
Les vanités et leurs symboles ont-ils encore un sens au XXIe siècle ? Les jeunes artistes s'emparent de codes romantiques pour exprimer leur vision du futur.
Au XVIIIème siècle, la société se passionne pour les découvertes de Pompéi et Herculanum, le romantisme allemand naît : c’est l’apparition de l’imaginaire de la ruine comme emblème de la grandeur passée et du temps qui s’écoule inlassablement. Le XIXe siècle est à l’image des Fleurs du mal, empli de brouillard, de mélancolie et de spleen, de fleurs fanées et de fruits pourris. Le monde est en plein changement, le rêve est encore présent mais il laissera bientôt place à la science et au progrès.
Dès lors, si la jeune création de notre époque se réapproprie ces imaginaires, c’est pour mieux souligner qu’ils ne sont pas la voie que nous avons choisie. Le temps est bien absent de notre époque, mais il ne tardera pas à se rappeler à notre bon souvenir. Représenter des ruines et des vanités à l’ère contemporaine est une posture pour le moins signifiante. Rappelant la fragilité des créations humaines, elle nous met face à un futur probablement fait de déconstruction, de ruptures, de disparitions et d’absences ; n'en déplaise à notre ego transhumaniste.
Comment intégrer cet imaginaire de la finitude alors que nous courons contre le temps ? Découvrez ces jeunes artistes qui nous ouvrent la voie :
David Ohlsson et Dit-Cilinn, respectivement nés en 1983 et 1985, vivent et travaillent en Suède.
Formé en 2017, le duo d'artistes Ohlsson-Dit-Cilinn explore des sujets relatifs à notre spiritualité et à notre conscience, en utilisant souvent le motif de la ruine. Dans Spawning ground Installation, on peut voir les restes d’un crustacé sur une pierre, dont le corps est recouvert de plastique matérialisant l’action destructrice de l’homme sur la nature.

À l’inverse, dans Sebastian, crab shell, stone, blue champagne, on assiste à la décomposition d’un caddie de supermarché rongé par la rouille finissant par ressembler à un panier de crabes, dont des tentacules s’emparent : ici, la ruine nous renvoie à la nature toute puissante, qui finira toujours par reprendre le dessus sur l’homme.
Les deux installations Hydrogenesis et Aquarian se présentent quant à elles comme de véritables épaves, attestant du comportement autodestructeur et orgueilleux de l’homme qui n’a pas respecté son environnement. Un oiseau du littoral renaît des hydrocarbures, dans une scène de renaissance particulièrement macabre : nous sommes face à un gênant spectacle de tristesse.

Clément Richem, né en 1986, vit et travaille en France.
Crépuscule est une œuvre vidéographique dépeignant la destruction d’un édifice en argile sous l’eau : on passe à l’état de délitement puis à celui de ruine, finissant par l’éboulement complet de la structure dont l’esthétique rappelle la tour de Babel. Dans ce film, le jeune artiste Clément Richem nous parle d’une transition inéluctable : nous sommes à une époque crépusculaire, à l’aube d’une société nouvelle qui nécessite d’autres manières d’habiter la Terre. La ruine et les vestiges s’imposent alors à la fois comme une forme de résilience mais aussi comme la preuve des échecs du passé grâce à une ambiance apocalyptique.
Brandon Ndife, né en 1991, vit et travaille aux Etats-Unis.
Au cours de son exposition MY ZONE à New-York en 2020, Brandon Ndife présente du mobilier sous forme de vestiges pour nous parler de ses traumatismes et de ses relations aux autres. L'abondante décomposition du mobilier révèle des fruits et des végétaux. Ici, le vestige incarne quelque chose de profondément intime, voire inavouable, honteux. C’est le secret qu’on veut enfouir au plus profond de soi-même et ne jamais affronter, mais parfois il devient impossible de fermer les tiroirs.

Jesse Darling, né en 1981, vit et travaille en Allemagne.
À travers une composition florale évolutive, Jesse Darling travaille sur les processus de décomposition. Asséchées, les fleurs apparaissent comme des ruines : une allusion à la vanité de l’homme, un rappel de son existence éphémère sur terre.

L’artiste aborde notamment la manière dont la nature influe sur notre apparence et nous incite à être attentifs à notre environnement. L'installation s'inspire de diverses références littéraires : le concept de sagesse cyclique est issu de l’ancien Livre des changements chinois et du Ching I. Pour l’artiste, cette philosophie est incompatible avec la mentalité occidentale, moins intuitive et patiente, qui serait responsable de l’état de ruine.
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