
Nos hypothèses : un internet plus intuitif et (encore) moins fiable, une relation à la machine plus ambiguë où le Web devient notre copilote, et le dévissage des audiences.
Cette semaine Microsoft et Google ont annoncé l’intégration d’une intelligence artificielle génératrice de texte à leur moteur de recherche. Bing sera augmenté d’une version plus avancée de ChatGPT. Et Google Search de Bard, un chatbot similaire. Cette course à l'échalote nous projette-t-elle dans « un nouveau paradigme », comme le suggère Satya Nadella, PDG de Microsoft ? Pensez à un changement équivalent à l’arrivée du smartphone.
Méfions-nous des discours grandiloquents. Après tout, on attend encore la grande révolution du Web promise il y a deux ans par les NFT, et il y a quelques mois par le métavers. Mais il est certain que si Google, la porte d’accès au Web de plus de 90 % des internautes, se métamorphose ou se fait remplacer par Bing, cela changera la donne.
Bonjour, ceci est Bing. Je peux vous aider : )
En gros : plutôt que de taper dans votre moteur de recherche préféré une requête, puis de faire votre tri naviguant de lien en lien, vous vous adresserez à un chatbot qui fournira une réponse déjà toute faite en langage naturel. (Les liens ne disparaîtront pas, mais la réponse des chatbots sera mise en avant).

Copilote
Microsoft imagine le nouveau Bing comme un « copilote dopé à l'intelligence artificielle » . Une sorte de super assistant qui vous aiguille dans vos recherches.
Il n’est pas certain que le changement paraisse si brutal. Puisque Google a déjà entamé cette mue en intégrant des widgets (des petits encarts) qui donnent à l’utilisateur une réponse sans avoir à cliquer sur un lien. Par exemple, si vous recherchez la définition de « métavers », une fenêtre Wikipedia s'affiche à droite de votre écran et vous donnera une définition sans que vous ayez besoin d’aller sur la page Wikipedia en question. Bref pour pas mal de recherches basiques, Google est la porte d’entrée et la destination finale des internautes sur le Web.
L’intégration de Bard poussera simplement cette logique un peu plus loin. Puisque l’outil aura réponse à des questions plus complexes que la définition d’un mot : « idées de recettes véganes pour Noël », ou « quelles infos puis-je donner à mon fils de 9 ans sur le télescope James Webb » ?
Un internet encore moins fiable ?
Obtenir une réponse unique à une question complexe n’est pas forcément le tournant dont on rêve pour le Web. C’est satisfaisant et moins chronophage. Mais est-ce vraiment raisonnable ?
On l’a dit et redit, ChatGPT n’est pas fiable. Il est programmé pour générer du texte, pas pour vérifier l’exactitude d’un fait. Il raconte régulièrement n’importe quoi. Le robot conversationnel invente des éléments biographiques, n’a aucun problème à écrire que les chevaux pondent des œufs, ne sait pas répondre à des questions très basiques (de mathématiques, notamment). Ce qui ne signifie pas qu’il s’agit d’un outil inutile – certains lui ont déjà trouvé de nombreux usages au quotidien. Mais est-ce le mieux adapté pour obtenir une réponse à une question factuelle ? Sûrement pas. D’ailleurs, Bard – dont la technologie est similaire à celle de ChatGPT – a fait une erreur dès sa toute première démonstration. Sur le télescope James Webb, le chatbot a assuré que l’appareil avait pris la toute première photo d’une planète en dehors de notre système solaire. Or, c’est faux comme l’ont remarqué des astrophysiciens sur les réseaux sociaux.

Microsoft et Google assurent déjà leurs arrières, prévenant les utilisateurs qu’il faudra faire attention, voire fact-checker ce qu’avancent GPT et Bard. « Bing déforme parfois les informations qu'il trouve et vous pouvez voir des réponses qui semblent convaincantes mais qui sont incomplètes, inexactes ou inappropriées. Utilisez votre propre jugement et vérifiez les faits avant de prendre des décisions ou d'agir en fonction des réponses de Bing », peut-on par exemple lire dans la section FAQ du « nouveau Bing » . On se demande alors l’intérêt de proposer un outil dont la fiabilité est d’entrée douteuse.

La fin de la pub… La fin des sites qui dépendent de la pub ?
L’autre aspect que les moteurs de recherche dopés à de nouvelles formes d’IA vont probablement changer : l’audience des sites qu’ils référencent. Nous l’avons dit plus haut, Google (comme Bing) fait déjà en sorte depuis quelques années que les utilisateurs n’aient plus à aller sur un site pour trouver une réponse. Si le terme que vous recherchez est un peu obscur et n’est pas associé à une page Wikipedia, comme « starseeds » par exemple, Google met en avant un paragraphe d’une page Web qui mentionne le terme (dans le cas de starseed – c’est un passage d’un article de L’ADN par exemple). En dessous on peut voir clairement que le texte vient de notre site, avec un lien qui renvoie vers l’article.
Avec Bard et "Bing/GPT”, cette logique sera accentuée. Le chatbot sera capable de pondre une réponse à des questions complexes en s’appuyant sur les informations glanées sur différents sites Web. Son texte ne viendra pas d’un site en particulier, mais sera en quelque sorte un mix de différents sites. Les sources seront citées et les utilisateurs pourront cliquer pour en savoir plus, a précisé Microsoft dans sa présentation. Mais si on vous présente un texte tout prêt et synthétisé, en apparence correcte, allez-vous vraiment cliquer pour en savoir plus ?
Si les nouveaux moteurs de recherche amènent moins de trafic vers les médias et sites Web en tout genre, ceux dont le business model est basé sur la publicité perdront de l’argent. Et peut-être qu’ils disparaîtront, projette The Verge. Le média va jusqu’à émettre l’hypothèse de la fin du Web tel que nous le connaissons, à savoir un Web dopé à la publicité.
Ce qui explique que les sites dont tout le but est d’être bien référencé par Google paniquent à l’annonce de Bard, comme le note Numerama.
Dire merci à son moteur de recherche
Par ailleurs, notre façon d'interagir avec les moteurs de recherche va-t-elle changer avec Bard et Bing ? Personne ne pense en s’adressant à Google et Bing qu’il s’agit d’êtres humains (enfin à part cette grand-mère anglaise en 2016). Mais ces nouveaux super chatbots reproduisent notre manière de nous exprimer et donnent l’impression d’avoir une sorte de conscience. Ce n’est évidemment pas le cas. Mais l’illusion demeure, quand bien même plusieurs scientifiques spécialistes de l’IA ne cessent d’alerter sur cette représentation et tentent de démystifier ces outils et leur anthropomorphisation. Quand je m’adresse à ChatGPT j’accompagne souvent mon prompt d’un « peux-tu ». Un collègue nous fait savoir qu’il le remercie après chaque réponse. De nombreux internautes cherchent à connaître « l’opinion » de ChatGPT (encore une fois, il n’en a pas – évidemment c’est une machine), ou son bord politique. Des redditors s’amusent à lui faire faire un jeu de rôle.
Bref, on sent bien que notre relation à la machine n’est pas la même que celle que nous entretenons avec un simple moteur de recherche. Et c’est peut-être cet axe-là qui sera le plus intéressant à observer lors des prochaines mises à jour de Bing et de Google.
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