
Sobriété et écocitoyenneté sont-elles compatibles avec les habitudes luxueuses des riches ?
Bleu azur, embruns, mer d'huile... Une carte postale que chérissent les amoureux du grand large. Paradoxalement, le nautisme et particulièrement le yatching menacent cet océan qu'ils aiment tant. Pour lutter contre la pollution, Venise ou encore Amsterdam limitent l’utilisation de bateaux équipés de moteurs. Plus largement, de nombreux parcs marins dans le monde interdisent l’accès aux yachts utilisant des combustibles fossiles. Concilier amour de la mer et plaisance est-il possible ? Décryptage avec Guy Marchal, fondateur de Whisper Yatchs. Signataire de la charte de l'association Ocean Rescue, il entend concevoir des bateaux à propulsion électrique, écoresponsables et autonomes, dont les premières unités seront livrées début 2024.
Le yachting : 3 % de la pollution maritime
Alors que la sobriété est dans toutes les bouches et qu'il est demandé aux Français de faire des efforts pour limiter leur empreinte carbone, la pollution des riches et leurs habitudes de consommation ne passent plus très bien. Après les jets privés, les yachts sont à leur tour régulièrement pointés du doigt. Le collectif Yacht CO2 Tracker, né en juillet 2022 dans le sillage d’I Fly Bernard, suit les trajets des yachts des plus riches et publie les estimations de leurs bilans carbone (désastreux). Selon le site La Relève et la Peste, le méga yacht de Bernard Arnault aurait consommé en 2022 470 000 litres de diesel en un mois, soit autant que ce qui serait économisé par 27 000 foyers français qui baisseraient la température de leur appartement pendant 1 an.
Plaisance écoresponsable : un oxymore ?
Le moins que l'on puisse dire, c'est que l’univers de la plaisance et plus largement du luxe est peu connu pour son engagement écologique. Mais l'industrie se transformerait. « Les réglementations internationales visent à ce que le secteur du transport n’émette plus de carbone à l’horizon 2050. La croissance des ventes globales des bateaux de plaisance (8 % par an entre 2020 et 2025 selon Mordor Intelligence) indique que les enjeux autour de la décarbonation du secteur vont s’accroître. C’est encore plus le cas dans la catégorie des catamarans à moteur, avec près de 14 % de croissance annuelle », note Guy Marchal. Pour aborder la transition, Whisper Yachts ambitionne d'industrialiser et commercialiser des yachts solaires électriques. « Nous avons agrégé les technologies existantes de nombreux secteurs de pointe, comme l’automobile pour les batteries, pour les appliquer à la mer », indique l'ingénieur de formation.
Lutter contre le fléau de la pollution maritime
Mais si l'origine de certaines pollutions est bien connue (principalement les hydrocarbures), d'autres le sont beaucoup moins. Il s'agit principalement des eaux usées des bateaux de plaisance, qu’il s’agisse des eaux de cale, (les eaux qui sont dans le fond du bateau pouvant être polluées par du carburant ou des huiles) ou des eaux noires qui sont des rejets des toilettes. Pour limiter l'impact environnemental de ces bateaux, l'entrepreneur, envisage l'électricité comme première réponse. « Par exemple, nos yachts embarquent 40 m² de panneaux solaires à bord pour alimenter la propulsion électrique qui ne provoque ni vibrations ni sons sous l’eau, comme c'est le cas des cales moteur, souvent souillées de lubrifiant ou de carburant conduisant à de grandes quantités d'hydrocarbures à la mer. » Au-delà, l'impact environnemental d'un bateau doit être anticipé dès la création. En effet, les coques contiennent de nombreuses microparticules polluantes (microfibres de verre, microplastiques, éclats de peinture...) qui finissent à l'eau. « Les épaves des bateaux sur plages constituent une pollution visuelle en plus des matières composites, plastique et fibre de verre, qui finissent à la mer. Il faut donc envisager une autre manière de concevoir les yachts. Avec des matériaux recyclables déjà : notre engagement est de créer des yachts à 90 % recyclables. Et en imaginant tout un système innovant de recyclage des eaux. Par exemple, nos yachts réutilisent 92 % de l’eau en circuit fermé », déclare Guy Marchal.
La transition des ports et marinas
Enfin, pour tendre davantage vers une pratique durable du nautisme, les ports de plaisance ont également leur rôle à jouer. « Les marinas doivent réfléchir à de nouvelles solutions afin de réduire leur impact écologique et améliorer leur efficacité énergétique. Leur modèle obsolète entraîne une utilisation excessive des ressources naturelles », souligne Guy Marchal. Dans cette optique de réduction de l'impact environnemental du nautisme, l'entrepreneur et ses équipes développent le projet Whisper Marina : « des yachts solaires électriques qui se comporteraient à quai comme de véritables centrales, en réinjectant gratuitement l’électricité produite par ses panneaux solaires pendant les 10 ou 11 mois d’utilisation. En permettant aux bateaux de redistribuer à quai de l'électricité, les marinas peuvent viser un impact carbone neutre grâce à l'énergie propre générée. »
Et les plaisanciers dans tout ça ?
Mais si l'industrie nautique peut effectivement limiter quelques-uns des impacts écologiques, d'autres sont étroitement liées aux comportements des plaisanciers : entretien des coques et des moteurs, rejets de déchets et d'eaux usées à la mer... La prise de conscience est-elle au rendez-vous ? « Il y a une vraie conscience des excès. Notamment des clients qui ne peuvent plus justifier auprès de leurs enfants de verser plusieurs litres de carburant pour leur bateau, ou des chefs d’entreprise qui ne peuvent plus se permettre de parler RSE dans leur société tout en étant vus l’été sur des yachts surconsommateurs. Sans une modification rapide de nos usages de la mer, l’écosystème marin pourrait être dégradé de manière irréversible. » De nouveaux usages qui passent selon Guy Marchal par le « slow cruising » : « une manière d’apprécier davantage ce milieu marin que nous chérissons via une navigation à la fois silencieuse et écoresponsable ».
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