Dans le désert, une jeune femme au visage dissimulé par une grande feuille jaune

Crise sociale, urgence climatique… Face aux enjeux du siècle, ces artistes misent sur la pensée magique

Avec NONFICTION
© Cooper Cole

Certains artistes souhaitent affronter ce que demain leur réserve par le prisme d'une pensée animiste, considérant chaque chose comme animée par une entité spirituelle.

L’animisme pour nos cultures occidentales, c’est un peu comme regarder un dessin animé de Miyazaki, une « pensée magique » qui nous fait retomber dans l’enfance. Pourtant, tout comme l’œuvre de l’artiste japonais, l’animisme est plus complexe et se révèle sûrement être une voie pertinente, si ce n’est raisonnable, pour penser le monde dans le contexte de crise climatique et sociale que nous traversons. Une frange de la jeune création nous invite à prendre cette perspective. 

Ils s’emparent de la typologie de l’anthropologue Philippe Descola pour explorer les rituels et les esthétiques animistes et ainsi questionner le naturalisme des sociétés occidentales. Portées par une dichotomie nature / culture, la « Nature » y est alors un concept exogène. 

Pourtant une grande partie des sociétés non occidentales conserve un rapport animiste à leur environnement : « (...) Les animaux, les plantes ont la même âme, intériorité (émotions, conscience, désirs, mémoire, aptitude à communiquer…) que les humains, ils ne s’en distinguent que par leurs corps. » Il s ‘agit soit d’un mode de vie global – comme pour les peuples d’Amazonie, soit d’un syncrétisme avec des croyances monothéistes et des modes de vie occidentalisés, comme dans de nombreux pays d’Afrique. 

Par leur pratique artistique, les jeunes artistes qui convoquent des esthétiques animistes nous rappellent que loin d’une sorcellerie, il s’agit d’une manière de concevoir le monde, de respecter les lois du vivant, de (ré)activer nos sens, d’apprendre à respirer et à contempler ce qui nous entoure. Ces artistes en appellent à la performance comme moyen de faire advenir la communion avec le non humain et de rejouer un mythe de la création. Les motifs du totem et de la plume proposent une esthétique cérémoniale qui vise à replacer l’homme dans un équilibre avec le reste du vivant.

Selon le philosophe camerounais Gaston-Paul Effa, en se tournant vers l’animisme nous pourrions acquérir une compréhension plus subtile du monde et ainsi mieux faire face aux défis climatiques qui nous attendent. Découvrez ainsi ces jeunes artistes qui nous invitent à réfléchir à notre lien avec la nature et sa possible reconstruction...

Khvay Samnang, né en 1982, vit et travaille au Cambodge. 

Khvay Samnang fonde sa pratique artistique sur les rituels culturels traditionnels. Chacune de ses œuvres est issue d’une investigation sur les spécificités locales. Avec Popil, l’artiste propose une chorégraphie mystique invoquant la pluie, dans les hautes herbes avec la cité urbaine comme fond de toile. 

Popil par Khvay Samnang, 2018.

Cette sorte d’animisme moderne démontre comment l’urbanisme, construction de l’Homme, et la nature cohabitent aujourd'hui : peut-on encore penser écologie sans inclure la ville ? À travers ses imaginaires artistiques, Khvay Samnang nous rappelle que les ressources naturelles doivent être honorées et appréciées. Vêtu d’un masque en lianes, le danseur nous montre que la préservation de la nature n’est pas antinomique avec la vie urbaine contemporaine. 

Edoardo Manzoni, né en 1993, vit et travaille en Italie 

Au sein d’une œuvre minimaliste aux accents de sorcellerie, Edoardo Manzoni nous propose sa vision de l'animisme avec un piège de chasse, composé de brindilles suspendues dans le vide et d'un rond de cuivre telle une mâchoire déposée sur le sol. 

Fame par Edoardo Manzoni © Francesco Spallacci

Il initie alors un dialogue autour de notre relation à l’animal. L’objet nous parle, il est animé d’une intention : à quoi l’Homme chasseur renvoie-t-il ? Si la chasse a longtemps été une nécessité, nous rapprochant de notre instinct primaire, il semble plus juste de dire aujourd’hui que l’Homme s’écarte au contraire de son humanité en chassant ; il cède à la vanité et à la démesure et pousse son monde à la perte. Cette œuvre questionne alors profondément le rapport Homme / animal en éveillant une tension : peut-on encore appréhender l’animal comme une proie ?  

Sara Blosseville, née en 1994, vit et travaille en France 

“J’aimerais dormir sur le sol de la forêt en utilisant un morceau de mousse comme couverture, mais à la place je dois contribuer à la société”. Ces mots de Sara Blosseville résonnent dans un décor fait de branches ramassées pour créer un monde imaginaire où les seules traces humaines sont des décorations de chambre d’adolescente : de la poupée (aux allures voodoo) à la photo corrodée de Britney Spears.

Mugwort spit par Sara Blossseville au Light-harvesting Complex, 2020

Dans ses œuvres aux allures mystiques, Sara Blosseville fait le choix du retour à la nature ; c’est dans son silence qu’elle semble trouver sa place, plus à l’aise sans doute que dans le chaos de la société contemporaine.

Eve Tagny, vit et travaille au Canada

Par la photographie, la vidéo et la performance, l’artiste montréalaise Eve Tagny poursuit une réflexion sur le deuil qui s’inspire de rites liés à la nature. À travers le langage de la matière, elle construit un sanctuaire qui renferme le chemin du deuil à la guérison en harmonie avec les cycles naturels. Ici, l’Homme et la nature ne sont ni en opposition ni n'exercent de rapports contrastés : ils sont en symbiose vers une forme de résilience face à la finitude.

We weight on the land par Eve Tagny © Cooper Cole
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