Explosion à un terrain d’entraînement militaire. Destruction des objectifs de la formation par les bombes de l’avion

« Bombturbation » : la catastrophe écologique ukrainienne qui risque d'impacter le monde

© Vladimir Zapletin

Alors que le bilan humain de la guerre continue de s'alourdir, le conflit promet déjà de laisser derrière lui un sombre et toxique héritage. Une catastrophe environnementale qui met en péril la chaîne d'approvisionnement alimentaire mondiale.

Sous le feu des bombes depuis un an, les terres agricoles ukrainiennes pourraient subir les mêmes conséquences que les sols du nord de la France, toujours contaminés par les déchets de munitions de la Première Guerre mondiale. Un phénomène que les scientifiques ont baptisé « bombturbation » (bomb + disturbation, perturbation en français) pour désigner les perturbations des bombardements et des munitions non explosées sur les sols.

Un conflit qui empoisonne les terres agricoles

L'Ukraine abrite certains des sols les plus fertiles du monde, ce qui en fait l'un des principaux producteurs mondiaux de céréales (blé, maïs...) et d'huile de tournesol. Jusqu'à il y a quelques mois, les exportations du pays nourrissaient des millions de personnes, en Europe, Afrique, Asie du Sud-Est et en Chine. Avec la guerre qui dégrade et contamine chaque jour un peu plus les sols, l'Ukraine pourrait perdre ses récoltes pendant au moins 100 ans. En effet, selon Mykhailo Podoliak, conseiller du président ukrainien, chaque jour les troupes russes tireraient quelque 50 000 bombes d’artillerie de tous calibres sur les positions ukrainiennes. Un désastre environnemental qui s'ajoute à la catastrophe humanitaire. « À bien des égards, le bien-être du système de sol dans les pays d'après-guerre est vraiment intimement lié au bien-être des gens. Et à bien des égards, cela va également dicter leur avenir à long terme », explique Asmeret Asefaw Berhe, pédologue (scientifique spécialiste des sols) de l'université de Californie.

L'or noir de l'Ukraine

Les sols de l'Ukraine sont majoritairement constitués de chernozems riches en humus. Il s'agit d'un sol de type « prairie » qui couvre près des deux tiers des terres agricoles du pays. Signifiant « terre noire » en russe et ukrainien, le chernozem décrit des sols très fertiles caractérisés par un à deux mètres de matière organique sombre. La richesse de ce sol provient du loess, une fine couche de sédiments qui s'est accumulée le long des steppes eurasiennes au cours des 10 000 dernières années. En résulte une terre riche en nutriments tels que l'azote, le potassium ou encore le calcium, nutriments importants pour les plantes. Dans leur état naturel, les chernozems sont préchargés de vitamines et de minéraux, tel un « super smoothie » nutritif. « Les plantes qui poussent dans ces sols ont de la chance. Elles poussent dans un environnement qui leur fournit tout ce dont elles ont besoin pour grandir, avec ou sans engrais supplémentaires », explique Asmeret Asefaw Berhe.

« Bombturbation » : des champs de bombardements

Alors que la guerre frappe la terre ukrainienne, de nombreux pédologues se demandent quelle sera l'ampleur des dégâts causés par les explosions au sol. En cause : un processus baptisé « bombturbation » qui désigne la contamination des sols par les explosifs militaires. Le terme fait écho au processus naturel de bioturbation qui désigne l'action par laquelle des organismes vivants (vers de terre, fourmis…) parviennent à transférer des éléments nutritifs ou chimiques au sein d'un écosystème. (Le terme « bombturbation » a été inventé en 2006 par Joseph Hupy, géomorphologue des sols à l'université Purdue de West Lafayette.)

Bien que l'ampleur de la contamination des sols en Ukraine ne soit pas encore mesurée, les scientifiques craignent que le conflit ne cause des dommages durables à la productivité agricole du pays. Ainsi, selon le journal britannique The Independent qui s'appuie sur une recherche publiée par le European Journal of Soil Science, l'impact de la guerre pourrait causer aux cultures ukrainiennes des dommages pendant les 100 prochaines années. L'étude, menée par deux chercheurs de la Christ Church University de Canterbury au Royaume-Uni, examine les effets de la contamination générée pendant la bataille de la Somme qui s'est déroulée lors de la Première Guerre mondiale. Les conséquences pour le sol, encore visibles en 2023, suggèrent un scénario d'après-guerre problématique pour le secteur agricole ukrainien. « En Europe, la Première Guerre mondiale a laissé un héritage sur l'environnement en raison de l'utilisation extensive et intense de l'artillerie au cours de cette période. Dans un processus appelé « bombturbation », des changements physiques importants se sont produits dans le paysage soumis aux tirs d'artillerie, entraînant un développement divergent du sol dans les cratères », indique le Dr Rintoul-Hynes, responsable de l'étude. Une contamination qui pourrait avoir un impact sur la sécurité alimentaire non seulement en Ukraine, mais potentiellement à l'échelle mondiale.

L'héritage toxique de la guerre en Ukraine

Outre la pollution liée aux batailles et aux munitions (passages des chars, bombes, grenades, artillerie lourde...), les attaques entraînent également la destruction d'usines chimiques ou d'installations de stockage de déchets. Un cocktail dangereusement toxique... Les derniers chiffres recueillis en janvier par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE) estimaient que 618 sites d'infrastructures industrielles ou critiques ont été endommagés ou détruits dans l'année depuis le début de la guerre. Interrogé par BBC Future, Andrea Hinwood, responsable scientifique du PNUE, a indiqué qu'il s'agissait d'estimations et que les chiffres réels devraient être sensiblement plus élevés : « Nous ne savons pas encore quels polluants sont in situ – pour le moment, il n'est pas possible d'accéder à un si grand nombre de ces zones. Certaines technologies à distance peuvent être appliquées pour donner un aperçu visuel, mais ce n'est vraiment que lorsque le conflit sera terminé que nous pourrons réellement tester des contaminants spécifiques. »

Récemment, le gouvernement ukrainien a demandé au PNUE de l'aider à évaluer les dommages environnementaux causés par le conflit. Parallèlement, un groupe de travail, coordonné par l'Inspection écologique de l'Ukraine, enquête sur les crimes environnementaux tels que les attaques contre les installations d'eau, les usines chimiques et les centrales nucléaires. En effet, la pollution généralisée causée par le conflit menace également la faune locale et la santé des habitants.

Quel futur pour les sols contaminés ?

Les sols contaminés de l'Ukraine pourront-ils être remis en culture ? Personne ne peut le dire de manière décisive à ce stade, mais les experts conviennent que le coût et l'effort seront considérables pour les remettre à niveau. Selon une étude de l’École d’économie de Kiev, le simple fait de déminer les sols coûterait environ 500 millions d’euros. Ainsi, Yevhenia Zasiadko, responsable du climat chez EcoAction, craint que les enjeux environnementaux soient écartés. « La pollution du conflit n'est pas visible. Même si la guerre s'arrêtait maintenant, nous serions confrontés à des conséquences sur l'environnement pendant des années et des années. Nous devons nous en occuper » a-t-elle déclaré au média BBC Future. La jeune femme espère que certaines des zones les plus endommagées seront désignées comme « zones de conservation de la nature » le temps de se régénérer. « Mais tout doit être décidé individuellement et dépend du niveau de pollution et de l'utilisation qui en sera faite. »

portrait de femme

Peggy Baron

Chaque jour je m'installe à la terrasse de l'actu et je regarde le monde en effervescence. J'écris aussi bien sur les cafards cyborg que sur le monde du travail, sans oublier les tendances conso.
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