Un jeune homme noir avec une coupe afro et sa main devant le visage

Fragiles, les Z ? « Les ados d’aujourd’hui sont plutôt résilients »

© Reneé Thompson via Unsplash

En quelques années, l'anxiété sociale s'est imposée comme le grand mal des ados dans les médias. Mais est-ce vraiment le cas ?

Très confidentielle, il y a encore quelques années, l’anxiété sociale est désormais sur toutes les lèvres. Et particulièrement celles des Z, touchés de plein fouet par cette crainte des interactions sociales. Effet de mode ou nouveau mal pour une nouvelle génération ? On fait le point avec Thomas Villemonteix, docteur en psychologie, enseignant-chercheur à l’Université Paris 8 et co-auteur de « Soigner l’anxiété sociale chez l’enfant et l’adolescent ».

L’anxiété sociale est-elle vraiment le grand mal des ados d’aujourd’hui ?

Thomas Villemonteix : L’évolution de la prévalence des troubles mentaux est un sujet délicat à traiter. On a par exemple cru à une grande épidémie d’autisme depuis les années 1990 avant de comprendre qu’il s’agissait surtout d’une meilleure détection. Mais en prenant en compte ces précautions méthodologiques, il est vrai que des données issues de différents pays comme le Canada, la Grande-Bretagne, la Grèce, la Norvège et la Chine convergent pour suggérer une hausse de la prévalence des problèmes émotionnels (préoccupation, irritabilité, perturbation du sommeil, stress ressenti, affects dépressifs) chez les adolescents entre 1980 et 2010. Ces évolutions existent mais elles ne sont pas spectaculaires.

En revanche, je note une curiosité et une perception médiatique nouvelle. Il y a une quinzaine d’année, nous avons assisté à une prise de conscience collective de l’existence des troubles alimentaires et de leurs effets dévastateurs. Aujourd’hui, aucune donnée ne suggère une diminution de ces troubles. Mais la fenêtre médiatique s’est un peu rétrécie. Si aujourd’hui, c’est au tour de l’anxiété sociale d’être sous le feu des projecteurs, tant mieux pour nos patients qui en souffrent.

Ces évolutions s’accompagnent-elles également de changement dans le diagnostic et la prise en charge des adolescents ?

T. V. :  Chez l’enfant et l’adolescent, la problématique de l’anxiété sociale a longtemps été très négligée par les cliniciens. Il faut dire que ce sont des jeunes qui ne dérangent personne : ils ne font pas de vagues, n’osent pas mentionner leurs difficultés et ne sont souvent pas conscients de leur caractère pathologique. Heureusement, les pratiques de soins changent : les familles sont plus en demande, les troubles mieux connus et pour un adolescent être accompagné est moins stigmatisant qu’autrefois.

Certains n’hésitent pas à qualifier cette nouvelle génération de « fragile ». Détectez-vous une réelle fragilité psychologique chez les adolescents d’aujourd’hui ?

T. V. : Je ne vois pas de signe de fragilité particulière dans cette génération. Depuis une cinquantaine d’années, on a assisté à des évolutions importantes pouvant impacter la santé mentale des jeunes : accroissement des inégalités socio-économiques, évolution des structures familiales avec la multiplication des familles monoparentales ou divorcées, généralisation des nouvelles technologies et des médias sociaux, et un contexte d’incertitude concernant l’emploi qui fait peser un poids plus important sur la réussite scolaire. Mais rien ne signale que la génération Z est plus fragile que les précédentes. Au regard de ce contexte économique, sociétal et géopolitique particulièrement anxiogène, j’aurais même tendance à dire que les ados d’aujourd’hui sont plutôt résilients puisqu’ils ne semblent pas développer beaucoup plus de troubles mentaux que leurs aînés.

La génération Z est particulièrement vocale au sujet de l’anxiété sociale sur les réseaux sociaux. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de tomber dans un effet de mode ?

T. V. : Aujourd’hui, tout le monde peut aller lire les critères des troubles en ligne et s’auto-diagnostiquer. Ce type de catégorisation a des effets bénéfiques en fournissant une grille de lecture sur soi. En matière de santé mentale et particulièrement d’anxiété, il y a longtemps eu un problème d’auto-stigmatisation de la part des patients. À ce titre, la mise en scène de son trouble sur les réseaux sociaux peut être vue positivement. C’est une fenêtre d’expression qui permet à certains patients de se rendre compte de leurs problèmes. Mais il y a aussi des effets négatifs comme le fait de vouloir se mettre dans une case à tout prix. Le vrai risque est que ça devienne l’unique prisme de compréhension de tout ce qui se produit dans la vie du patient.

En matière de santé mentale, on diabolise souvent les réseaux sociaux. Est-ce que ces outils de communication peuvent effectivement favoriser ou aggraver un trouble tel que l’anxiété sociale ?

T. V. : Il y a effectivement des données qui indiquent un risque d'usage problématique d'Internet chez des jeunes souffrant d'anxiété sociale qui se réfugieraient dans les médias sociaux. Mais il faut aussi prendre en compte que les réseaux sociaux permettent de diminuer l’isolement des patients et d’ouvrir des espaces de paroles qui sont bénéfiques. D’autre part, parmi les ados que je vois, la forme de sociabilisation dominante reste traditionnelle. Il serait faux de dépeindre une génération cantonnée à des interactions sociales par écrans interposés. Au contraire, les jeunes d’aujourd’hui font preuve d’une grande souplesse et savent naviguer entre interactions physiques et numériques.

Est-ce que c’est le signe que les prises en charge doivent évoluer pour coller aux pratiques de cette nouvelle génération ?

T. V. : Les thérapies sont en train d’évoluer ; il y a une réflexion vive dans le champ scientifique à ce sujet. De nombreuses recherches portent actuellement sur les thérapies en ligne, avec un mélange de contenus sur ordinateur, téléphone, appels, et si nécessaire rendez-vous en présentiel. Des méthodes que la période Covid nous a forcés à expérimenter. Tout porte donc à croire qu’elles vont continuer à se développer, et qu’elles vont effectivement répondre à une demande du public adolescent. En ce qui concerne les réseaux sociaux, en tant qu’experts, nous ne sommes malheureusement pas incités à aller sur ce terrain au contact des ados. C’est problématique car la parole des experts prend le risque d’être marginalisée.

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