Le tourisme n’échappe pas à l’effervescence autour de ChatGPT. Si l’intelligence artificielle est déjà utilisée par la filière, le bot d’Open AI redistribue les cartes – pour les professionnels comme les voyageurs. Que faut-il attendre de nos voyages boostés à l’IA générative ?
Commençons par évacuer quelques limitations d’ordre général : oui, les données utilisées par la version gratuite de Chat GPT sont pour l’instant antérieures à 2021 – ce qui la rend caduque en l’état pour les requêtes temps réel, comme les prévisions météo, les horaires de train ou d’avion, ou les formalités administratives en cours. Les erreurs et les inexactitudes sont fréquentes, sans parler des biais dont la machine est capable. On est bien d’accord, personne n’a envie de faire des heures de route à l’autre bout du monde pour se retrouver devant une porte close, là où une IA générative a « halluciné » la meilleure feijoada de tout le Brésil.
Nouveaux plug-ins ChatGPT
Cette limite vient toutefois de trouver sa première résolution, avec la récente annonce d’Open IA, qui lance une série d'API pour ChatGPT. Outre celui capable de naviguer sur Internet en temps réel, Open IA propose aussi ses premiers plug-ins tiers. Parmi les partenariats stratégiques noués avec la startup de Sam Altman, figurent de grands noms du tourisme, Expedia Group et Kayak (aux côtés de Klarna, Instacart, Speak, FiscalNote, Milo Family AI, Shop, Zapier, Wolfram, Shop et OpenTable). Et quand les capacités conversationnelles inédites de ChatGPT percutent les bases de données temps réel des voyagistes, le résultat est franchement impressionnant :
Pour une filière si émettrice et consommatrice de data, le potentiel disruptif de l’intelligence artificielle devient évident : données créées par les utilisateurs, données de systèmes ou de dispositifs (GPS, météo, itinérance mobile, etc.), données d’audience et de transaction… La configuration devrait aussi favoriser la création de startups, qui se positionneront sur l’ensemble de la chaîne de valeur du voyage, de l’inspiration au séjour lui-même, en passant par des applications métiers spécifiques, comme pour le segment business. C’est l’avis du capital-risqueur américain Andreessen Horowitz, qui vient de publier une note détaillant ces possibles cas d’usages. Et la startup californienne Navan (anciennement TripActions) vient d’annoncer, en même temps que son rebranding, l’intégration de ChatGPT sur sa plateforme dédiée à la gestion des voyages d'affaires et des notes de frais.
Extension du domaine de l'IA
Pour les acteurs plus établis, il s’agit donc d’extension du domaine de la data en général, et de l’IA en particulier. Interrogé lors d’un panel organisé par le média américain spécialisé PhocusWire, un représentant du groupe Expedia évoquait une « nouvelle ère d’expériences hyperpersonnalisées », rendue possible par les données et technologies que l’industrie possède déjà : Expedia revendique ainsi plus de 70 pétaoctets de données, alimentant six milliards de prédictions IA par an. Un outil comme celui d’Open IA ou celui de ses concurrents, tel Bard de Google, viendrait alors décupler des capacités déjà en place : l’entreprise a calculé que les 29 millions de conversations virtuelles entretenues avec ses clients ces dernières années auraient fait gagner 8 millions d’heures à ses agents, leur permettant de se concentrer sur les cas complexes et non résolus par le self-care – comme on le désigne dans le jargon de la relation client. Une autre opportunité business consisterait à intégrer l’outil pour la planification d’un voyage dans le tableau de bord d’un client, afin qu’il puisse ensuite opérer la réservation sur le site.
Dans cette nouvelle course technologique, les obsessions des professionnels demeurent : améliorer l’efficacité opérationnelle avec toujours plus d’automatisation, mais aussi rendre des parcours client souvent complexes toujours plus fluides et transparents pour l’utilisateur, grâce au langage naturel et la capacité de ces outils à browser tout Internet. Services de traduction instantanée pour permettre aux voyageurs de négocier des changements de dernière minute avec leurs hébergeurs et fournisseurs, information et recalcul automatique des prestations en cas d’incident sur le parcours, etc. Les possibilités sont presque infinies, mais il est souvent question de réduire les frictions liées aux inévitables incidents de parcours qui émaillent un voyage. Savoir intégrer ces dernières avancées technologiques à des données, systèmes et interfaces déjà existants procurera un avantage concurrentiel majeur pour les plus gros acteurs du secteur.
« AI junk land »
Autre domaine en question, la création de contenus dont la filière du tourisme est très friande. La tentation sera grande d’utiliser les IA génératives pour créer des articles, des fiches sur les destinations, des posts pour les réseaux sociaux, remplir un site Web, personnaliser des campagnes publicitaires etc. voire créer de faux avis et commentaires, pour les plus malhonnêtes, afin de valoriser un établissement ou au contraire, nuire à l’autre. C'est la crainte de Jeff Low, un cadre de l'hôtellerie indépendante interviewé par le New York Times, qui prédit un « AI junk land » , avec des fermes à clics aux pratiques de plus en plus sophistiquées, et des faux profils rendus convaincants avec par exemple un solide historique de contenus.
Il faudra également surveiller les effets sur le référencement Google – le SEO est un enjeu majeur pour cette industrie qui se prête particulièrement bien à la recherche, à la comparaison, à la planification et à l’achat en ligne. Dans une note parue en février 2023, Google indiquait qu’elle appliquera aux contenus créés par l’IA les mêmes critères que les autres, à savoir en valorisant les critères EEAT : expertise, expérience, légitimité, fiabilité.
Valise idéale et mail de réclamation
Mais du côté des voyageurs aussi, les usages pourraient aussi rapidement se transformer : si l’on considère ChatGPT comme un super assistant personnel du quotidien capable aussi bien de générer des menus avec le contenu du frigo ou créer une routine fitness, pourquoi ne pas l’utiliser comme le planificateur de votre prochain voyage ?
Des outils de ce type existent déjà, mais aucun n’a réussi à émerger comme killer app. La puissance de feu de Chat GPT pourrait bien réussir à nous convertir à la préparation de nos prochains périples. Des influenceurs YouTube ou TikTok produisent déjà du contenu pour aider les voyageurs à affûter leur prompt engineering dans leur quête d’évasion : trouver des idées de destination, construire un itinéraire, en fonction de ses préférences et de son budget, se familiariser avec la culture et la gastronomie d’une destination, préparer la valise idéale (oui, absolument, il vous faut cet adaptateur 110 v / 220 v et non, vous ne pourrez pas rentrer en short dans cette chapelle), etc.
Et si votre voyage se passe mal, vous pouvez même vous en servir pour écrire un mail de réclamation à la hauteur de votre déception : c’est le cas de Cherie Luo, rapporté par le Wall Street Journal, qui a demandé à ChatGPT de lui écrire un mail « poli mais ferme, et légèrement passif-agressif » suite à une déconvenue avec Hawaiian Airlines. Si elle n’a pas obtenu de compensation (car le retard était dû à la météo), la jeune femme était satisfaite de déléguer cette charge mentale sur la machine.
Travel industry is dead (again)
Toujours disponible, visiblement très sûr de son expertise… Un profil qui pourrait mettre en danger des acteurs comme les agences de voyage, qui n’en sont pourtant pas à leur première disruption (coucou les 90s, coucou internet). Eux-mêmes ont tout intérêt à s’emparer de ces outils pour les accompagner dans leur travail, selon l’adage désormais connu : « Vous ne serez pas remplacé par l’IA, mais par quelqu’un maîtrise l’IA ». Chad Burt, à la tête d’un réseau d’agences de voyages en Floride, a ainsi rédigé un vade-mecum à l’usage de ses collaborateurs malicieusement titré The travel industry is dead (again) avec 16 suggestions d’utilisation de l’IA générative dans le cadre professionnel (dont 6 inspirées par ChatGPT lui-même) : créer du contenu, écrire des emails, adapter son offre à des personas, évaluer vos retours clients, créer des formulaires, créer des itinéraires, réfléchir à de nouveaux business models…
En tourisme comme ailleurs, la valeur dégagée par ChatGPT et consorts demeure encore très dépendante de la qualité des prompts auxquels nous soumettons ces outils, de la finesse des interactions que nous saurons entretenir avec ces derniers, et enfin de notre faculté à distinguer le vrai du faux, la qualité du tout-venant, à impulser de la créativité et de la sensibilité dans un monde probablement amené à être inondé de junk content. À ce jeu-là, les êtres humains en général, et les experts dans leur domaine en particulier, sont encore les mieux placés. Et dans un univers qui valorise l’expérience et la connexion tel que le tourisme, c’est plutôt une bonne nouvelle.
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