arcs en ciel sur fond vert

Start-up et écologie : un gros mytho ?

© efetova

À l’heure où il est de bon ton de se déclarer « à impact » et où les start-up s’enorgueillissent d’être responsables ou engagées, difficile de faire le tri entre greenwashing, mythomanie et développement durable.

Alors dans tout ça, quid de la French Tech et des autres ? Entrepreneurs, investisseurs et auteurs se penchent sur la question pour essayer de savoir si les start-ups contribuent vraiment à l’accélération de la transition écologique. Spoiler : pas des masses.

L'écologie ne permet pas de « faire de l'argent rapidement »

Pour Antoine Gouritin, auteur du Startupisme : Le fantasme technologique et économique de la start-up nation, les choses sont assez claires : « Le modèle des start-up de la French Tech n’est pas conciliable avec la transition écologique. » Pour l’auteur, il s’agit surtout de greenwashing. Il cite en exemple Newcy (French Tech Rennes), qui propose des gobelets réutilisables, « ceux qu’on utilise en festival depuis 10 ans », mais à destination des entreprises. Lors du lancement du produit, la jeune pousse aurait récolté une salve de critiques. Ils ont beau être made in France, on ne voit pas bien l'utilité de fabriquer de nouveaux gobelets alors que chaque salarié pourrait ramener de chez lui son propre mug. En réponse à la critique, Newcy s’échine sur son site internet à démontrer que sa solution est plus green que green, à coups de contorsions chiffrées et de démonstrations creuses.

Anecdotique ? Pas vraiment, plutôt symptomatique d’une manie qui consiste à faire passer des vessies pour des lanternes. Selon l’auteur, les entreprises de la French Tech se contentent souvent de proposer des solutions cosmétiques, « des rustines ». Elles n'auraient pas vocation à résoudre les problèmes en profondeur. « La disruption, c'est quand on tue un marché pour en recréer un autre derrière. Ça ne va pas dans le sens d’une production plus raisonnée. »

Antoine Gouritin souligne que le Next40, liste de jeunes entreprises adoubées fin 2019 par Emmanuel Macron et ayant réalisé une levée de fonds supérieure à 100 millions d’euros entre 2016 et 2018, ne comporte quasiment aucune start-up à portée durable. (A quelques exception près :  Ynsect, spécialisée dans l’élevage d’insectes afin de produire des ingrédients pour l’aquaculture et la nutrition d'animaux de compagnie, Back Market, leader du reconditionnement, ou encore Phenix, qui lutte contre le gaspillage alimentaire, éternellement mises en avant lors des campagnes de communication. )

« Forcément, précise le jeune homme, car le capital ira toujours là où il peut faire de l’argent rapidement, et ce n’est pas dans l’écologie. En revanche, on voit beaucoup de logiciels d’aide à la réunion, digitalisation de service, et autres plateforme web… ». L’auteur rappelle que la question de la Tech For Good ( « la tech au service des humains » ), évoquée lors du lancement de la sélection par l'ex-Secrétaire d'État au numérique Mounir Mahjoubi a été très vite évacuée par son successeur, Cédric O.

Silicon Valley, hackers et V.Cs

Dans le chapitre « Pour un technologie au service du bien commun », Antoine Gouritin explique que l’idéologie start-up dans laquelle nous baignons aujourd’hui, calquée sur celle de la Silicon Valley et que Rémi Durant, appelle « évangélisme technologique », est issue de la rencontre entre hippies et hackers dans les années 60 dans la baie de San Francisco. Cette collusion donne lieu à un mouvement à l’origine « contestataire et idéaliste ». « Les gourous du secteur (…) ont tous souhaité avoir un impact sur les sociétés humaines grâce à leurs innovations. Certains ont un réel effet positif, d’autres moins. » Selon le journaliste Adam Fisher, cela s’explique par l’arrivée du Venture Capital (VC) qui corrompait les intentions louables de départ. « Le startupisme veut rendre le monde meilleur pour tous… mais d’abord pour lui-même. » Pour Antoine Gouritin, la transition écologique ne pourra jamais être initiée par la French Tech, car les intérêts ne sont pas alignés.

Chez les acteurs de la RSE, le scepticisme est aussi de rigueur. En avril 2019, Caroline Renoux, fondatrice de Birdeo, cabinet de recrutement spécialisé, nous expliquait : « Le monde des start-up s’en fout totalement, c’est affligeant. J’avais approché un incubateur de start-up un peu branché avec d’autres personnes qui travaillent dans le développement durable. Le dirigeant m’avait répondu que ce qu’on demandait aux start-up, c’était de faire de la croissance, pas de la RSE. » Le constat est globalement partagé par Tristan Nitot. Cet ex VP Advocacy du moteur de recherche Qwant qui a fondé l'association Mozilla Europe explique que les entrepreneurs se répartissent en deux camps : ceux qui participent au problème, et ceux qui font partie de la solution. « En l’état, le numérique fait partie du problème : c’est aux start-up qu’on délègue notre salut, notre sacro-sainte croissance, et au nom de tout ça, on sous-estime leur impact négatif. »

Recyclage et télétravail, le nouvel horizon ?

Selon Inès Leonarduzzi, CEO de DIGITAL FOR THE PLANET, l’écosystème oscille mollement entre verni social et prise de conscience accrue. « Pour l’instant, on n'a pas encore craqué la manière de faire des start-up autour du développement durable. La vraie start-up écologiste reste à inventer. Ce qui existe en grande majorité à ce jour, ce sont les entreprises qui saupoudrent leur modèle de valeurs écologistes, sans plus, même si bon nombre d'entre elles sont sincères dans leur démarche. Ce n’est socialement pas acceptable à entendre. » Certains acteurs de l’écosystème tiennent des propos plus nuancés. Charles Degand, co-fondateur du fonds d’investissement angelsquare, observe une prise de recul chez les start-uppeurs - même si les actions mises en place qui en découlent semblent assez superficielles. Mise en place du recyclage, facilitation du télétravail… « Toujours est-il que ces pratiques étaient quasiment inexistantes quand nous nous sommes lancés, il y a de ça quelques années », affirme le jeune homme.

De son côté, la French Tech explique qu'elle ne propose pas de programme sur la transition écologique, mais que « beaucoup de start-up du French Tech 120 (ndlr : une sélection de 120 start-up sélectionnées par le gouvernement pour poursuivre la promotion et l’accompagnement de l’écosystème technologique français sur tout le territoire) sont engagées ». Sans que l'on sache exactement ce que cela induit… Sur le site du gouvernement, Cédric O précise que  « ces sociétés sont aussi appelées par le Gouvernement à s’engager à améliorer leur impact sur la société, notamment en matière d’environnement, de diversité ou encore d’égalité femmes-hommes. »

En effet, certaines start-up de la French Tech semblent s’en tirer honorablement, à l’instar d’Eolas, spécialiste de l’hébergement internet, qui a monté ses propres data centers green, BGENE, qui a développé un processus de fabrication d’ingrédients naturels pour arômes et parfums respectueux de l’environnement, Lancey Energy Storage, qui propose la solution de gestion de l’énergie et de chauffage la plus économique du marché, ou encore BeFC, qui a mis au point une solution de transport de l’énergie.

Pendant ce temps-là, dans le monde de la recherche…

Pour Antoine Gouritin, il ne s'agit là que de figures d'exception. « Les vraies innovations me semblent plutôt provenir de l’extérieur de la French Tech. À l'intérieur, il ne s'agit que d'une espèce de cirque à la levée de fonds ! Les bonnes initiatives proviennent majoritairement de la recherche ou des écoles publiques, là où les enjeux sont vraiment scientifiques. Je pense notamment à Adagos, issue de l'Institut de Mathématiques de Toulouse et spécialisée en intelligence artificielle. Ce genre de projet va au-delà du simple fait de tourner aux énergies vertes, il repense le système en profondeur. »

Hors du spectre de la French Tech, mais toujours dans l'Hexagone, les initiatives écologistes fleurissent. L'ADEME et BPIfrance ont à ce titre lancé un nouvel accélérateur dédié à la transition énergétique. Chez Hello Tomorrow, organisation internationale lancée en 2011 pour réunir le monde de l’entrepreneuriat et des chercheurs, on est aussi convaincu que les innovations technologiques les plus prometteuses viendront de la recherche et de la scienceSarah Pedroza, COO de l’organisation, observe deux types de solutions. D'une part les réparatrices, qui ne s’attaquent pas à la source du problème mais à ses effets, et d'autre part celles qui changent les paradigmes, ou font naitre des solutions de substitutions radicalement nouvelles.

Dans la première catégorie, Sarah Pedroza évoque Carbon Upcycling, qui crée au Canada des matériaux (béton, substituts au plastique...) à partir de captations de CO2, ou encore Agora Energy Technology, qui sur le même principe produit de l’électricité. La COO cite aussi le chercheur Euan Doidge, de l’Imperial College au Royaume-Uni, qui a mis au point un procédé chimique pour recycler l’or présent dans nos déchets électriques et électroniques, notamment dans nos smartphones.

Dans la seconde catégorie, Sarah Pedroza mentionne la start-up américaine Tinctorium, qui a conçu une nouvelle formule de teinture à partir de bactéries pour remplacer celle utilisée actuellement pour colorer nos jeans, très chimique et néfaste pour l’environnement. Déployé à échelle, le nouveau produit pourrait considérablement améliorer le bilan de l'une des industries les plus polluantes au monde. 

Dear CEO...

Dépasser le stade des prototypes, c’est bien là que réside toute la difficulté… Car pour cela, il faut de l'argent, et l'impératif de blitzscaling de la Start-up Nation exclut les investissements dans des modèles qui n'ont pas encore fait leurs preuves. Que faire alors ? On ne peut pas toujours blâmer les start-up qui ont des modèles fragiles et ne peuvent pas, à elles seules, changer les règles du jeu. À ce sujet, Emmanuel Faber, CEO de Danone nous rappelait que « dans l’imaginaire collectif, il va de soi que les start-up sont meilleures que les grandes boîtes. Dans les faits, on rencontre tous les jours des start-up qui ne sont pas exemplaires… et c'est presque normal, car elles ne peuvent pas tout mener de front. »  Sarah Pedroza confirme : « Pour avoir vraiment de l’impact, les petites structures agiles doivent être adossées à de grands groupes, plus à même de déployer les solutions et d’avoir réellement de l’impact. Ce qui fera bouger les lignes, plus que les montants investis, ce sera la collaboration.» De son côté, Antoine Gouritin pointe du doigt la distribution des fonds, qui ont trop tendance à arroser les projets bling bling que sérieux.  « Il faudrait des aides publiques plus volontaristes sur des vrais sujets scientifiques... »

Merci donc aux détenteurs du capital de passer à la caisse, que cela soit par bonté d'âme (mouais) ou pour se plier à la volonté du marché et des consommateurs qui réclament plus de green et moins de washing. En janvier 2020, Laurence D. Fink, fondateur de Black Rock (société de gestion d'actifs la plus importante au monde) a annoncé dans sa lettre annuelle aux CEO adressée aux plus grandes entreprises internationales que les investissements de la multinationale se décideraient en fonction de leur portée durable... Tout en continuant à investir massivement dans les énergies fossiles. Merci pour rien, Larry.

Laure Coromines

Laure Coromines

Je parle des choses que les gens font sur Internet et dans la vraie vie. Fan de mumblecore movies, de jolies montagnes et de lolcats.

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commentaires

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  1. Avatar Unsold dit :

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