Chips, croquettes, couches… Certains industriels n’hésitent pas à réduire la quantité de leurs produits, tout en augmentant le prix. Une pratique commerciale pour masquer l'inflation qui déchaîne une levée de boucliers.
« Quand une marque propose un format "familial" ou un produit offert, elle sait très bien l'indiquer en gros sur son packaging. Pourquoi ne pas le faire quand elle réduit la quantité ? », s'interroge Camille Dorioz, responsable des campagnes chez Foodwatch. Cette pratique marketing porte un nom : la « shrinkflation » (contraction de l’anglais shrink, rétrécir, et d'inflation), ou « inflation masquée » en français. Une technique commerciale qui consiste à diminuer le poids ou le volume d’un produit, tout en gardant un emballage et un prix de vente identique, voire supérieur. Une pratique jusqu’ici marginale qui se généralise avec l’inflation et qui ne passe pas.
La grande distribution dénonce les industriels
Si cette stratégie commerciale « trompeuse » est ancienne et légale (du moment que l'étiquetage est conforme), elle est de plus en plus décriée en cette période d’inflation. En première ligne : les acteurs de la grande distribution. L'objectif : faire pression sur les industriels afin qu’ils baissent leurs prix ou se montrent plus transparents. Le PDG de Carrefour, Alexandre Bompard, monte au créneau et dégaine une arme de poids : le name and shame (nommer et couvrir de honte). « Ce produit a vu son poids diminuer et le prix demandé par notre fournisseur augmenter. » C'est le texte mentionné sur l'étiquette que Carrefour appose dès aujourd’hui sur les produits concernés par la shrinkflation (l'affiche indique également que le détaillant s'engage à renégocier le tarif). Une décision largement commentée sur les réseaux sociaux, puisque dès l’annonce, on a pu observer un pic d’activité (33 %)* sur X (ex-Twitter).
Certains grands patrons de la grande distribution sont alignés avec le PDG de Carrefour : Dominique Schelcher, président de System U, estime que les efforts des industriels pour contrer l’inflation depuis le début de l’année ont été « insuffisants par rapport à leurs résultats », et Thierry Cotillard, président du groupement Intermarché, dénonce une pratique « inacceptable ». De son côté, Michel-Edouard Leclerc met les pieds dans le plat. Fin juin, le président du groupe de distribution Leclerc déclarait dans La Tribune « ne pas comprendre pourquoi l’Élysée et Matignon ne prennent pas en urgence par décret ou arrêté une décision pour mettre en place un cadre juridique obligeant les industriels à répercuter les baisses des prix des matières premières. » Et le dirigeant avance une piste. Parmi les « gens qui ont intérêt à un peu d'inflation », Michel-Edouard Leclerc recense les industriels, qui voient leur chiffre d'affaires progresser, mais aussi l’État qui engrange des recettes de TVA. Il enfonce le clou : « L'inflation est un impôt qui n'est pas discuté au Parlement, c'est un impôt inégalitaire ». Le distributeur de conclure : « Le consommateur est le dindon de la farce ».
Bruno Le Maire veut obliger les industriels à plus de transparence
Dans leur « croisade » pour conquérir le cœur des consommateurs, les distributeurs ont trouvé un allié en la personne du ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Son message : la shrinkflation est une « arnaque » dont la multiplication des cas est, selon lui, inacceptable : « Ces bouteilles de jus d’orange qui contenaient 1 litre et qui contiennent désormais 900 ml sans informer clairement le client, cela s’appelle voler ! » Bruno Le Maire a annoncé travailler sur un projet de loi qui obligera, dès octobre, les fabricants à rendre « très visible » la réduction du contenu d'un emballage. Aucune annonce en revanche sur la répercussion de la baisse des matières premières comme le propose Michel-Édouard Leclerc.
Beaucoup de bruit pour une pratique « marginale » ?
Des déclarations et des annonces qui n’ont pas manqué de faire réagir Jean-Philippe André, président de la fédération française de l'alimentation ANIA sur l'antenne de RTL. « C'est très hypocrite de dire que c'est une arnaque. Les distributeurs ont accepté ces produits comme tels. Le prix de vente dans les rayons, ce n'est pas nous, c'est la responsabilité de Système U, Carrefour, Intermarché. » Selon lui, la shrinkflation reste une pratique rare. « Il y a quelque 20 000 références alimentaires dans un supermarché, on parle donc de 0,2 %. » Une pratique qualifiée également de « marginale » par Lionel Maugain, journaliste à 60 millions de consommateurs. Au micro de France Inter il dénonce une « opération de communication » de la part de Carrefour : « Ils sont gonflés de faire tout ce tambourinage autour de l'inflation masquée, alors qu'eux-mêmes ont démarré au mois de mai. Pour tenir sa promesse, de premier prix en légumes à 0,99 euro, Carrefour est passé d’un paquet de trois à deux salades sucrines », explique-t-il. Idem pour les sacs de pommes de terre, réduits « d’1,5 kilo à 1 kilo ». Et le journaliste de s'interroger : « Pourquoi ne pas déréférencer les marques qui pratiquent la shrinkflation plutôt que de mettre des affichettes invitant les consommateurs à ne pas acheter ces produits ? »
Au-delà de la polémique (qui ne touche pas que les industriels, McDonald's est soupçonné d'avoir réduit la taille de son Big Tasty sans que son prix ne soit revu à la baisse) une question demeure : et si au lieu de tenter de masquer l'inflation, industriels et distributeurs augmentaient les prix ? Une question de seuil psychologique, répondent les experts marketing. Késako ? Un prix que les consommateurs jugent acceptable.
Source : Visibrain, outil de veille des réseaux sociaux.
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