Pour écrire une annonce d’emploi, trouver une formule Excel ou brainstormer toute la nuit… Demandez à ChatGPT, il est gentil. Des professionnels expliquent comment cet outil devenu viral les aide dans leur quotidien.
« Il fait plus ou moins le travail qu’aurait pu faire un stagiaire », résume Nurra Barry, architecte d’intérieur et fondatrice de la startup Carbon Saver. « Il », c’est ChatGPT, l’intelligence artificielle capable de produire du texte à la demande. L’entrepreneuse lui demande de résumer des documents techniques sur l’écoconception rédigés par ses soins afin d’en faire des résumés courts, facilement compréhensibles et partageables sur les réseaux sociaux. « C’est un travail chronophage, que l’on remettait sans cesse au lendemain », explique la dirigeante d’une équipe de 5 personnes. « Cela aurait été une tâche assez ingrate à demander à un stagiaire. Et j’aurais dû prendre le temps de le former dans ma journée. Là, ChatGPT s'exécute où je veux et quand je veux. » Elle est loin d’être la seule professionnelle à avoir profité de cette intelligence conversationnelle pour déléguer une tâche.
« Salarié gratuit »
Sur Twitter, ChatGPT est tantôt décrit comme « un salarié gratuit », un « assistant de recherche », ou un « assistant personnel ». Le robot conversationnel, qui fait la Une des journaux depuis plusieurs semaines, inquiète le monde scolaire et universitaire. Mais dans le monde du travail, il a été adopté de manière organique, sans trop de remises en question pour le moment. Selon un récent sondage, 30 % des quelque 4 500 professionnels interrogés l’auraient déjà testé. La part atteint 36,7 % chez les marketeux et 35,3 % dans la tech, et ce, en quelques semaines seulement.
Cet outil développé par OpenAI a été mis en ligne fin novembre 2022. Une semaine plus tard, il comptait déjà plus d’un million d’utilisateurs. En janvier, le chatbot a rassemblé 100 millions d’utilisateurs actifs, selon SimilarWeb. Atteindre cette étape a pris 9 mois à TikTok, à titre de comparaison. « C’est assez satisfaisant d’avoir un usage immédiat d’une nouvelle technologie, expose Eliott Lepers, designer spécialiste de la communication politique et utilisateur de ChatGPT depuis un mois. Contrairement à la blockchain, le métavers et la réalité virtuelle qu’on nous a présentés comme des technologies de rupture, mais qui n’ont pas d’intérêt direct pour la plupart des gens. Là, c’est un outil très accessible, qui peut servir à beaucoup de monde. »
Définitions des angles
« On le considère comme une révolution », va jusqu’à dire Adrien Blondiau, directeur de création de Groupe 361, une agence de communication qui travaille pour de grands comptes. Le chatbot a récemment fait l’objet d’un atelier à destination des salariés de l'entreprise. « L’idée était de leur expliquer comment bien utiliser ChatGPT », explique Adrien qui a animé cette formation.
Lui, l’utilise quasi quotidiennement pour des tâches multiples et variées. « Je lui demande de résumer de la documentation, de rédiger une annonce d’emploi à publier sur LinkedIn, de simplifier certains contenus, ou tout simplement de me donner une commande Excel ». Le chatbot lui sert aussi à s'inspirer, et faire un travail de veille. « On lui demande des idées d’angles sur certains sujets, ou d’énumérer les hashtags les plus utilisés sur les réseaux sociaux. » Ou bien de définir certains concepts. « Cela fonctionne bien sur certaines thématiques très tech par exemple. Si on lui demande d’expliquer ce qu’est la blockchain à un enfant de cinq ans par exemple, il est très clair. »
Pour le directeur de création, cette collaboration avec le robot ne relève pas exactement de l’« automatisation ». Il insiste sur ce point, estimant que ChatGPT lui permet simplement de travailler plus efficacement, de « simplifier le quotidien », sans transformer pour autant les métiers. « C’est une sorte d’assistant virtuel très performant. » Son aide permettrait dans certains cas de diviser le temps de production de contenus par 4, estime-t-il.
Le recours à certaines demandes (questionner l'outil sur les hashtags les plus populaires, ou la définition d’un terme technique) interroge toutefois car ChatGPT est loin d’être garant de la vérité. Il raconte même très souvent n'importe quoi. Ce n’est qu’un outil statistique qui produit du texte, mais n’a pas été programmé pour distinguer le vrai du faux. Adrien Blondiau se dit conscient de ces limites, « nous ne l’utilisons pas pour certains sujets où il faut absolument tout sourcer, comme la santé ».
« Un très bon bullshitter »
Nurra Barry, fondatrice de Carbon Saver, est plus frileuse à l’idée de lui confier la production de textes sans partir d’un contenu existant. « C’est un très bon bullshitter : il dit énormément de bêtises avec beaucoup d'aplomb. » Par ailleurs, elle ne compte pas partager les créations de ChatGPT sans travail derrière. « Ce qui ressort est bien fait, mais on sent que son ton est un peu fake et ne ressemble pas à ma manière de m’exprimer. »
Eliott Lepers se méfie aussi de tout ce qui est factuel dans les écrits de ChatGPT. « Je fact-check les statistiques qu’il me donne ou les faits d’actualité ».
Malgré ces limites, le designer et conseiller d’élus et d’ONG, trouve qu’il fait plutôt un bon compagnon de travail, notamment pour alimenter sa réflexion. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ChatGPT est parfois utilisé pour des tâches assez « nobles » : la réflexion justement, la définition de sujets, l’élaboration d’angles. Une mise à contribution à l’opposé de ce qu’on a longtemps associé à l’intelligence artificielle au travail, à qui on imaginait confier essentiellement des tâches subalternes, peu valorisées.
« Ça déclenche une mécanique particulière dans mon cerveau »
« J’utilise ChatGPT pour m’aider à m’inspirer, à vaincre le syndrome de la page blanche, expose Eliott Lepers. J’ai parfois du mal à avancer seul, j’ai besoin d’un ping-pong conversationnel avec quelqu’un. Mais ce n’est pas toujours possible. Quand je travaille la nuit par exemple, c’est compliqué d’avoir une discussion avec mes amis ou ma famille. Avoir une conversation avec ChatGPT est une sorte de substitut à cela. Ça me débloque, ça déclenche une mécanique particulière dans mon cerveau. »
L’IA lui sert surtout en amont de l’écriture d’un texte pour un client. De quoi diviser son temps de travail par deux. Il demande par exemple à son assistant virtuel de résumer les points saillants d’un discours politique, d’énoncer les principaux arguments et éléments de langage d’une catégorie de la population (comme ceux que l’on peut obtenir lors de focus groups). « Je lui ai par exemple demandé de me donner les arguments de la droite sénatoriale en défaveur de l’immigration. C’est un travail qu’auparavant j’aurais fait en lisant des articles pour en extraire certains points. »
Savoir le cuisiner
ChatGPT lui permet, dit-il, d’identifier certaines pistes auxquelles il n’aurait pas pensé. « Sur l’immigration, il m’a par exemple souligné la question territoriale, le ressenti des personnes qui vivent à proximité des migrants, comme les habitants de Calais. Or, à ce moment-là, c’était un angle mort de ma réflexion. Comme ChatGPT a accès en théorie à l’ensemble de la connaissance sans biais de mémoire, il a la possibilité de nous faire sortir de nos préconçus et de nos a priori. » Reste que le chatbot n’est pas dénué de biais, puisqu’en étant entraîné sur des pages Web, en majorité en langue anglaise, il reproduit certains préjugés et une certaine vision du monde.
Pour pouvoir « brainstormer » ainsi avec le robot, il est donc indispensable de savoir creuser, de l’interroger plusieurs fois sur un même sujet en affinant à chaque fois sa demande, en lui demandant spécifiquement des idées originales, estime Valentin Decker. Ce concepteur-rédacteur et fondateur de Sauce Writing – une formation à destination des personnes qui souhaitent améliorer leurs écrits – se sert de ChatGPT au moins une fois par semaine. « Cela me permet d’obtenir des idées d’angles, de plans. Mais je ne lui délègue pas mon cerveau. Sa vision est complémentaire de la mienne. » Lui voit l’outil comme un « inspirateur ». ChatGPT s’est invité dans sa routine professionnelle. « Lorsque je pense à un sujet sur lequel écrire, je commence par réfléchir par moi-même, puis je questionne ChatGPT, et ensuite je fais d’autres recherches. »
Le dire ou pas aux clients
Alors quel statut donner à ce nouvel outil ? Faut-il, par exemple, prévenir ses clients de son utilisation ? Nos témoins semblent mitigés. Ceux d’Eliott Lepers ne sont pas toujours au courant de l’intervention du robot. Pour le moment, l’intelligence artificielle ne lui a pas permis d’écrire un texte de A à Z sans retouches. Il s’en sert plutôt pour obtenir une première base qu’il adapte ensuite selon les premiers retours de ses clients. « Je ne l’ai pas formulé à tous. Mais je me pose la question. Savoir se servir de cet outil est plutôt une compétence à valoriser. C’est une opportunité. »
Tester et roder ChatGPT est aussi un moyen pour ces professionnels de s’approprier l’outil avant que d’autres ne le fassent – (ou que l’outil ne les remplace ? ). L’agence 361 entend en faire, elle aussi, une opportunité. L’entreprise réfléchit à une offre incluant officiellement le travail de ChatGPT, afin de proposer à ses clients plus de contenus, plus rapidement, à un tarif avantageux.
Valentin Decker a lui intégré des conseils à l’utilisation de ChatGPT à ses formations sur l’écriture.
Nurra voit elle aussi ces nouveaux outils d’intelligence artificielle plutôt comme une bonne nouvelle. Elle est également utilisatrice de Midjourney et de Dall-E, des IA capables de générer des images. « Je fais mes planches d’inspiration avec par exemple. C’est un bon coup de pied pour être plus créatif, et sortir de certaines esthétiques trop vues façon Pinterest. » La professionnelle reconnaît toutefois que l’IA mènera sans doute à une même forme de standardisation des contenus – texte comme image.
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