Une fille portant une polaire sur fond vert

Gorpcore : le style des gens qui font semblant d'avoir fait le GR20

© adrianneho

Apparemment, tout le monde a reçu à Noël une polaire Patagonia. Enfin si l'on en croit la nouvelle dégaine uniformément arborée par les hipsters du 10ème arrondissement.

Certaines micro-tendances de niche (vous vous rappelez des styles ketamine chic et christiancore ? ) populaires en 2022 vont certainement se démocratiser cette année (dixit les experts de la mode). C'est le cas de la mouvance gorpcore, qui fait son grand retour depuis sa timide apparition en 2017 et sa mise entre parenthèses pour cause de confinement. Le gorpcore signe l'adoption de vêtements techniques conçus pour faire du sport au grand air, et ce malgré toutes les intempéries possibles. (Comme le dit l'adage allemand, il n’y a pas de mauvais temps, juste de mauvais équipements.) Signe que nous avons tous grand besoin d'arrêter les PowerPoint pour partir à l'aventure dans un monde moins bétonné ? Probablement. En attendant, les polaires sont surtout portées dans des coffee shops parisiens où l'on boit des lattes au lait d'avoine à 5 euros. Mais l'envie est là. Clause de non-responsabilité : cet article est écrit par une personne possédant une doudoune Patagonia en velours côtelé.

C'est quoi le gorpcore ?

Comme l'expliquait récemment Vice, l'achat de parkas (et aujourd'hui les polaires) Patagonia racontent une histoire bien particulière sur la personne que vous êtes. Voilà cette histoire : « Vous êtes une personne saine qui fume du tabac à rouler. Vous possédez la joie de vivre d’une troupe d’oies du Chili. Vous êtes sympathique, toujours de bonne humeur, endetté et avez parcouru le globe. Vous étiez à Paris mais vivez maintenant à Montreuil, "et c’est vraiment super ! " » Il faudrait sans doute ajouter au panorama : vous êtes peut-être cadre à La Défense, mais dans vos fantasmes, vous parcourez l'Europe sans vous laver, tente sur dos, Opinel en main. D'accord, votre dernière rando remonte à l'été 2013 et vous aviez peiné à parcourir 300 mètres de dénivelé, mais qu’importe, l'esprit des alpinistes morts sur le K2 sommeille en vous.

Cette passion pour le port de vêtement technique tourné vers l'outdoor porte un nom : gorpcore. Il s'agit de porter des tenues qui ne dépareilleraient pas sur le chemin de Stevenson, sauf qu'on les met pour prendre la ligne 14 ou « se faire un thaï ». Le terme provient de l'acronyme Gorp, issue de la célèbre expression américaine « Good ol' Raisins and Peanuts » (Des bons vieux raisins et des cacahouètes), l'en-cas favoris des randonneurs en manque d'énergie. Au-delà de la polaire, que portent les adeptes du style gorpcore ? T-shirts en mérinos, pantalons cargos, cagoules, bandeaux, coupe-vent (préférablement de la marque K-Way), parkas, doudounes, chaussures de marche (version Nike ou Superga, par exemple). Pour les plus audacieux, ne pas hésiter à accrocher un mousqueton d'escalade à votre gourde, on ne sait jamais si vous ne serez pas amené à camper près d'un lac en altitude ce soir. Comme l’explique l'internaute Vivien, il s'agit donc plus ou moins de tous « les vêtements qui passent de cringe à cool. » Pour les retrouver en images, suivre le #gorpcore sur TikTok, qui affiche plus de 570 millions de vues, ou encore le plus discret #fleece (polaire), 164,8 millions de vues.

Pourquoi ce retour en force du randonneur vaguement hipster ?

La tendance gorpcore ne sort pas de nulle part. Elle est la cousine éloignée de la vieille normcore, qui fait l'apologie de tout ce qui est basique, standard, élémentaire, et de la plus déglinguée dystopiacore, inspirée des films catastrophe et de la littérature SF. À quelques différences près : « il s’agit cette fois pour le consommateur urbain, ou rurbain, de se concentrer sur des produits intelligents, utiles, qui protègent d’un futur incertain, qui rassurent, en faisant appel à des marques qui maîtrisent une technologie ou un savoir-faire, bien loin de la fameuse obsolescence programmée. Il est presque cette fois question de survivalisme », explique EXT Studio. Après un été caniculaire et un hiver tristement tiède, il pourrait sembler contre-intuitif d'investir dans des vêtements chers conçus pour résister à un froid « polaire » à Paris. C'était avant la tempête hivernale qui s'est abattue sur les États-Unis cet hiver, qui dessine un avenir climatique de plus en plus anxiogène. En outre, comme le matcha, l'escalade ou les combat boots, la rando est devenue cool. Évidemment, puisque son potentiel instagramable est infini. En outre, la pratiquer permet d'afficher une certaine supériorité morale, comme l'écrit ironiquement Jason Hayes dans The New Yorker en se glissant dans la peau d'un randonneur fraîchement converti : « Dorénavant, j'ai des opinions bien arrêtées sur la façon dont vous devriez mener votre vie et je veux vous les envoyer par SMS en majuscules. Ce travail de neuf à cinq est une roue de hamster, mec. Sortez et libérez-vous ! Libérez ce hamster domestiqué et mollasson dans un endroit où il peut vraiment s'épanouir : la nature sauvage. »

À une époque qui prend la mesure de la nécessité de moduler notre rapport au monde, l'attrait pour les vêtements outdoor témoigne aussi sans doute du besoin d'une vie plus tournée vers la nature ; une nature dont la seule fonction n'est pas d'être exploitée, mais découverte et explorée avec mesure et respect. Une envie des plus légitimes s'il en est. Dans un sondage de 2021, 87% des Finlandais déclarent que la nature est prépondérante pour leur bonheur car elle leur procure énergie, détente et tranquillité d'esprit. (Coïncidence : la Finlande a été élue pays le plus heureux cinq années consécutives par le World Happiness Report.) Un premier tout petite pas vers le changement ? Ça, ou alors notre boulimie de fringues n'est toujours pas rassasiée.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.
commentaires

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  1. Avatar Thomas dit :

    Laure, bravo pour cette plume qui habille d'humour votre oeil sociologique acerbe. Je vous lis confortablement chauffé par ma polaire retournée Castore achetée sauvagement soldée chez Primark Edinbourg (que j'ai rejoins en train). J'ajouterais que le Gorpcore me semble avoir une conscience écologique naissante quand il choisit d'affronter, non le semi froid parisien, mais la rudesse de son DAF qui a décidé de réduire la consigne de chauffe à 17° dans l'agence non isolée où il travaille... il prend les instructions gouvernementales sur le col roulé à la lettre pour réduire sa consommation de gaz et de CO2, et compenser modestement le double steak qu'il vient de saigner chez PNY, ou son dernier A/R Paris - New York... une pointe de hype en plus. Vive les gorpcores !

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