
Les réseaux estiment que s'auto-administrer des coups dans la mâchoire pour la rendre plus carrée est une heureuse initiative.
Après le buccal fat removal, l'opération de chirurgie esthétique visant à retirer le gras des joues, l'Ozempic, cet antidiabétique utilisé par Elon Musk et Kim Kardashian pour perdre du poids, et les injections à gogo, TikTok a une nouvelle dinguerie en réserve.
C'est quoi encore le bone smashing ?
Comme votre bon sens vous l'indique peut-être, se frapper le visage à coups de marteau n'est pas une bonne idée. Dans les faits, le phénomène concerne vraisemblablement peu de monde, mais le terme bone smashing (se briser les os en français) prolifère pourtant sur les réseaux. Il s'agit donc de se marteler le visage à coups d'objets contondants (rouleau de massage, bouteille en verre ou dans le pire des cas, marteau) pour transformer la forme de son visage et la rendre supposément plus virile. Sur TikTok, le #bonesmashing compte déjà plus 367 millions de vues, principalement en rapport avec des vidéos de jeunes hommes affichant mâchoire proéminente, menton ciselé et pommettes hautes. Si de nombreuses publications sont satiriques, d'autres affichent des avant/après prodigieux ou des tutoriels saugrenus. Pourquoi cette initiative douteuse ? D'après Forbes, les internautes s'inspireraient des écrits de l’anatomiste et chirurgien allemand Julius Wolff. D'après la Loi de Wolff formulée au 19ème siècle, volontiers citée à tort et à travers sur TikTok, les os sont constamment remodelés en fonction des chocs qu'ils reçoivent. Si l’application d’une force mécanique ou d’un stress physique est susceptible d’accélérer le processus ou de solidifier l'ossature, l’absence d’une telle force ou d’un tel stress peut conduire à la formation d'os plus fins et plus fragiles.
Quand la culture incel déborde sur les réseaux
Avec la délicieuse pratique du bone smashing, on se situe donc quelque part entre la maxime nietzschéenne « ce qui ne me tue pas me rend plus fort » affectionnée des autoproclamés mâles sigma, et l'adhésion à la théorie complètement bidon de la ligne verte en vogue chez les masculinistes. (Selon la théorie, il est possible de mesurer la virilité des hommes en fonction de leur posture.) D'après la plateforme Know Your Meme, le bone smashing serait apparu sur un forum destiné à échanger des conseils pour améliorer son apparence et ressembler à un Chad, cet archétype masculin censé incarner l'homme idéal chez les incels. Quelques années plus tard, cette idée circule librement sur les plateformes grand public. Pour les adeptes, il y aurait une sorte de devoir moral à s'astreindre une routine draconienne, combinant exercice physique, alimentation rigoureusement surveillée et pratiques douteuses, pour devenir la fameuse « meilleure version de soi-même. » Notamment en augmentant sa structure osseuse.
Ce n'est pas une coïncidence si les vidéos partageant astuces et conseils pour transformer la structure de son visage s'accompagnent de divers hashtags devenus viraux. Parmi eux : glow up, qui décrit une transformation physique positive, mewing, une méthode de repositionnement de la langue censée permettre de se débarrasser de ses rides et de son double menton, mogging, qui signifie dominer par son apparence, looksmaxxing, pour désigner un processus d'embellissement, ou encore canthal tilt, qui désigne le ratio (positif ou négatif) entre le coin intérieur et extérieur de l'œil. Oui, les deux derniers termes étaient originalement utilisés par les incels, et oui, tout le monde devrait oublier ces concepts abscons une fois le fil TikTok refermé. Ce n'est malheureusement pas le cas. La preuve : la soumission aux standards de beauté est si forte que les hommes se lancent à leur tour dans le Botox, méthode plus conventionnelle que les coups de marteau. Selon l'American Society of Plastic Surgeons, quelque 265 000 hommes (les Brotox) ont reçu des injections en 2020 aux États-Unis, soit 182 % de plus qu'il y a vingt ans. Cela nous pendait au nez, à une époque où nous croisons quotidiennement notre reflet dans le miroir et surveillons notre image sur les réseaux à de multiples reprises chaque jour. « La relocalisation du moi, de l’’intérieur’ à l’’extérieur’, est un changement fondamental dans la façon dont les êtres humains se perçoivent. L'attention portée au corps et à l'image a modifié notre perception de nous-mêmes. Notre apparence est devenue ‘ce que nous sommes’, alors que pour les générations précédentes, l'identité était une question de caractère ou de rôle », analyse Heather Widdows, professeur de philosophie à l'université de Warwick.
Participer à la conversation