Tenue, couleur de cheveux et ameublement du salon : post-pandémie, il faut avoir l'air d'avoir (discrètement) dépensé beaucoup.
On le savait, le fameux « monde d'après » n'est pas au rendez-vous. En témoigne l'appétence croissante post-pandémie pour les marques d'ultra fast-fashion comme Boohoo ou Shein. Si certaines initiatives en faveur d'une consommation plus raisonnée fleurissent, à l'instar de celle de la marque américaine Christy Dawn qui propose aux consommateurs l'achat de champs de coton pour y faire pousser leur robe, la tendance est plutôt à la surconsommation. Et sur les réseaux, un nouveau mot d'ordre règne en maître : « looking expensive », littéralement « avoir l'air cher. » Comprendre : donner l'impression discrète que l'on suinte l'argent au travers de son #ootd (pour outfit of the day, sa tenue du jour) et que la déco de sa chambre a coûté cher. Le tout sans pour autant faire « nouveau riche. » La recette pour irradier l'argent ? Exit couleurs criardes, tissus brillants, sequins, imprimés léopard, montres volumineuses, logos XXL et chaussures à bouts ronds, bonjour tons beiges, tenues monochromes, chignons bas, fines chaînes dorées et canapés crème. En gros, l'esthétique à viser est celle de Kim Kardashian, après son relooking Kanye.
Looking expensive : petit guide pratique
Sur YouTube, la vidéo intitulée 10 ways to look expensive (10 manières d'avoir l'air cher) postée par Shea Whitney (1,33 million d'abonnés) a déjà été vue plus de 6 millions de fois. Celle de Kamsi Nnamani (62 000 abonnés), a été vue près de 200 000 fois. En clair, ce type de vidéo fait carton plein, et les audiences sont au rendez-vous. Il en va de même sur TikTok, où la vidéo de maddison__lynn « how to look expensive », visionnée plus de 1,1 million de fois. Les conseils sont un peu toujours les mêmes : pour se sentir mieux dans sa peau, avoir confiance en soi et inspirer le respect aux autres, respirer la « old money » (vieille fortune) est une recette qui marche.
Pour cela, pas besoin d'avoir un portefeuille bien garni, il suffit de souscrire à quelques codes : les tons poudre, les pièces vintage, le no make-up make-up (un maquillage qui tend à faire oublier que l'on est maquillé), les coupes androgynes, et bien sûr acheter les copies à bas prix de pièces luxe. Comment peut-on faire illusion ? Rien de tel que d'aller chiner sur Shein, et son catalogue de 600 000 articles, où blouses et robes sont en moyenne vendues à 6,99 euros. (L'ironie de la situation ne nous échappe pas.) Mais pour « avoir l'air cher », parfaire sa tenue n'est pas suffisant. Il faut aussi, comme le recommande Jenny Mustard, passer son salon au filtre $$$. Pour cela, les mots-clés sont : minimalisme, laiton, superposition discrète des textures, fleurs fraîches et livres anciens.
Blonde is the new cheugy
Dernière étape : adapter sa couleur de cheveux. Pour transpirer l'argent en automne 2021, il faut se débarrasser de son blond décoloré tendance depuis le confinement au profit d'un brun chaud et profond, baptisé par la toile le « expensive brunette. » Sur TikTok, le #expensivebrunette, qui rassemble des postes de femmes paradant leur nouvelle coloration brune après des années de teintures blondes, a gagné quelques 600 000 vues cette saison. Parmi les adeptes : les mannequins Gigi Hadid et Hailey Bieber. D'après Dazed Beauty, pendant digital du média Dazed & Confused dédié à la mode, certains utilisateurs du réseau seraient même allés jusqu'à décréter que les cheveux blonds seraient cheugy. Comprendre : résolument ringard en langage Z.
Follow the money : #howtolookexpensive
Pour savoir où trouver ce type de contenus, il suffit de suivre à la trace le #howtolookexpensive. C'est sur Instagram qu'il est le plus employé (886 posts), puis sur YouTube (207 vidéos) et TikTok, où 159 vidéos proposant ce hashtag cumulent près de 11 millions de vues.
Une autre possibilité est de suivre les contenus marqués du #dupe : dans le jargon des réseaux et des hauls YouTube, un dupe est un produit bon marché, généralement cosmétique, pouvant être utilisé comme alternative aux produits haut de gamme ou luxe pour les petits budgets. Le #dupe totalise 278 629 posts Instagram, 3 600 vidéos YouTube et 21 600 vidéos TikTok pour 736,6 millions de vues. (Source : la plateforme de veille Visibrain)
Une approche classiste de la beauté
Malgré le succès évident de la tendance, certains influenceurs n'ont pas tardé à pointer ses (nombreux) travers. C'est le cas de la youtubeuse Tiffany Ferguson de la chaîne @tiffanyferg (726 000 abonnés).
Au-delà du fait que le #lookingexpensive place l'argent comme repère cardinal, il stigmatise encore davantage les caractéristiques attribuées à tort ou à raison aux personnes pauvres, comme le fait d'avoir la peau en mauvais état ou de ne pas avoir les dents parfaitement blanches. En outre, ces vidéos mettent en avant le fait d'apparaître toujours maître de soi et « bien mis », c'est-à-dire sans plis dans sa chemise, sans ongles écaillés, sans jean déchiré ou tâchés de café, et avec du tweet et des perles. Comprendre : ne surtout pas avoir l'air paresseux et incarner le prototype nauséabond de la girl boss, figure encensée de la pop culture des années 2010 dorénavant moquée, assimilée à la servante en rose d'un capitalisme débridé...
Autres artefacts que le #lookingexpensive condamne : les longs ongles en acrylique ou les créoles, qui comme le rappelle Tiffany Ferguson ont été adoptés par les communautés afro-américaines avant d'être massivement popularisés. Ou comment le #lookingexpensive ferait en fait l'apologie de la beauté blanche ? On n'en est pas loin.
Ces influenceuses ont l'impression d'avoir inventé l'eau chaude...les conseils qu'elles donnent sont les conseils qu'une mère donnerait à sa fille poyr avoir un look BCBG depuis toujours non ? Simplicité neutralité, sens de l'equilibre...