NFT défiaient le marché de l’art contemporain (en mars 2021, une œuvre de Beeple était vendue pour quasiment 70 millions de dollars, hissant l'artiste numérique sur le podium des artistes les plus chers de la planète, après David Hockney et Jeff Koons). Mais il ne faudrait pas confondre l’écume de la hype avec la marée de mutations plus structurantes.
En effet, d’autres indicateurs et d’autres opportunités consacrent des changements plus profonds et bouleversent, là encore, le statut du consommateur.
On répète, à raison, que le Web1 était le Web de la lecture, le 2 celui de l’écriture, et que le Web3 est celui de la possession. Non seulement l’internaute peut être propriétaire de tous les contenus qu’il produit, mais il peut les monétiser en son nom, sans être soumis aux diktats d’une plateforme, et en tirer un revenu. On a pu voir ce type de mécaniques dans le gaming, bien avant le Web3. Sur la plateforme Roblox, les joueurs peuvent simplement jouer, et/ou créer des jeux ou des objets numériques et les vendre. Ce type de mécaniques se propagent. Dans le gaming toujours, le Web3 a fait émerger le GameFi, contraction de deux mots : game (jeu) et finance. Il s’agit de jeux sur lesquels les utilisateurs peuvent être récompensés par des NFT ou une cryptomonnaie. Mais à la différence des jeux traditionnels, les éléments gagnés dans le jeu peuvent être valorisés à l’extérieur du jeu – en les vendant sur une autre plateforme. Désormais, on peut jouer pour gagner de l’argent, « play to earn » selon l’expression consacrée.
Prenons l’exemple du jeu en ligne Cryptokitties, l’un des premiers crypto games à avoir réuni, à partir de 2017, une importante communauté. Son objectif est simple : il propose aux joueurs d'acheter, de vendre, de collectionner et d'élever différents types de chats virtuels. Il utilise la blockchain Ethereum, et les chats virtuels sont négociés en échange d'Ether la cryptomonnaie native de la blockchain Ethereum. Pour performer sur Cryptokitties, le joueur doit donc gérer ses chats comme on gère une place boursière : apprendre à jouer avec l’offre et la demande (est-ce que je me lance dans la production de masse pour avoir beaucoup de chats communs que je vendrais peu cher, ou des chats plus rares qui pourraient voir leur prix flamber ; comment je rends mes chats visibles et attractifs pour les monétiser au mieux...). On comprend que sur une idée un peu basique, un élevage de chats numériques, les subtilités du jeu s’avèrent finalement assez complexes. On constate également que cela place le joueur dans une posture très différente de celle de l’éleveur de Tamagotchi qui se contentait de gérer la bonne santé de son animal.
Ici, il est intéressé non pas seulement à sa seule réussite, mais à celle de toute la plateforme. Pour que ma collection de Cryptokitties prenne de la valeur, mon intérêt est que l’ensemble du jeu Cryptokitties soit populaire et réunisse un maximum de joueurs engagés.
Pour les marques, un modèle Web3 ne s’adresse plus à une cible passive qui n’aurait que deux modes d’activation – j’achète ou je n’achète pas – mais à des utilisateurs ultra-engagés, qui ont des attentes et des comportements complexes. Certes, ils sont capables de défendre avec elle un projet mais pour cela, il faut que leurs intérêts soient compris, respectés, soignés pour que, par exemple, des plus-values sur les produits proposés soient possibles.
Cela bouleverse la conception même des produits qui doivent être conçus pour tenir dans la durée, avec des dynamiques qui assurent leurs valorisations dans le temps. Une dynamique qui peut flirter avec les modèles pyramidaux puisqu’en plus de devoir satisfaire sa communauté, la marque doit constamment assurer le recrutement de nouveaux entrants. Cette mobilisation s’entretient donc comme un club, avec l’apport de nouveautés, de séries courtes, de rendez-vous récurrents, de défis, de concours…
3. Un internet qui promeut des expériences et de l’immersif
Mais si la financiarisation de la communauté peut être enrichir ses dynamiques, elle ne doit pas - ne peut pas être le seul avantage. Une communauté repose aussi sur d’autres motivations : la relation, le lien, l’attachement. Si on devait résumer en un mot : l’expérience. Reprenons le fil de notre comparaison : si le Web1 donnait des informations, que le Web2 racontait des histoires, le Web3 promet de faire vivre des expériences.
La chose est encore directement lisible dans le gameFi, elle l’est également dans le métavers. Ces univers numériques proposent toujours de vivre des expériences où l’internaute est actif, a le sentiment de se mouvoir ou d’interagir de manière libre – en mode bac à sable pour reprendre une autre expression consacrée (dans le domaine du gaming, un bac à sable désigne un type d'environnement de jeu dans lequel aucun scénario n'est prévu et dans lequel les personnages joueurs peuvent évoluer librement).
Pour les marques, c’est évidemment un apprentissage qui remet lourdement en question les notions que la révolution digitale a déjà durement chahutées : celles des parcours clients ou de l’UX design. Mais cette nouvelle approche plus immersive va être prolongée avec le développement de la réalité virtuelle et de la réalité augmentée. Tout cela présage un numérique qui va sortir des écrans – qui pourra donc permettre des expériences où le corps sera engagé. Un Internet incarné en quelque sorte... Ceci est encore une autre mutation. Et nous aurons l’occasion d’y revenir.
Et pour aller plus loin, vous pouvez vous procurer le livre de L'ADN - Web3 - Tout comprendre des cryptomonnaies au métavers. Publié chez Hachette, vous le trouverez en cliquant ici ou en allant chez votre libraire préféré.
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