Dépression, bipolarité, anxiété... les maladies mentales n'ont jamais été aussi présentes sur nos écrans. Décryptage avec Jean-Victor Blanc, psychiatre et auteur du livre Pop & Psy.
On le sait, Internet nous rend cons. Mais est-ce que le web ne nous aurait pas aussi rendu fous ? Sur les réseaux sociaux, les messages parlant de troubles mentaux sont de plus en plus visibles. Sur Instagram, le #depression cumule ainsi plus de 20 millions de publications et #anxiety enregistre 12,7 millions d’occurrences. À croire qu’en 2019, tout le monde souffre d’anxiété, de dépression, de stress post-traumatique, de bipolarité ou tout à la fois. Selon l’OMS, on n’est pas bien loin de la vérité puisque l’organisation indique qu’une personne sur quatre souffrira de troubles psychiques dans sa vie. Et ce n’est pas à cause des réseaux sociaux.
Bienvenue dans la génération stress
D’après le psychiatre Jean-Victor Blanc, aujourd’hui, les troubles mentaux sont surtout mieux détectés et plus tôt. Le nombre de cas augmente ainsi mécaniquement. Logique. Mais l’état de notre société pèse aussi lourd sur notre santé psychique. « On sait, par exemple, que les crises économiques sont très pourvoyeuses de dépressions et de troubles anxieux. Dans un contexte où les crises s’enchaînent, c’est logique d’observer plus de cas, » ajoute le médecin. Et comme des miroirs, les réseaux sociaux reflètent l’état de notre société.
La stigmatisation a encore de beaux jours devant elle
D’après Visibrain, durant les 30 derniers jours, 16 208 posts mentionnant les #anxiété, #bipolarité et #depressed ont été publiés sur Instagram. Beaucoup en parlent mais certains utilisateurs sont plus visibles que d’autres. Les stars de la génération millennial sont particulièrement actives sur le sujet. Selena Gomez, les sœurs Hadid, Justin Bieber, Demi Lovato… tous ont évoqué leurs problèmes psychiques à leurs millions de followers. « On peut presque se demander qui n’en a pas encore parlé ? », ironise Jean-Victor Blanc qui a créé le compte Instagram Pop & Psy pour déstigmatiser les troubles mentaux grâce à la pop culture.
Vu l’engouement autour du sujet, on a du mal à s’empêcher de penser à une forme d’opportunisme de la part de certaines célébrités. Pour le psychiatre, cette méfiance est surtout le signe que les troubles mentaux restent stigmatisés. « Lorsque Selena Gomez expose sa cicatrise de greffe rénale sur Instagram, personne ne la suspecte de faire semblant ni l’accuse d’encourager les gens "à se faire greffer un rein". C’est dommage que ce soit le cas lorsqu’elle évoque ses troubles anxieux, » répond le psychiatre à nos interrogations.
De la libération à la banalisation
Entre dépressions, crises d’angoisse, bipolarité, etc. la psychiatrie n’a jamais été aussi présente sur nos réseaux. Parler de sujets aussi complexes – chaque trouble peut prendre de nombreuses formes qui varient selon les patients – au plus grand nombre implique une vulgarisation du sujet. Voire sa banalisation.
Sur Twitter, le #ThingsThatGiveMeAnxiety figurait parmi les tendances du réseau social pendant l’été 2019. Lancé par le compte #HashtagRoundUp, une application qui se vante de créer « des hashtags fun », le hashtag a permis à ceux qui souffrent d’anxiété de partager leur expérience. Entre les exemples de phobie scolaire ou sociale, de mal-être au travail et de véritables appels à l’aide, on trouve aussi des tweets beaucoup plus légers. Et d’après Jean-Victor Blanc, c’est tant mieux.
#ThingsThatGiveMeAnxiety quand le darron me laisse tout seul à la caisse parce que il a oublié un truc dans le magasin
— ROBIN BRUNET (@Robin__BRNT) July 31, 2019
Pour le médecin, les maladies mentales sont des sujets de société et « il ne faudrait surtout pas en faire une thématique sur laquelle seuls les professionnels pourraient communiquer. »
Humour, ironie et troubles anxieux
Parlons-en, donc. Oui, mais comment ? Instagram est surtout connu pour ses photos, mais d’après Visibrain, les utilisateurs qui parlent de troubles mentaux s’expriment à 40% avec des citations et 38% avec des illustrations. Le post le plus liké des 30 derniers jours est ainsi une BD humoristique de Théo Grosjean sur l’anxiété.
À l’heure où la culture mème a envahi Internet, les problèmes de santé mentale deviennent eux-aussi des blagues virales. Mais Jean-Victor Blanc se veut rassurant : « La culture du mème et de l’ironie fait partie intégrante de notre époque et de notre usage d’Internet. C’est normal que la santé mentale passe à travers ce filtre. C’est même important car ça montre que c’est un sujet comme un autre qui peut être abordé sous différents angles. »
Des troubles mentaux plus importants ou cools que d’autres ?
Tout le monde ne voit pas la banalisation des troubles mentaux sur les réseaux sociaux de façon positive. Dans un article de Vice, la journaliste américaine Alyson Zetta Williams nous priait d’arrêter de « rendre certaines maladies mentales cool sur les réseaux sociaux. » Elle y racontait comment après avoir reçu un diagnostic de troubles bipolaires, elle avait immédiatement pensé « mince, ce n’est même pas l’une des maladies cools. »
Sans préjuger de leur caractère « sympa », Instagram semble également procéder à une hiérarchisation des troubles. Lorsqu’on cherche certains termes, la plateforme envoie un message d’avertissement.
Ça fonctionne pour #depressed, #anxiety, #schizophrenic et même #anxietymemes. En revanche, si vous vous sentez #bipolar ou #ptsd (syndrome du stress post-traumatique en anglais), vous pouvez scroller tranquille.
Pour Jean-Victor Blanc, le fait que la dépression et l’anxiété reçoivent plus d’attention est logique puisque « ce sont des troubles plus fréquents. » Mais le psychiatre observe néanmoins des différences de traitement entre « des pathologies qui ont la même fréquence comme le trouble bipolaire et la schizophrénie. » Lors de l’écriture de son livre Pop & Psy, le médecin avoue n’avoir pas réussi à trouver de personnalité qui aurait évoqué publiquement un trouble schizophrénique. Il note que la représentation du trouble bipolaire a beaucoup évolué et qu'il est désormais dépeint plus positivement. Après des décennies à réduire la maladie à un dédoublement de personnalité, « ça reste beaucoup plus stigmatisant de parler de schizophrénie », conclut-t-il. Le travail vers la fin de la stigmatisation des troubles mentaux a donc encore de beaux jours devant lui.
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Je ne vois pas en quoi la banalisation des maladies mentales serait une bonne chose. Se mettre à prendre son stress post-examen pour de l'«anxiété» ou considérer son chagrin d'amour/sa baisse de morale comme de la «dépression», c'est non seulement salaud pour ceux qui souffrent de vraie anxiété et de vraie dépression au sens médical du terme, mais ça contribue en plus à en faire une sorte de normalité, comme si c'était finalement pas si grave. Chez certains, c'est effectivement cool - manière comme une autre d'attirer les regards dans l'«attention-whoring» numérique global ?
Il est vrai que notre société a une tendance (pathologique ?) à tout médicaliser. Le solitaire et l'anticonformisme sont suspectés de schizoïdie, voire de trouble antisocial, on ferait un bipolaire du bon vieux romantique dans son spleen et un euphorique un peu trop créatif serait presque taxé de schizophrénie. Dans tous les cas, mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde.