Depuis cinq ans, l’influenceuse Juju Fitcats est victime de photomontages pornographiques et du cyberharcèlement que ceux-ci provoquent. Elle dit notamment être menacée de viol par des enfants de 9-10 ans.
Les langues continuent de se délier sur les cyberviolences sexistes vécues par les créatrices de contenus. En octobre, des streameuses Twitch ont dénoncé le harcèlement et la sexualisation permanente qu’elles subissent. C’est au tour de la youtubeuse Juju Fitcats de prendre la parole sur le sujet. Un problème qu’elle dit avoir mis de côté pendant longtemps. « Cela fait cinq ans que je ferme ma bouche sur ce sujet. (...) J’avais réussi à me convaincre que c’était OK. (...) Mais ne pas en parler n’arrange pas les choses », explique-t-elle dans une vidéo publiée hier sur sa chaîne YouTube suivie par 2,7 millions de personnes.
Des jeux en ligne qui consistent à dénuder des personnalités
La jeune femme raconte comment depuis plusieurs années des photos dénudées d’elle circule sur des forums Jeuxvideo.com, serveurs Discord, conversations Telegram, comptes Instagram et Snapchat… Tout a commencé en 2018 avec une photo d’une femme nue vue de dos envoyée par un inconnu à son compagnon, le youtubeur fitness Tibo Inshape, prétextant qu’il s’agissait de Juju Fitcats. « Un moment très déstabilisant », explique la youtubeuse. Depuis, cette photo et de nombreuses autres ont commencé à circuler. « Je suis arrivée dans le multiverse », explique Juju Fitcats. Elle découvre des tas de photomontages reprenant notamment son visage sur le corps d’une actrice porno, ou dénudant des photos postées sur son compte Instagram à l’aide de Photoshop. « Ces gens s'amusent pendant des heures à m'enlever mes vêtements pour ensuite me mettre une fausse poitrine. Bref, pour me dénuder littéralement. »
Elle évoque également des jeux interactifs où les internautes peuvent dénuder des versions virtuelles « façon Sims » de créatrices de contenus, actrices et autres personnalités.
La pratique du photomontage à des fins pornographiques n’est pas récente, mais elle s’est considérablement banalisée ces dernières années. Elle s’est aussi perfectionnée grâce à des technologies d’intelligence artificielle permettant notamment de générer de fausses images pornographiques à partir de quelques photos.
Plus de 70 % des femmes déjà victimes de ces violences en ligne
Juju Fitcats est loin d’être une victime isolée, ce qu’elle souligne dans la vidéo. Une récente enquête du Monde souligne que des milliers de femmes, de tout âge, de tout milieu social, qui s’exposent ou non en ligne, sont victimes de ce genre de pratique. Les modalités sont nombreuses : du slut-shaming (culpabiliser une femme pour son attitude jugée provocante ou trop sexualisée) au revenge porn, en passant par le doxing (le fait de révéler les données personnelles d’une personne en ligne sans son consentement). Selon les chiffres de l’association StopFisha, 73 % des femmes ont déjà été victimes de violences sexistes ou sexuelles en ligne, et les femmes sont vingt-sept fois plus susceptibles d’être cyberharcelées que les hommes, rapporte le quotidien. Au Royaume-Uni, la démocratisation de ces violences a fini par alerter les législateurs. Un amendement du projet de loi Online Safety Bill a récemment reconnu la diffusion sans consentement de vidéos hypertruquées pornographiques comme un crime.
Les youtubeuses, streameuses et influenceuses restent plus exposées que les autres. Notamment à cause des relations parasociales tissées avec leur communauté. Ce terme, apparu dans la littérature sociologique des années 1950, désigne le lien entre un fan et une personnalité publique, une célébrité ou un personnage de fiction. Avec les réseaux sociaux, ces relations se sont multipliées et intensifiées. Instagram, YouTube et Twitch permettent de se connecter à une personnalité bien plus facilement. Les interactions sont plus nombreuses, donnant l’impression d’une intimité. Certains abonnés se sentent alors en droit d’attendre quelque chose de leur idole, ce qui peut encourager des comportements inadaptés, et violents dans certains cas.
La youtubeuse devance les commentaires minimisant les cyberviolences sexistes, avançant qu’il s’agit simplement de « l’envers du décor », le prix à payer de la célébrité en ligne. Porter des brassières, des crop tops, se montrer en maillot de bain ou en petite robe, ne justifie à aucun moment d’ « avoir nos corps photoshopés pour se retrouver à poil sur des sites plus que limite », s’insurge Juju Fitcats. Elle souligne la différence de traitement entre les femmes créatrices de contenus et les hommes, qui exposent tout autant leur corps en ligne sans pour autant être victimes des mêmes détournements.
« Fakez-la, dégradez-la, qu’on la remette à sa place cette chienne »
Pour l’influenceuse, la prolifération de faux nudes encourage des comportements déplacés et « tellement violents ». Elle évoque notamment les dick pics (photos de sexe masculin) non sollicités qu’elle reçoit très régulièrement, les commentaires obscènes et menaces de viols qui accompagnent des photos (photoshopées ou non) vus sur les forums, et reçus par messages privés. Elle cite notamment : « Je lui enlève son petit short et je la détruis », « fakez-la, *** vous sur elle, postez, dégradez-la, qu’on la remette à sa place cette chienne. »
« Ce qui est très problématique c’est qu’il ne s’agit pas que de commentaires d’adultes, mais aussi d’enfants qui ont 9-10 ans et qui m’envoient des messages sur Instagram (...) du style " je te viole ” ». À ses yeux, les photos trafiquées normalisent des comportements problématiques auprès des enfants – comme insulter les femmes ou envoyer des photos de leurs parties intimes – et « c’est très grave ».
Participer à la conversation