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Peut-on parler d'écologie sans soûler tout le monde ?

Convaincre les autres de changer leur mode de vie sans leur faire la morale : mission impossible ? La jeune chercheuse Claire Brouwer a quelques conseils pour vous aider à hacker le cerveau de vos interlocuteurs.

L’urgence climatique est là. La colère monte chez certains militants écolos, révoltés que l’on puisse continuer de rouler en SUV, de manger de la viande à tous les repas ou de prendre l’avion plusieurs fois par an alors que tous les indicateurs sont au rouge vif. Le problème, c’est que toute légitime qu’elle soit, cette colère n’est pas forcément bénéfique lorsque l’on cherche à convaincre autrui de changer son mode de vie. La psychologie comportementale est formelle : secouer comme un prunier votre collègue qui a fait 18 voyages en avion cette année en lui débitant toutes les insultes de votre répertoire ne le fera probablement pas changer.

Cela, on le savait. Mais une nouvelle étude menée par les chercheurs Claire Brouwer, Jan-Willem Bolderdijk, Gert Corenlissen et Tim Kurz vient préciser ce constat, et donner des clés concrètes aux écolos pour communiquer leurs choix éthiques. Les auteurs ont compilé des dizaines d’études de psychologie comportementale pour parvenir à cette conclusion. Partant de la figure des « rebelles moraux », ces personnes qui dévient de la norme par conviction personnelle, ils identifient trois stratégies de communication à mettre en œuvre pour amorcer un changement de société.

Permettre à son interlocuteur de se projeter dans le changement

La première stratégie, c’est « d’éviter de leur donner l’impression d’être une mauvaise personne : il faut que les rebelles moraux arrivent à communiquer aux autres que leurs actions ne les définissent pas forcément en tant que personnes, et qu’il est possible de les faire évoluer, comme eux-mêmes l’ont fait ».

La deuxième stratégie consiste à expliciter les petits pas de sa propre progression, pour montrer que la capacité de changement est quelque chose qui se développe et se travaille. « C’est une façon de dessiner un chemin pour son interlocuteur : pour aller de la consommation de viande au véganisme, vous avez probablement commencé par faire un jour sans viande une fois par semaine, puis par retirer la viande de bœuf de votre alimentation… De cette façon, l’interlocuteur peut se projeter lui-même dans ces étapes : c’est un facteur-clé de la motivation. »

La troisième stratégie est particulièrement cruciale : elle consiste à promouvoir « des standards maximaux plutôt que minimaux ». Plutôt que d’exiger le véganisme ou rien, il faut présenter le fait de ne plus manger de viande comme l’idéal vers lequel tendre.

Aucune de ces stratégies n’est révolutionnaire en elle-même, et nombreux sont les écolos qui les pratiquent déjà. Mais que la recherche atteste de leur efficacité constitue un vrai pas en avant.

Ce ne sont pas les écolos qui vous font la morale, c'est vous qui culpabilisez

L’étude ne s’adresse pas qu’aux rebelles moraux en quête d’une communication adaptée. Elle se penche aussi sur la figure de l’observateur et de ses mécanismes de défense. Et les résultats sont clairs : la voix moralisatrice que l'on attribue aux écolos, c'est en fait la nôtre.

Si nous sommes si exaspérés par les arguments moraux des écolos, c’est simplement que notre petite voix intérieure est d’accord avec eux, mais que nous n’avons pas le courage de l’écouter, souligne Claire Brouwer. Et c'est cela qui nous irrite. Personne n’a sincèrement envie de vivre dans une planète-poubelle secouée quotidiennement par des sécheresses, ouragans, incendies et autres joyeusetés climatiques. Pourtant nos comportements y mènent tout droit. Ce mécanisme abondamment documenté est celui de la dissonance éthique, ce tiraillement de chaque instant entre nos principes et nos comportements, entre notre lucidité et notre paresse.

« Nous n’aimons pas être incohérents, sourit Claire Brouwer. Nous n’aimons pas être ce qu'on appelle des hypocrites. La dissonance éthique est un état très violent psychologiquement, parce qu’il nous laisse entendre que nous ne sommes pas une bonne personne. »

La culpabilité, mais pas la honte

Cette dissonance peut mener à un rejet violent des « rebelles moraux ». C’est la raison pour laquelle beaucoup d'engagés sont tentés de « minimiser la formulation de leur engagement moral, pour ne pas braquer leurs interlocuteurs. » Et pour cause : une étude de 2013 a montré que les végétariens étaient plus appréciés par leurs pairs quand ils justifiaient leur régime alimentaire en disant qu’ils n’aimaient pas la viande, que lorsqu’ils admettaient qu’ils étaient végétariens pour des questions d’éthique animale.

Mais cacher les raisons morales de son engagement écologique est en réalité « un gâchis de potentiel », s’emporte Claire Brouwer. « En dissimulant nos convictions, nous risquons de passer à côté de la possibilité d’inspirer les gens à changer leur propre comportement. » Faire culpabiliser son interlocuteur peut en effet s’avérer efficace, à condition de faire preuve d’empathie, et d'accepter que les résultats ne soient pas immédiats. « La culpabilité est une émotion très productive parce qu’elle est concentrée sur des actions, alors que la honte ne l’est pas du tout parce qu’elle correspond à un sentiment négatif envers ce que l’on est en tant que personne. » C’est cet équilibre qu’il faut tenir : permettre à son interlocuteur de mettre le doigt sur ses contradictions, sans pour autant le paralyser.

Pour Claire Brouwer, cette étude est un premier pas dans la remise en question du préjugé selon lequel « les rebelles moraux braquent systématiquement leurs interlocuteurs, et ne provoquent que de l’inertie sociale ». Le tout, selon elle, est de s’adresser à autrui avec compassion plutôt qu’avec jugement. Pas de compromis moral, mais moins de clash et plus d’empathie : tâchez de vous en souvenir la prochaine fois que votre collègue vous racontera son weekend à Bali.

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commentaires

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  1. Avatar Patrick Dutartre dit :

    merci de cet article qui fait réfléchir et donne des options intéressantes!! le distinguo culpabilité et honte est une évidence qui m'avait échappé jusqu’à la lecture de ce document...

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